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Traque des biens mal acquis, dossiers Dangote, Cheikh Béthio et Luc Nicolai… Les bonnes affaires des robes noires
Au moment où certains citoyens peinent à avoir un avocat pour les défendre, certaines personnalités de la vie publique qui ont maille à partir avec la justice se font assister par plusieurs conseils, voire des cabinets d’avocats. Parmi les dossiers les plus en vue, il y a l’affaire Dangote, Cheikh Béthio Thioune, Karim Wade, Aïda Ndiongue, Luc Nicolaï. Avec leurs portefeuilles bourrés, ce sont les robes noires qui s’en frottent les mains, même si plusieurs avocats pensent que les dossiers médiatisés ne rapportent pas toujours gros.
Les dossiers de la traque des biens mal acquis mettant en cause plusieurs personnalités de l’ancien régime parmi lesquelles Karim Wade, Aïda Diongue, Bara Sady, Tahibou Ndiaye, Ndèye Khady Guèye, Abdou Aziz Diop…, pour ne citer que ceux-là qui sont sur le devant de la scène du fait d’une forte médiatisation.
Les mis en cause dans ces dossiers dits de la traque des biens supposés mal acquis sont défendus par plusieurs avocats, voire des cabinets d’avocats regroupés en pool.
Si le statut de personnes publiques des mis en cause y est pour quelque chose, la manne financière des accusés explique leurs moyens de défense.
Parce qu’au moment où des citoyens ordinaires ne comptent que sur l’assistance judiciaire pour se faire défendre, dans le cadre de ces dossiers médiatisés, les personnes poursuivies ont plusieurs avocats chacune. Encore que dans certaines affaires, plus la procédure dure, plus la défense rétrécit avec un nombre d’avocats en baisse. Des dossiers comme l’affaire Dangote, Cheikh Bethio Thioune et Luc Nicolai ont attiré bon nombre d’avocats.
La cause ? ‘’Lorsqu’une affaire éclate, certains se constituent sans même être commis pour se faire uniquement de la publicité vu l’ampleur médiatique du dossier’’, ont fustigé certains avocats sous le couvert de l’anonymat. ‘’ Il y en a qui entre par effraction dans ces dossiers pour se faire un nom mais il s’agit de cas isolés’’, a renchéri une robe noire.
‘’Sinon’’, poursuivit notre interlocuteur, ‘’c’est la personne poursuivie elle-même qui peut demander à son avocat principal de lui trouver d’autres conseils pour constituer un pool.’’ D’après lui, la constitution se fait aussi par l’entremise des proches du mis en cause. ‘’A défaut d’être commis directement par le client ou coopté dans un collectif par l’avocat principal, il arrive qu’on soit commis à l’insu de la personne poursuivie par ses parents ou amis’’, a-renseigné un avocat.
Les honoraires, un sujet tabou ?
Si les avocats se sont montrés prolixes sur la façon dont ils sont commis dans le cadre de pool, ils sont restés muets sur le montant de leurs honoraires. En effet, les mis en cause, compte tenu de leurs situations financières respectives, ne lésinent pas sur les moyens pour se tirer des geôles de la justice.
Combien les avocats gagnent-ils dans ces grands dossiers ? »Par principe, les honoraires sont libres car ce sont les parties qui discutent librement du montant’’, a répondu Me Abdou Dialy Kane. Quid du barème des honoraires ? Son confrère Me Baboucar Cissé précise qu’il n’intervient que lorsqu’il y a un différend entre l’avocat et le client. Donc selon Me Abdourahmane So, ‘’tout dépend de la complexité du dossier mais aussi de la relation entre le client et l’avocat.
La preuve, confie-t-il : ‘’Dans le dossier de l’ex-DG du cadastre, je défends gratuitement Tahibou Ndiaye qui est un père pour moi.’’ Désigné comme avocat principal de Luc Nicolaï, Me Baboucar Cissé dit n’avoir empoché aucun franc même si son client est réputé être riche. ‘’Je le défends par amitié car pour moi, l’amitié est sacrée’’, a-t-il confié.
Malgré notre insistance, aucun montant n’a été avancé par nos deux interlocuteurs ainsi que leurs autres confrères interpellés. ‘’Avec le barème, vous aurez une idée’’, a renvoyé un célèbre avocat.
Toutefois, il s’empresse d’ajouter que ‘’tout dépend de la solvabilité du client’’.
