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PORTRAIT: Sur les traces du capitaine Mamadou DIÈYE(L'OBSERVATEUR)

Vendredi 18 Mai 2018

Son parcours est un mystère pour bon nombre de Sénégalais, son choix de quitter l’armée intrigue, comme sa décision de se lancer en politique - Qui est ce garçon à la gueule d’ange qui cherche à se comporter comme un capitaine Dreyfus ? - ENQUÊTE

On le présente comme un illuminé, un garçon à cheval sur les principes, mais le capitaine Mamadou Dièye est un bonhomme à connaître. Son parcours est un mystère pour bon nombre de Sénégalais, son choix de quitter l’Armée intrigue, comme sa décision de se lancer dans la politique, à travers son mouvement NIT (être Humain). Qui est ce garçon à la gueule d’ange qui cherche à se comporter comme un capitaine Dreyfus de naguère ? L’Observateur a mené l’Enquête.

La mise en feu est lancée. Les tireurs pointent leur arme à bout portant sur le capitaine Mamadou Dièye. L’enfant de la Grande muette a parlé et ses propos ont eu l’effet d’une secousse tellurique qui a secoué l’Armée sénégalaise et remué le sommet de l’Etat. Depuis, le capitaine Dièye est l’officier à abattre. Le grand bavard à faire taire. Le Sénégal, habitué à voir ses militaires la fermer comme des tombes, tombe de haut. Quand le jeune capitaine Mamadou Dièye, visage avenant, lunettes d’intello, regard franc, phrasé limpide, se montre dans ses vidéos pour dérouler son Cv poids plume ou mi-lourd, c’est selon, la République tend l’oreille et angoisse. L’on craint qu’il n’en dise trop. Qu’il déballe à coup de mitraillette trépidante, des secrets jalousement gardés. Voix pondérée alliée à un engagement total, discours méticuleux fédéré à une décision irrévocable, le jeune officier de 35 ans (il est né le 27 avril 1983), paré de diplômes sur ses épaules frêles, a, de l’avis de certains gradés, défié le non-sens, en démissionnant avec fracas de l’Armée. La chronique locale s’enflamme de sa parole trop libérée, trop délitée. Le capitaine multiplie les interviews et fixe des rencarts inimaginables aux journalistes. Il a été arrêté à grand renfort de tapage médiatique, devant les locaux d’un site d’information de la place. Depuis, c’est silence radio. Mais qui est ce jeune officier issu de la prestigieuse école Saint-Cyr, qui a décidé de vendanger sa carrière si prometteuse sous l’autel de ses ambitions politiques ? Dans quel environnement ce jeune homme, échappé des Parcelles Assainies, a construit, foulée après foulée, sa soudaine ascension dans l’Armée ? Les questions chantent plus qu’elles ne parlent, elles dessinent une courbe qui s’enfonce comme un long chemin serpenté dans le quartier sablonneux et populeux des Parcelles Assainies Unité 18 de Dakar.

Son père, Major Dièye, s’emmure dans le silence…

Madiba est mort. Nelson Mandela est une boulangerie célèbre lovée dans ce coin des Parcelles Assainies Unité 17-18 de Dakar. Sur ces maisons qui ne paient pas de mine, laissant dévisager les sacrifices de leurs propriétaires longtemps sevrés d’ors, pour laisser grandir la marmaille. Les rues sont plus délurées que d’habitude. Une borne fontaine improvisée accueille des femmes assises sur de nombreux bidons vides. La pénurie d’eau n’épargne pas le secteur. Sur une ruelle sablonneuse aux devantures de maisons éteintes, parfois éclairées par une peinture fraîche, une femme à la dépigmentation douteuse désigne la maison du Major Dièye. L’on avance alors vers le domicile où dans la cour, l’odeur du plat se dégageant de la cuisine titille les oreilles. Major Dièye teint noir, visage émacié, regard franc, poignée de main chaleureuse, accueille dans le salon. Il est en compagnie de Fall, l’oncle de ses enfants. Des salamalecs d’usage. Puis l’on se dévoile sans faux-fuyant, auprès du père de Famille, un ancien de la Marine sénégalaise qui a reçu tous les honneurs sous les drapeaux. Tout d’un coup, Major Dièye a le masque et son armure est en bronze. Il reste sur ses gardes. Il prend son index et se pare la bouche. L’atmosphère est pesante. C’est Tonton Fall qui décante la situation. «Nous vous remercions d’être venus, mais vous savez, cette affaire est interne à l’Armée et depuis que Mamadou est arrêté, nous ne l’avons pas encore vu. Donc, nous ne pourrons pas parler à sa place. Vraiment, nous ne pouvons rien dire, au risque d’envenimer les choses», souffle-t-il sans esclandre. Major Dièye finit par retrouver la voix. «On ne peut rien dire», freine-t-il ferme. Le sujet est sensible, tabou même au sein de la famille et dans le quartier, peu s’aventurent à parler de Mamadou Dièye. Le jeune homme devenu capitaine est, à l’image de sa famille, casanier. Sans histoire.

