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PAPE NIANG, 58 ANS, CHANTEUR-COMPOSITEUR : le Sénégal ne mérite pas de compter parmi ses habitants un artiste de mon calibre.

Lundi 15 Juin 2015

«Le Sénégal ne mérite pas de compter parmi ses habitants un artiste de mon calibre»

Il aurait pu être Stevie Wonder. Il partage avec le crooner étasunien le groove, la mise, les sempiternels balancements de caboche, les lunettes noires derrière un handicap qui a fini de se confondre avec leur identité d’artiste. Pape Niang aurait pu aisément interpréter les notes soul, jazz et rock du mythique «free». «Libre de dire non à ce qui (le) détruit». Libre d’être un artiste touche-à-tout, qui ne se limite pas à un style musical, qui ne rentre pas dans le moule artistique sénégalais. Mais voilà, le presque sexagénaire est bien d’ici, dans un monde qui, pense-t-il, lui fait payer son génie artistique. A Ouakam, dans sa modeste demeure sobrement décorée où il accueille, la bonne humeur en plus, la langue de bois en moins, Pape Niang remonte sur scène pour un énième show. Son retrait de la scène musicale, sa carrière, son enfance, l’avenir… Pape Niang parle de tout.

Que devient Pape Niang ?

Je suis là, dans mon coin et je fais des prestations dans quelques restaurants de la place. Je suis dans l’attente d’un producteur pour pouvoir enfin sortir un album. J’ai un répertoire très riche, qui ne demande qu’à être exploité.

On ne vous voit plus sur les différentes scènes musicales ni même sur les plateaux de télévision. Qu’est-ce qui explique votre retrait?

Les autorités de la place reconnaissent mieux que quiconque mon talent, mais elles ne me donnent pas le rang qui m’est dû. C’est comme si elles me minimisaient. Elles ne veulent pas me reconnaître à ma juste valeur. Au Sénégal, quand tu es un musicien doué, les gens prennent soin de te mettre à l’écart.

Vous pensez avoir été délibérément mis à l’écart ?

Les gens te combattent et font leur possible pour te mettre des bâtons dans les roues et t’étouffer. Grâce à Dieu, je n’ai pas besoin de quémander une quelconque reconnaissance. C’est pour cela que j’ai choisi de prendre du recul et de les observer. Peut-être qu’un jour, en entendant mes chansons, les gens réagiront.

«Au Sénégal, les gens font semblant de s’intéresser à vous»

Avez-vous entamé des démarches auprès des producteurs pour décanter la situation ?

Les producteurs me connaissent mieux que quiconque. S’ils avaient le besoin de me produire, ils auraient fait des pieds et des mains pour me retrouver. Chose qui est très facile, puisque tout le monde connait les endroits où j’ai l’habitude de me produire.

N’y a-t-il pas un producteur qui a entamé des démarches pour vous produire ?

Oh… (Hésitant). Franchement, je ne vois pas. Aucun producteur ne m’a contacté dans ce sens. A part, peut-être Souleymane Faye. Un jour alors que je l’avais invité à un de mes spectacles, il s’est fait mon avocat en clamant haut et fort que je faisais partie des grands musiciens de ce pays, mais qu’aucun chef d’Etat n’a jamais daigné m’accorder une audience.

Vous déplorez le manque de reconnaissance de vos pairs et des autorités, mais n’est-ce pas aussi parce que cela fait des années qu’on ne vous a plus senti «musicalement» ? Comme qui dirait que votre répertoire est à bout de souffle…

J’envisage de sortir prochainement un album, mais en ce moment, je suis à la recherche d’un producteur.

Mais pourquoi attendre que tout s’offre à vous?

Parce qu’ils me connaissent mieux que quiconque. S’ils en ont vraiment envie, ils feront le premier pas.

N’êtes-vous pas un peu trop confiant, à la limite, imbu de vous-même?

L’arrogance ne guide pas mes actions, mais au Sénégal, les gens font semblant de s’intéresser à vous et quand vous vous ouvrez à eux, que vous leur confiez vos ambitions, non seulement vos problèmes ne seront pas résolus, mais en plus, ils vous font courir.

On vous a trompé ?

Plusieurs fois.

Qui ?

Ce n’est pas la peine de revenir sur cela. Mais plusieurs fois, j’ai eu à aller vers un producteur qui ne m’a pas par la suite pris au sérieux ou qui m’a fait courir. Je ne veux pas trop en dire. Mais retenez qu’au Sénégal, les grands talents ne sont pas reconnus à leur juste valeur. Pour ma part, je dirai que les gens sont jaloux de mon talent. Quand vous êtes un musicien doué, les gens ne vous associent à rien. Il vaut mieux tourner la page.