A ce titre illustratif, notre interlocuteur cite l’affaire Hissein Habré tout en précisant que ce dossier peut rapporter entre 20 et 50 millions à l’avocat. Ce que semble conforter cet autre avocat membre du pool d’avocats de Hissein Habré. ‘’Je ne peux pas vous dire combien nous gagnons mais on loue le Seigneur car c’est un montant avec six zéros’’, ironise notre source
Toujours est-il que la question des honoraires semble gênante d’autant plus qu’il s’agit d’argent. En fait, plusieurs robes noires interrogées par ‘’EnQuête’’ ont préféré faire dans la langue de bois. ‘’Vous ne verrez jamais un avocat vous dire combien il a gagné dans un dossier. Ce n’est même pas bien pour le client mais aussi pour nous qui risquons d’avoir le fisc dans le dos’’. C’est le refrain entonné par plusieurs conseils trouvés au palais de justice.
La raison de leur mutisme s’explique en partie, d’après Me Ciré Clédor Ly, par le fait qu’il s’agit d’une question relevant de la décence. ‘’Cela rentre même dans le cadre du secret professionnel car le client n’aimerait pas que son contrat soit étalé dans la rue’’, a théorisé Me Ly tout en soulignant ‘’que si l’on considère les honoraires comme un salaire, le salaire reste un secret et le révéler, c’est porter atteinte à la vie privée’’.
500 millions d’honoraires dans l’affaire Dangote
Même si les robes noires veulent confiner le montant de leurs honoraires dans le secret de leur cabinet, l’histoire récente nous a enseigné que des avocats ont empoché la somme de plus d’une centaine de millions de francs Cfa dans un dossier. Il s’agit de l’affaire de la drogue de Saly opposant le Président directeur général de Lamantin Beach, Bertrand Touly au promoteur de lutte Luc Nicolaï. Les quatre avocats constitués (Mes Ciré Clédor Ly, Houda, Moussa Félix Sow et René Louis Lopy) par M. Touly, ont révélé, lors du procès, avoir empoché la somme de 119 millions de francs Cfa comme honoraires.
Minime par rapport à ce qu’ont gagné les conseils des héritiers de Serigne Saliou Mbacké dans le litige foncier les opposant à l’industriel nigérian Aliko Dangoté. Dans ce dossier, les avocats des héritiers ont empoché 500 millions de francs Cfa. C’est au moment du partage des honoraires que le montant a été connu du grand public. Parce qu’un des conseils a jugé insignifiante la part de 20 millions que ses confrères lui auraient attribués.
Le même incident est arrivé dans le dossier Hissein Habré lorsqu’en 2000, le doyen des juges de l’époque, Demba Kandji, l’avait inculpé d’actes de torture et de barbarie et crimes contre l’humanité. A en croire nos sources, l’ex-président avait déboursé plusieurs centaines de millions de francs Cfa pour sa défense.
Mais au moment du partage des honoraires’’ à l’issue de la procédure gagnée par la défense puisque la Cour de cassation avait déclaré les juridictions sénégalaises incompétentes pour l’affaire, un des conseils avait reçu moins d’un million de francs Cfa. En son temps l’affaire n’avait pas fait certes grand bruit mais elle avait sonné la fin d’une collaboration.
Si dans ces deux dossiers, le montant des honoraires des conseils du plaignant est connu, pour beaucoup de cas, c’est un mystère. Pourtant des sources avancent que celui que l’on surnomme le promoteur des grands évènements aurait déboursé des centaines de millions pour sa défense.
On nous assure aussi que bien des mécanismes sont utilisés souvent pour faciliter les choses aux avocats, surtout lorsque la personne poursuivie l’est pour détournement, enrichissement illicite etc : la loi du cash. Cela permet de déclarer le montant qu’on veut ou simplement de ne rien déclarer. Tout un programme…
RÉPARTITION DES HONORAIRES
Quand les avocats se déchirent
Le guide des thiantacounes Cheikh Béthio Thioune, inculpé dans le dossier du double meurtre de deux de ses disciples, a cassé sa tirelire pour se payer de bons avocats. Mais certains des avocats constitués dans ces deux affaires ont affirmé avoir perçu moins de trois millions de francs Cfa pour certains.
‘’1,5 million de francs Cfa pour chaque avocat’’, a confié un des avocats constitué dans ce dossier tout en précisant que ce sont des talibés de Cheikh Béthio Thioune qui ont cotisé pour les payer. Qu’en est-il pour le cas de Bibo Bourgi poursuivi dans le cadre de la traque des biens mal acquis et dont il défend les intérêts ? ‘’Je n’ai pas été payé en conséquence, j’ai reçu juste une petite provision’’, s’est contenté de dire Me Baboucar Cissé.