Son prof : «Un élève qui avait toujours des notes supérieures à 16/20»

Dans ce trou perdu de l’immense Dakar où les gens n’ont pas leur langue dans leur poche, la famille des Dièye, installée depuis des décennies dans ce quartier, est érigée en modèle de valeurs et de vertus. «J’ai toujours considéré cette famille comme un modèle, jamais prise en défaut par le voisinage, jamais désignée du doigt pour porter du tort», livre un ami de Mamadou Dièye. L’anecdote est devenue une chansonnette dépoussiérée pour asseoir l’exemplarité de cette famille sans tache. Le récit est raconté par un voisin de la maison des Dièye. «Il y a deux ans de cela, un des jumeaux, petit frère de Mamadou Dièye, s’est bagarré avec un des gosses les plus turbulents du quartier. Le cadet des Dièye l’avait d’ailleurs bien bastonné. C’est la mère de l’enfant têtu qui l’a pris en grippe pour lui dire : ‘’T’es la première personne à te battre avec les Dièye.’’ Avant que cette maman ne termine, c’est la maman de Mamadou Dièye, presque au bord des larmes, qui prend la main de son fils et vient présenter ses excuses. Toute l’assistance témoin de la scène était atterrée par la politesse et la correction de la bonne dame. C’était la seule fois, depuis des décennies, qu’un des fils se bagarrait», raconte-t-on. C’est dans cette fratrie de six que Mamadou Dièye a grandi. Un père Major Dièye, papa-poule et une maman femme au foyer investissent tous leurs efforts pour l’épanouissement de leurs enfants. Les jours d’école, Alioune, Abdoulaye, Yatma et Mamadou prennent leurs cours d’écoliers et s’en vont à l’Unité 13 des Parcelles Assainies où se trouve l’école des Pédagogues. Les mercredis et autres jours libres, ils prennent leurs tablettes en bois pour rejoindre un Daara de l’Unité 20 des Parcelles Assainies. Il n’y avait pas de répit pour la connaissance au sein de cette famille. C’est dans cette ambiance studieuse et religieuse que grandit Mamadou Dièye, un enfant chétif, mais doué.

Ce jour-là, Babacar Cambé, professeur d’éducation physique, maillot bleu de la Nationalmannschaft enfilé, bas de blouson bleu, est assis, les jambes croisées, devant un Institut des Parcelles. Lui a vu grandir le jeune Mamadou Dièye, il l’a eu en classe de 6e jusqu’en classe de 4e et quand il parle de son ancien élève, ses yeux pétillent de fierté. «Il fait partie des excellents, il n’avait jamais même dans les autres matières, des notes inférieures à 16/20. Un élève sérieux. Il ne mettait jamais les pieds à Dakar sans venir me voir.» Une relation filiale, teintée de respect, est née entre l’ancien élève, devenu capitaine Mamadou Dièye, et Cambé, le professeur d’éducation physique. Il en est ainsi de tout le corps professoral des Pédagogues qui n’hésite pas à rappeler les hauts faits d’armes de cet élève qui marquait les esprits, lors des concours de Génies en Herbe. Alors personne ne s’étonne outre mesure, quand Mamadou Dièye décroche son Baccalauréat série L en 2003. Un passage à l’Université Gaston Berger et s’en va. Puis, la tête farcie d’ambitions, il s’envole dans la ville rose, Toulouse, en France où il fait deux ans d’anglais. 2006, il réussit au concours de l’école Spéciale militaire de Saint-Cyr qui a vu passer des noms célèbres : Charles De Gaulle, Général et Président de la République française de 1959 à 1969, Zine El-Abidine Ben Ali, Président de la Tunisie de 1987 à 2011, plus près de nous, Robert Gueï, chef d’Etat major de l’Armée ivoirienne et chef d’Etat de la Côte d’Ivoire…N’en jetez-plus ! Mamadou Dièye sort lieutenant de la Promotion chef de Bataillon Segrétain, en compagnie de deux autres Sénégalais, Lieutenants Mouhamadou Moustapha Seck et Abdoul Aziz Mbaye. Un crochet à Saumur pour un an d’application chez la cavalerie blindée, le Lieutenant Mamadou Dièye revient au Sénégal. Il est affecté au 12e bataillon. Le Bataillon d’appui et de reconnaissance de Kolda l’accueille, il y passe un an. En janvier 2015, le Lieutenant passe capitaine. Il est enrôlé par la suite, pour intégrer la force d’interposition des Nations Unies au Soudan, d’octobre 2015 à décembre 2016. «Quand je suis rentré en décembre 2016, j’ai démissionné.» En réalité, il a déposé sa lettre de démission le 22 janvier 2017, auprès de son chef de bataillon, le Lieutenant-colonel Assane Seck. Personne ne sait ce qui le pousse à vouloir quitter l’Armée avec fracas. «Attention, c’est quelqu’un de réfléchi, il ne prend jamais une décision sur un coup de tête. Il a mûrement réfléchi avant de démissionner», témoigne un de ses enseignants. La Grande Muette lui refuse la démission. Mamadou Dièye ne s’arrête pas. Il prend ses documents, s’attache les services d’un huissier et exprime sa colère dans une vidéo qui affole les vues sur Youtube. «J’ai écrit une demande de mise en retraite anticipée, j’ai écrit une demande de résiliation de contrat, j’ai écrit une demande de mise à disponibilité, mais la hiérarchie militaire a refusé. J’ai été voir le Médiateur de la République, Abc, avec toutes les preuves. J’ai toqué à toutes les portes, j’ai été voir le Procureur de la république, j’ai pu voir le substitut, mais on me refuse la démission», regrette le capitaine. Il quitte son corps, continue de dire qu’il a démissionné de l’Armée et va jusqu’à créer un mouvement, «NIT», façon de mettre l’homme au cœur de ses actions. «Dieu a créé l’homme et c’est le meilleur d’entre Ses créatures. J’étais parti à l’Armée avec cette idée, mais j’ai été déçu de constater que l’éducation que j’ai reçue de mes parents, je ne l’ai pas retrouvée dans l’Armée sénégalaise.»

