Révélations sur le carnage foncier de Dakar : Comment les anciens dignitaires du pays se sont partagés la Corniche Ouest
Vu la gravité de l’affaire, le rapport de l’Inspection générale des finances sur la gestion foncière à Dakar de 2008 à 2013, ne pouvait pas être jetée sur la place publique. Car, non seulement le document épingle beaucoup d’anciens pontes de la République, mais également de membres de familles religieuses très influentes au Sénégal. Mis au parfum du scandale, L’Obs vous conte les contours de ce «tong-tong», sans précédent.
C’est un «vieux» dossier, mais qui n’a jamais été défloré. Il a été géré dans la plus grande discrétion. Le caractère sensible du sujet a imposé l’omerta autour de la question. La gravité des cas et le statut des personnalités concernées suffisent pour comprendre la gestion très secrète de cette affaire. Les documents sont bien gardés. Mieux, certaines pages du rapport sont même biffées pour masquer l’ampleur du mal. Car c’est un véritable bradage des terres qui a été opéré à Dakar. Des accusations ont été toujours formulées sur la gestion du foncier. Sans aucune preuve. Il a fallu une mission d’enquête de l’Inspection générale des finances (Igf) du ministère de l’Economie et des Finances pour se rendre compte de l’ampleur du scandale. Ou tout simplement du carnage. Les conclusions du rapport de l’Igf sur la gestion de la question foncière à Dakar, de 2008 à 2013, sont ahurissantes. Elles révèlent les excès mais aussi les libéralités que les autorités se sont permises dans le foncier de la capitale. Ces micmacs sont plus graves dans l’attribution des terres sur la corniche ouest.
Les ministres des Finances et du Budget offrent 1000 mètres carrés à leurs épouses. Les investigations menées par la mission de vérification ont permis de découvrir un scandale sur des attributions faites sur le titre foncier 5725/DG sis sur la corniche ouest, dans le prolongement de l’hôtel Radisson. Un lotissement validé par la Commission de contrôle des opérations domaniales (Ccod), en sa séance du 17 janvier 2011. Cette assiette foncière, alors très convoitée, a été partagée à 26 bénéficiaires qui, pour l’essentiel, sont des autorités de l’ancien régime ou leurs proches, des chefs religieux et de hauts fonctionnaires.
Les deux anciens argentiers de l’Etat ne se sont pas servis, mais ils sont gâté leurs épouses. Fatoumata Sow, qui est la femme de l’ex ministre des Finances, Abdoulaye Diop, a bénéficié d’une parcelle de 1900 mètres carrés. Son ancien collègue du Budget et homonyme, n’a pas fait moins pour sa douce moitié. Son épouse répondant au nom de Fama Thiaw, a hérité de 1100 mètres carrés sur le même site. Des terrains d’une très grande valeur, compte tenu de la hausse vertigineuse du prix du mètre carré dans cette zone. D’après les experts immobiliers, le mètre carré est cédé actuellement sur ce site entre 250 et 300 000 FCfa.
Aminata Niane, Awa Ndiaye, Massamba Sarr…, ces privilégiés de l’ancien régime. Si les deux ministres ont préféré mettre leurs épouses en avant, l’ancienne ministre de la Femme et actuelle responsable de l’Alliance pour la République (Apr) à Saint-Louis, Awa Ndiaye, a usé de son privilège de proche du Président Wade. Le rapport de la mission de vérification de l’Igf révèle qu’elle a bénéficié de 1000 mètres carrés. Awa Ndiaye a un peu moins que l’ancienne Directrice générale de l’Agence pour la promotion des investissements et des grands travaux (Apix), Aminata Niane, riche elle aussi de ses 1100 mètres carrés. C’est aussi la même superficie qui a été octroyée à l’ancien chef adjoint du Protocole de la Présidence de la République et actuel Consul du Sénégal à Casablanca, Massamba Sarr.
