Analyse du magazine Jeune Afrique : Thione Seck, complice d’escroquerie ou victime de maraboutage ?
C'est un millefeuilles sénégalais où se superposent de faux billets artisanaux, de vrais Francs CFA, une arnaque « à la nigériane » et un zeste de maraboutage. La version officielle de l'affaire Thione Ballago Seck recèle de sérieuses invraisemblances… et autant de mystères.
Mercredi 27 mai, voilà un mois que la section de recherche de la gendarmerie de Colobane, à Dakar, a été alertée au sujet d’un « important réseau de confection de faux billets de banques ». Selon le procès-verbal de synthèse des enquêteurs – reproduit le 10 juin par Le Quotidien – « l’exploitation de ce renseignement a fait apparaître que ce groupe prévoyait de produire une quantité importante de faux billets au profit de M. Thione Seck, artiste compositeur ». Plusieurs rencontres ont déjà eu lieu, en mai, entre le célèbre musicien et un certain Cherif Sakho, soupçonné d’être à la tête du réseau de malfaiteurs. Ce jour-là, en fin de matinée, les gendarmes décident donc de passer à l’action.
Au terme d’une longue filature, ils interpellent le conducteur d’un véhicule Ford soupçonné d’être lié à l’opération. Vers 18 heures, l’homme a été vu discutant discrètement avec Thione Seck et un troisième homme (présumé être Cherif Sakho) à proximité du domicile du chanteur. Il s’agit d’un ressortissant malien, Alaye Djiteye, « porteur d’un sac contenant des faux billets en dollars ». Les gendarmes se rendent aussitôt au domicile de Thione Seck. Assis dans son salon, celui-ci regarde la télé. Lorsque les enquêteurs lui indiquent l’objet de leur visite, le chanteur va « s’asseoir sur un sac qu’il tentait de dissimuler ». À l’intérieur, « 43 paquets emballés avec un paquet transparent » ressemblant à s’y méprendre à des liasses de billets de banque conditionnées sous film plastique. Sur le sommet de chaque pile, un billet de 100 euros – apparemment faux.
Pots-de-vin
Selon Thione Seck, le sac contiendrait une somme de 50 millions d’euros correspondant à un acompte de 50% sur les cachets d’une série de concerts à venir. Pendant ce temps, une deuxième équipe s’en va perquisitionner au domicile d’Alaye Djiteye. Dans un modeste appartement, ils découvrent une installation artisanale de fabrication de fausse monnaie : imprimantes, scanner, liquides divers… Outre une somme de 15 000 euros (en F CFA et en euros), ils mettent la main sur 70 coupures en faux billets (euros et dollars), pour un montant total de 10 000 euros. Comme Thione Seck, le faussaire dispose en outre d’un sac contenant plusieurs dizaines de liasses empaquetées sous plastique, semblant contenir des billets de 100 euros.
Le 27 mai au soir, l’icône du mbalakh et le faussaire malien se retrouvent donc en garde à vue. Face aux pièces à conviction découvertes à son domicile, Djiteye passe aux aveux – partiels. « J’ai commencé à me lancer dans la copie de billets en euros et en dollars avec des numéros cachés et bandés, reconnaît-il. Il y avait des gens qui venaient me voir pour que je leur fasse ce travail moyennant des sommes variant entre 200 000, 300 000 et jusqu’à 1 million [de Francs CFA, soit 300 à 1 500 euros]. » En revanche, lorsque les gendarmes l’interrogent sur sa relation avec Thione Seck, Alaye Djiteye nie l’évidence, prétendant ne pas le connaître.
Comprenant qu’il a été vu l’après-midi même en sa compagnie, le faux monnayeur brode alors une version peu crédible. À l’en croire, il se serait rendu dans le quartier Ouest-Foire, où réside la star du Penc Mi (la boîte de nuit dakaroise où il se produit régulièrement), à la recherche d’un appartement. Malgré les évidences réunies par les enquêteurs durant leur filature, il conteste y avoir rencontré Thione Seck – alors que le numéro de ce dernier figure dans le répertoire de son portable. Une version qui sera partiellement contredite par Thione Seck lors de leur confrontation. Selon le musicien, c’est fortuitement qu’il aurait rencontré devant chez lui Alaye Djiteye, lequel lui aurait demandé s’il connaissait des appartements à louer dans les parages. Thione Seck se serait engagé à lui signaler une éventuelle location, et les deux hommes auraient échangé leurs numéros de téléphone.
Peu loquace
Quant à Thione Seck, lors de sa première audition, il se montre peu loquace lorsqu’on l’interroge sur sa relation avec Djiteye : « Je n’ai rien à dire »; « je n’ai pas de commentaire à faire »; « j’ai le droit de ne pas répondre »… Le chanteur consent uniquement à expliquer aux gendarmes la provenance du sac noir contenant 43 liasses de billets. Quinze jours plus tôt, il aurait reçu un appel téléphonique d’un interlocuteur basé en Suède, prétendant appartenir à une structure dénommée Gambian New Vision, qui lui aurait proposé d’organiser une série de concerts en Europe. Un cachet de 100 millions d’euros aurait été convenu entre les deux hommes pour une série de 100 concerts, soit un cachet d’1 million d’euros par concert, digne des Rolling Stones. Selon Thione Seck, son interlocuteur lui aurait annoncé qu’un certain Joachim Cissé viendrait prochainement lui remettre un acompte de 50%.
Quelques jours plus tard, Joachim Cissé se serait présenté au domicile du chanteur dans un 4×4 immatriculé en Gambie. Il lui aurait remis une sacoche noire censée contenir 50 millions d’euros. Aucune décharge ni aucun contrat n’est signé. Énième invraisemblance, le chanteur aurait négligemment laissé le sac dans un coin de son salon pendant plusieurs jours, malgré le trésor qu’il contenait. Les liasses de billet étant empaquetées, il n’aurait pas vérifié qu’il s’agissait bien de billets de banques.
Réentendu le 28 mai en fin de journée, Thione Seck retrouve subitement la mémoire. Désormais, il se prétend victime d’une arnaque. Peu après lui avoir remis la sacoche noire, Joachim Cissé serait en effet revenu à son domicile en lui demandant de lui prêter 120 millions de FCFA, qui lui seraient remboursés au moment de la signature du contrat. Le chanteur se serait exécuté docilement, lui remettant aussitôt 85 millions de FCFA. « C’est quand j’ai passé ma première nuit de garde à vue que j’ai su qu’il y a un voile qui s’est levé, car au moment ou je remettais l’argent je n’étais pas moi-même. » En d’autres termes, Thione Seck affirme aux gendarmes avoir été marabouté à la minute où Cissé lui a serré la main.
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