Est-ce que votre style musical n’est pas dépassé, voire rétrograde ?

Non ! Du tout ! Je sais que je suis un musicien parfait. Les grands jazzmen de ce monde vous le confirmeront.

«Pour le single «Taar», ils me l’ont confié, parce que personne n’avait la voix»

Le jazz n’est pas une musique populaire…

(Il coupe). Je ne fais pas que du jazz. Je pratique toutes sortes de musique et je joue de différents instruments. Je joue de la salsa, du reggae, du « mbalakh », de la soul, mais le monde de la musique sénégalaise est rempli de profanes, qui ne connaissent rien à la musique.

Avez-vous essayé les producteurs étrangers ?

Je suis un prophète à l’extérieur du Sénégal. Il m’arrive de finir une prestation et de voir les gens m’interpeller pour me demander si mon gouvernement a eu à faire quelque chose pour moi. Face à ce genre de situation, je suis souvent très petit dans mes souliers et je m’enferme dans le silence.

Votre dernier album, «Djem», paru en 2000, n’a pourtant pas fait un carton. La chanson phare dédiée à Khar Mbaye Madiaga, a été la seule à être diffusée sur les ondes ?

L’album a été très bien fait. Peut-être parce que «Adja khar Mbaye» est le seul morceau « mbalakh » que les médias n’ont diffusé que celui-là. Toutes les autres chansons sont de la World music. Et très peu de Sénégalais connaissent ce style musical.

Avez-vous un staff pour gérer votre carrière ?

J’ai un manager qui s’occupe de la gestion de ma carrière. Et à chaque fois que nous sortons des nouveautés, il les diffuse dans tous les organes de presse.

Vous avez eu un grand succès avec le single «Taar (compilation «Benn» produite par Henry Guillabert)». Pouvez-vous revenir sur l’histoire de cette chanson ?

Cette chanson est dédiée aux femmes, qui doivent être respectées et vénérées. Elle fait partie d’une compilation réalisée par Henry Guillabert. Il a produit l’instrumental de la chanson et comme personne ne pouvait chanter dessus, Youssou Ndour lui a proposé de faire appel à moi. C’est ainsi que Henry Guillabert m’a proposé de poser ma voix sur cette chanson et j’ai accepté. En revanche, les paroles sont de moi. Avec cette chanson, j’ai pu participer à de grands festivals en Europe et j’ai décroché aussi de gros contrats au Sénégal.

Du coup, votre vrai seul succès reste l’album que vous avez fait avec Xalam ?

Cet album, mon premier («Saxal garab» (1986) avec le groupe Xalam, a fait un tabac. J’ai perçu un bon cachet.

Combien ?

(Rires). Bien sûr que je ne vous le dirai pas par secret professionnel. Mais je m’en suis bien sorti avec cet album. D’autres ont suivi comme «Xalel» (1992). C’était une autoproduction. Et j’ai sorti l’album «Djem (2000)». J’ai trois albums à mon actif, dont deux qui sont des productions individuelles.

«S’il était permis de choisir son lieu de naissance, j’opterais pour les Etats-Unis»

Pape Niang est-il un musicien riche ?

Tout ce que je possède, je l’ai eu à la force du bras. Au Sénégal, personne n’aide personne.

On sait que plusieurs parmi vos pairs artistes finissent dans des situations de précarité extrême. Vous, on vous retrouve dans une situation assez confortable. Est-ce la musique qui vous a permis de vous offrir tout cela ?

(Longue hésitation). Je ne sais même pas quoi répondre. La maison est en location. Je ne possède aucun bien matériel. Ni maison encore moins un terrain.

Si c’était à refaire, est-ce que vous choisiriez une carrière de musicien ?

Bien sûr que je choisirais la carrière de chanteur. Mais s’il était permis de choisir où naître, j’opterais pour les Etats-Unis. Là-bas, ils reconnaissent mon talent, mais le Sénégal ne mérite pas de compter parmi ses habitants un artiste de mon calibre.

Et pourtant, vous avez dit que vous aviez récolté beaucoup d’argent avec votre premier album et la compilation «Benn». Cet argent ne vous a-t-il pas permis d’améliorer votre situation ?

Je préfère ne pas répondre à cette question car cela concerne ma vie privée.

D’où vous vient le surnom de James Brown (musicien, chanteur, auteur-compositeur, danseur et producteur américain. Il est l’un des initiateurs du funk) ?

Ce sont les musiciens du groupe Xalam qui m’ont surnommé ainsi. J’ai commencé à fréquenter ce groupe alors que j’avais 13 ans. J’avais l’habitude de reprendre les morceaux de James Brown et d’Otis Redding (chanteur américain de soul).

Est-ce ce qui explique votre penchant pour la langue anglaise dans vos chansons ?