La part des magistrats et du gouverneur de Dakar. La générosité des autorités de l’ancien régime s’est aussi étendue aux cercles religieux. Un Khalife général d’une grande confrérie religieuse a reçu un cadeau de 1200 mètres carrés. Il en est de même pour le fils d’un Khalife général d’une autre grande confrérie. Les hauts fonctionnaires ont aussi reçu leur part. C’est le cas des magistrats Abdou Khadar Ndiaye, pour 1000 mètres carrés et Mor Ndiaye, en service à la Cour d’appel, pour 1100 mètres carrés. Sur la liste des bénéficiaires, figurent de sombres Sociétés civiles immobilières (Sci) comme «Todel», «Naet», «2Amb», entre autres. La plus grosse part du gâteau de ce titre foncier est revenue à Loum Diagne, pour le compte de sa société dénommée Parinvest Sa. Une superficie de 3000 mètres carrés lui est attribuée. L’ancien gouverneur de la région de Dakar, Cheikh Tidiane Ndoye, ne s’est pas non plus plaint, pour avoir été gâté avec 1000 mètres carrés.
Awa Ndiaye, Aminata Niane, Fodé Sakho… servis dans l’assiette de Hôtel Corniche ouest Sarl. Pourtant, en «offrant» ces cadeaux à ces privilégiés, la Commission de contrôle des opérations domaniales ne savait pas qu’elle opérait dans une illégalité partielle. Car les investigations menées par les vérificateurs ont montré qu’il y a une superposition de procédures sur l’assiette foncière, objet de l’aménagement. Le rapport de l’Inspection générale des finances révèle que l’Etat avait déjà, par acte administratif, approuvé le 16 octobre 2008, cédé sur le site un terrain de 12 000 mètres carrés, moyennant le prix de 90 millions FCfa, à la société Hôtel Corniche ouest Sarl. D’ailleurs, 8 des lots attribués à des pontes de la République sont intégralement situés dans l’assiette cédée à la société Hôtel Corniche ouest. Les parcelles de Aminata Niane, Awa Ndiaye, Fodé Sakho, Evelyne Diatta en font partie. Une situation qui, fait constater le rapport, révèle beaucoup de dysfonctionnements au niveau des services de la Direction générale des impôts et domaines (Dgid).
Seulement, il ressort du rapport du Directeur des domaines que la procédure avait pour objectif la satisfaction de demandes de différentes personnes privées et le règlement d’un contentieux né de l’attribution d’un terrain appartenant à autrui au profit de l’Ambassade du Mali, suite à des erreurs d’appréciation de la part de l’administration, sur le titre foncier privé 5608/DG, sis sur la corniche ouest. Mais la mission précise que les personnes attributaires n’ont pas produit de demandes motivées adressées aux chefs de bureaux des domaines compétents. Autre incongruité notée dans l’attribution de ces parcelles sur la corniche ouest, c’est le fait que la Commission n’ait pas requis l’avis des services techniques du Cadastre sur l’état des lieux, la superficie et la situation foncière du terrain. Non plus, l’avis de l’Urbanisme sur la destination prévue par rapport à l’aménagement de la zone n’a pas été requis.
Les importantes superficies en question, enrichissement sans cause. Les importantes superficies des terrains attribués aux bénéficiaires ont attiré l’attention de la mission de vérification. Avec des parcelles de 1000 à 4000 mètres carrés, le rapport indique que la Commission aurait dû exiger des bénéficiaires de ces terrains la présentation de dossiers comportant un programme d’investissement. Car de telles surfaces supposent l’existence d’un projet immobilier. Une telle démarche de la part de la Commission, poursuit le rapport, lutterait efficacement contre les spéculations foncières et les enrichissements sans cause et participerait à assurer une égalité de tous les citoyens et investisseurs à l’accès à la terre.
Après avoir dressé le constat, l’Inspection générale des finances recommande une reconsidération de tout le «lotissement», en procédant à un réaménagement de la zone en tenant compte de la cession déjà effectuée au profit de la société Hôtel Corniche ouest Sarl. Laquelle, précise le rapport, n’a pas encore fait inscrire ses droits au Livre foncier. Cette opération devra aboutir à l’octroi de terrain de moindre superficie aux titulaires de parcelles dont les baux n’ont pas encore fait l’objet d’inscription. Aux titulaires des baux déjà inscrits au Livre foncier, l’Inspection générale des finances propose des avenants dans le sens de la baisse des superficies initiales. D’ailleurs, le rapport fait constater que seul le lot 18 Bis a fait l’objet d’inscription au livre foncier, sous le numéro 3442/R au nom de Cheikh Sidya Berthé
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