«Il y a deux ans, son grand frère, Aliou, militaire, a aussi démissionné»

Dans certains cercles de Dakar, on raille l’idéal de ce jeune officier qui n’a pas froid aux yeux. Certains s’inquiètent de son état mental, d’autres pointent du doigt des lobbies tapis dans l’ombre qui seraient derrière lui. Le journaliste, Babacar Justin Ndiaye, tournures alambiquées, jeu de calembours, l’a allumé d’une mèche sans retenue. «Au chapitre du discours et à la lueur de la teneur, le fameux capitaine Dièye est incontestablement un Maréchal de l’amateurisme et de l’idéalisme politiques. En effet, l’exégèse de ses propos abrupts et de ses réflexions bâclées révèle plus un Tarzan à trois barrettes qu’un démiurge fulgurant.» Les amis de Mamadou Dièye, ses hommes de troupe, qui lui sont restés fidèles, continuent à l’encenser sans état d’âme. «C’était un bon chef, toujours droit dans ses bottes. Il n’aime pas l’injustice», témoigne sur la Toile, un soldat qui a servi sous les ordres. Toutes ces railleries et autres accusations provoquent un fou rire chez les amis et sympathisants, nombreux dans la toile, à animer le hashtag facebook #Libérez le capitaine Dièye# ou #je suis le capitaine Mamadou Dièye#. Un de ses amis lui trouve d’ailleurs des circonstances atténuantes. «L’homme est foncièrement bon, s’il avait l’esprit tordu, il aurait gravi les échelons un à un et arrivé au sommet de la hiérarchie, il fomente un coup d’éclat ou d’Etat», informe un de ses copains de classe.

Dans la famille Dièye où la tenue militaire se porte de père en fils, ou presque, la récente démission ou désertion, c’est selon, de Mamadou, a réveillé les vieilles blessures, puisque Aliou, son grand frère, dans un camp de Ouakam, a démissionné avec fracas. «Lui aussi a quitté l’Armée pour des questions de principe, il y a de cela deux ans», informe-t-on.

Mamadou Dièye, démissionnaire ou déserteur ? En tout cas, la Direction des relations publiques des armées (Dirpa) annonce sa «traduction devant un Conseil d’enquête en vue de la radiation.» L’Armée l’accuse d’entrer dans une campagne de dénigrement, marquée par la tenue de propos séditieux à travers les réseaux sociaux. Le peloton d’exécution est déjà en place. Feu alors sur le futur radié !


PORTRAIT: Sur les traces du capitaine Mamadou DIÈYE(L'OBSERVATEUR)


1.Posté par KIA le 18/05/2018 18:33
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