Et pourtant, je n’ai jamais été à l’école. J’ai acquis le vocabulaire anglais au contact d’un milieu intellectuel.

Vous êtes arrivé à maîtriser l’anglais juste en écoutant les autres converser ?

(Rires). Qui vous dit que je le maîtrise ?

Il vous arrive pourtant de chanter tout un refrain en anglais ?

(Eclats de rire). C’est juste du bluff.

«Enfant, j’ai toujours pensé que tous les enfants étaient non-voyants, comme moi»

Votre cécité est-elle innée ?

Je suis né ainsi, mais cela ne m’a jamais ébranlé ou constitué un frein. J’ai toujours obtenu tout ce que je voulais. Je suis le seul non-voyant dans ma famille, dont j’étais le chouchou.

Votre enfance a-t-elle été facile avec ce handicap ?

J’ai toujours pensé que les autres étaient comme moi.

Quel genre de môme était Pape Niang ?

J’étais un enfant très turbulent. A la Zone A de Dakar où habitait ma famille, il m’arrivait de chasser mes camarades de chez moi par des jets de pierres. (Il éclate de rire). J’ai eu une enfance très heureuse. Mon passe-temps favori, c’était d’écouter les classiques de grands chanteurs de salsa, funk, soul etc. Mon grand frère avait une grosse chaîne à musique et il me gavait de bonne musique. C’est grâce à mon frère, Ousmane Niang, que je peux créer et chanter aujourd’hui sur de belles harmonies.

Qui a déniché le jeune talent que vous étiez ?

C’est un producteur du nom de Badou Bâ. C’était un ancien steward. Il fréquentait notre maison et à force de m’écouter faire des reprises de grands noms de la musique, il s’est décidé à me produire.

Comment se sont déroulés vos premiers contacts avec Xalam ?

C’est un de mes cousins qui m’a mis en rapport avec le groupe Xalam. Je les ai rencontrés pour la première fois alors qu’ils étaient en répétition à la Sicap. En ce temps, il s’agissait du Xalam 1. Lors de cette première rencontre, Cheikh Tidiane Tall (arrangeur) était surpris de me voir. J’étais très jeune à l’époque. Il m’a apostrophé pour connaître la raison de ma présence dans le studio, je lui ai répondu, plein d’assurance, que j’étais un grand musicien. Ils ont éclaté de rire et il a été par la suite séduit par mon talent. C’est ainsi qu’a débuté l’aventure avec le Xalam.

«Je suis quelqu’un d’ambitieux et de digne»

On a l’habitude de dire que le monde des artistes est vicié par l’alcool ou la drogue. Y avez-vous touché ?

Est-ce que je donne l’impression d’un alcolo ou d’un drogué ? Non ! Par la Grâce de Dieu, je n’ai jamais fumé de cigarette ni bu une seule goutte d’alcool. Je vous ai dit tantôt que je fréquentais les milieux intellectuels, cela m’a permis d’échapper à certains travers.

Cela peut ne pas constituer une échappatoire, puisqu’on voit des intellectuels qui sombrent dans ces vices. Quelle a été cette force qui vous a éloigné de ces travers ?

Dieu m’a doté de la maîtrise de soi et je savais ce que je voulais. C’est cela aussi qui m’a permis de m’en sortir. Je suis quelqu’un d’ambitieux et de digne (il se frappe le torse).

Pape Niang est marié à une épouse. Comment avez-vous fait pour échapper aux filets des jeunes filles ?

(Rires). J’étais très adulé par les jeunes femmes et c’est toujours le cas. Mais j’use toujours de tact pour leur parler et transformer leurs sentiments en amitié. Et puis, je suis marié depuis 1985, nous avons 5 enfants, dont l’un est décédé.

A-t-il été facile pour vous, vu votre handicap, de trouver une femme ?

Non, cela n’a jamais posé de problèmes. Bien au contraire, ce sont les femmes qui me couraient après. Mais je n’ai jamais cédé aux tentations car, j’ai une femme qui me comble. En fait, ma femme est ma cousine.

Vos enfants sont-ils tentés par les sirènes de la chanson ?

Oui, Dior, ma benjamine de 16 ans. Elle s’essaie à la chanson, elle a une très belle voix. Je l’encourage de mon mieux, parce que c’est sa passion.

Qu’est-ce que votre handicap vous a apporté de positif ou de négatif dans votre vie ?

Ma cécité n’a jamais été un handicap. Bien au contraire, elle m’a permis de cultiver la persévérance. Je suis respecté de tous et je ne me laisse pas marcher sur les pieds. Je voudrais aussi que l’Etat m’aide à faire décoller le projet «Handicapable», que j’ai initié avec une association depuis quelques années.

LOBSERVATEUR


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