Castel Volturno, ville de bord de mer près de Naples, restera le théâtre du dernier concert de la chanteuse sud-africaine, icône de l’émancipation d’un continent. Organisé sur les terres de la Mafia, ce concert en soutien à Roberto Saviano – traqué par la Camorra depuis la sortie de son livre Gomorra – clos brutalement la page d’une carrière longue de plus de 50 ans.
Accompagnée de sept musiciens, Mama Africa monte une dernière fois sur scène devant un millier de spectateurs. Ultime artiste à jouer, elle donne à n’en pas douter le clou du spectacle. Durant le rappel enthousiaste du public, Miriam Makeba s’effondre en coulisses et s’évanouit, victime d’un malaise. Rapidement transportée à la clinique Pineta Grande de la ville, la diva africaine décède peu de temps après d’une crise cardiaque, à l’âge de 76 ans.
En Afrique du Sud, du héros Nelson Mandela, de toutes les provinces et de tous lestownshipsdu pays, du monde de la musique et de l’Afrique entière, les hommages se succèdent, mélangeant émotion et tristesse. Kgalema Motlanthe, à l’époque président de la nation Arc-en-Ciel, décrète dès l’annonce du décès un deuil national, avec drapeaux en berne et livres de condoléances mis à la disposition de la population.
L’impératrice de la musique africaine
Née en 1932 près de Johannesburg, Miriam Makeba est bien plus qu’une simple chanteuse, c’est une voix et un symbole de l’Afrique. Au début des années 1950, la jeune Zenzi – de son prénom Uzenzile – commence sa carrière en tant que choriste dans le groupe Manhattan Brothers. En 1956, elle écrit Pata Pata, qui restera comme le tube planétaire de la chanteuse.
Sa voix devenant de plus en plus connue, elle participe en 1959 au documentaireCome Back Africa de Lionel Rogosin, qui traite de la société sud-africaine sous le joug des lois d’apartheid, en vigueur depuis 1947. Suite à son voyage à Venise pour la projection du film, elle est interdite de séjour par le gouvernement de Pretoria. Cette année-là marquera le début de 31 ans d’exil hors de son pays natal.
Ces décennies voient Mama Africa se produire partout en Afrique ainsi que dans le monde entier, devenant notamment la première femme noire à obtenir un Grammy Awards en 1965 – pour son album avec Harry Belafonte. Sa reconnaissance continentale et internationale lui permettent de mener de paire carrière musicale et combats politiques pour la libération de son pays mais aussi de l’Afrique de la domination coloniale et postcoloniale.
Une militante anti-apartheid et panafricaine
Polyglotte, favorable à l’adoption d’une langue africaine commune ainsi qu’à l’unité africaine, elle est tout naturellement invitée, en mai 1963, à se produire lors de lacréation de l’Organisation de l’Unité Africaine à Addis-Abeba. Le siège de l’OUA n’est pas le seul lieu symbolique d’où elle s’exprime : discours anti-apartheid au siège de l’ONU en juillet 1963, puis en 1975 et 1976 en tant que déléguée Guinéenne,festival panafricain d’Alger en 1969, concert à Kinshasa avant le « Combat du siècle » en 1974, ou encore à Ouagadougou en 1986 lors du troisième anniversaire de la Révolution Burkinabé.
A la fin des années 1960, elle s’installe aux Etats-Unis suite à sa rencontre avec l’intellectuel Stokely Carmichael – membre des Blacks Panthers – et continue sa lutte en faveur des droits civiques, entamée lors de sa collaboration avec Harry Belafonte.
Suivie par le FBI, sans passeport car supprimé par l’Afrique du Sud, elle revient en Afrique grâce à la solidarité africaine. Lorsqu’elle reçoit un passeport des mains du président tanzanien Julius Nyerere, la diva déclare sentir “pour la première fois (l’) impression (…) d’être une Africaine”. Elle s’installe ensuite dans la Guinée de Sékou Touré, obtenant la nationalité guinéenne et étant même ministre de la culture.
Elle refoule sa terre natale après 31 ans d’exil en décembre 1990 après la libération de Nelson Mandela. La diva au plus de 25 albums – aux sonorités diverses et variées – aura rendu dans ses chansons hommage à diverses panafricains : Jomo Kenyatta,Patrice Lumumba, Samora Machel et bien sur Sékou Touré. Retraité en 2005 mais toujours disponible pour soutenir des causes importantes, ce 9 novembre 2008, c’est un baobab de l’histoire musical et de l’histoire contemporaine de l’Afrique qui tombe.
Source : Jeune Afrique