Nos différents interlocuteurs n’ont pas certes voulu trop s’épancher sur la question mais un autre avocat a tenté de donner une explication. ‘’J’ignore combien s’élève le montant des honoraires dans ces dossiers, mais je trouve que dans le cadre des pools d’avocats, des problèmes surviennent souvent au moment du partage parce qu’il n’y a aucune transparence’’, a souligné un avocat.
Parce qu’argue un conseil constitué dans l’un de ces dossiers précités: ‘’Souvent, l’avocat principal ne respecte pas ses engagements. Il bouffe tout l’argent’’. ‘’C’est une accusation faite à tort à des confrères’’, a protesté un célèbre avocat selon qui ‘’le problème vient du fait que les avocats regardent le poids financier du client en oubliant le contrat initial’’.
Les dossiers médiatisés ne rapportent pas gros
D’une manière générale, plusieurs de nos sources ont laissé entendre que ‘’les dossiers médiatiques n’apportent rien comme le pense l’opinion, mais ce sont plutôt avec les banques ou les grandes sociétés qu’on gagne beaucoup d’argent’’. Un avis partagé par Me Baboucar Cissé qui a soutenu qu’ils gagnent plus avec ‘’les dossiers de recouvrement de créance et surtout en matière de prêt contentieux’’.
Me Lénine So le confirme et explique : ‘’Quand on est prévenu, on ne gagne pas beaucoup en revanche, lorsqu’on est du côté de la partie civile,l’on peut se frotter les mains surtout quand il y a des recouvrements’’. Ce qui fait dire à un de ses confrères associés dans un célèbre cabinet d’avocats : ‘’C’est faux ce que les gens croient parce que les dossiers médiatiques impliquant surtout des hommes politiques ne rapportent pas beaucoup’’.
A l’en croire, ‘’ces derniers ne paient pas souvent’’.
Toutefois, notre interlocuteur a tenté de donner une explication à cette situation. ‘’Peut-être, ils craignent d’être condamnés d’autant que dans la plupart des cas, ils sont poursuivis pour détournement de deniers publics’’, a argué la robe noire. Pour étayer ses propos, notre interlocuteur qui défend un des coïnculpés de Karim Wade poursuivi pour enrichissement illicite a soutenu que son client ne lui a versé que deux millions. Parce qu’outre la crainte d’une culpabilité, ‘’tant que leur problème n’est pas réglé, ils ne sont pas enclins à payer et lorsque la procédure aboutit, ils rediscutent des honoraires’’.
Cette supposée tendance des célébrités à ne pas respecter leurs engagements vis-à-vis de leurs avocats semblent se confirmer avec l’affaire Cheikh Béthio Thioune. L’on se rappelle que des grincements de dents s’étaient fait entendre dans le pool de défense du chef des Thiantacounes. Certains avocats se plaignaient du non-paiement de leurs honoraires par le marabout politicien. Même si en son temps Me Ciré Clédor Ly avait sorti un communiqué pour démentir un tel fait, arguant que leur client ne leur devait aucun centime, les faits prouvent le contraire. Car, un des conseils a fini par quitter le collectif.
Mais qu’est-ce qui fait courir les avocats derrière les dossiers médiatisés dits gros dossiers ? D’entrée de jeu, Me Ciré Clédor Ly, avocat de plusieurs personnalités poursuivies dans le cadre de la traque des biens mal acquis, réfute ce terme. ‘’Dossier Karim ou d’une veuve, je le traite avec la même conviction car il n’y a jamais de petite ou grande cause mais la détresse d’un client et la loyauté de l’avocat conseiller’’, assène celui qui est dépeint comme un des avocats les plus chers d’Afrique. Avant d’ajouter : ‘’Quel que soit le montant des honoraires, on perd à tous les coups’’.
Comment ? ‘’A cause de l’investissement physique et intellectuel, le stress ainsi que le poids de tous les espoirs portés sur ta conscience et la solitude dans laquelle l’on se trouve face à l’attente du client’’, a expliqué Me Ly. Toutefois, s’empresse-t-il d’ajouter : ‘’Le gain, c’est la satisfaction morale d’avoir la plupart du temps défendu le faible contre le géant’’.
‘’Même si tu n’es pas payé en conséquence, c’est l’espoir et la passion résultant du contenu du dossier qui te poussent à rester dans la procédure’’, a tenté de répondre un de nos interlocuteurs constitué dans plusieurs ‘’gros dossiers’’. Comme pour les conforter, Me Cissé parlera de son expérience avec l’affaire Luc Nicolaï pour dire : ‘’Je n’ai pas été payé mais s’il est libre ( l’entretien a eu lieu avant la décision de condamnation du promoteur), j’aurais la satisfaction du devoir accompli.’’
Enquête