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"Tu me donnes les clés, tu pars et tu ne reviens pas." C'était en août dernier. Tim*, 19 ans, rassemble quelques affaires et obéit à son père. Ancien militaire, ce dernier vient de surprendre une conversation téléphonique : son fils a un petit ami. Il aime les garçons. "Je ne veux pas de trucs de pédés dans ma maison."
Le lendemain, pensant que l'orage est passé, le jeune homme repasse à l'appartement. Ses sœurs lui ouvrent. "Tu te fous de moi, tu dégages." L'excommunication paternelle est confirmée. Son père coupera bientôt son forfait téléphonique et sa carte de transports. Le cordon est rompu. Tim erre dans les rues de Cergy pendant deux jours, sans savoir où aller. Il ne dort pas, marche, s'assoit, pleure parfois. Il va à la gare, regarde passer les trains, monte dans une rame, somnole. En deux jours, il fera une dizaine d'aller-retour entre Cergy et Paris. "Je ne sais pas... Je ne savais pas où aller. Le fait de bouger me donnait l'impression d'aller quelque part." C'est lors d'un de ces trajets que Tim perdra la carte d'identité qu'il avait fugitivement glissée dans la poche arrière de son jean au moment de quitter le domicile familial.
CHANGER D'AMIS, DE VÊTEMENTS, DE VIE
La rue, les trajets à blanc entre Cergy et Paris, l'identité perdue... Tim appelle sa mère, lui demande si elle peut l'héberger. "Attend, je te rappelle tout de suite." Elle ne le rappelle que le lendemain, pour lui dire qu'elle n'a pas de place. Ses sœurs, pourtant, y dorment quand elles veulent, fait-il remarquer. Sa mère précise sa pensée : il aura une place, à la condition qu'il change d'amis, de vêtements, de vie.
Tim entend alors parler par une amie du Refuge, une association qui vient en aide aux jeunes victimes d'homophobie. L'association possède des appartements-relais dans plusieurs villes, dont trois à Paris. Une place se libère. Une colocation de huit personnes, tous des jeunes mis à la rue par leur famille en raison de leur sexualité. Il sera vite rejoint par un nouveau colocataire : son petit ami. L'onde de choc de la révélation de son homosexualité s'est propagée jusque dans le foyer de son compagnon, mis à la rue lui aussi.
Dans les locaux de la permanence parisienne du Refuge, dans le 12e arrondissement, un jeune homme craintif vient de faire son apparition. David* a 21 ans. Il vient du sud de la France. Un jour, sa mère, protestante pratiquante, a "pété un plomb". "Je ne veux pas que tu me ramènes quelqu'un à la maison", lui a-t-elle signifié.
Sa mère savait que David avait un penchant pour les garçons depuis ses 15 ans. "Je lui disais que j'étais bi, pensant que ça passerait mieux. Je m'en étais convaincu aussi. Je pensais que j'essayerais les garçons, mais que je finirais avec une fille." C'est une rencontre à l'internat de son BEP vente d'un garçon "hyper libéré", qui "mettait des talons dans les soirées", qui l'aide à s'affirmer.
"J'ESPÈRE QU'ELLE CHANGERA D'AVIS AVANT DE MOURIR"
Pendant ce temps, sa mère se consacre chaque jour davantage à la religion, jusqu'à ne plus supporter la sexualité de son unique enfant. "Je lui en veux, mais je peux la comprendre, glisse David d'une voix chancelante. Elle a toujours suivi à la lettre la Bible protestante, qui dit que l'homosexualité est une abomination. Fils ou pas fils, Dieu est tout pour elle. J'espère juste qu'elle changera d'avis avant de mourir."
Les parents de Tim ne sont pas croyants. Mais ils sont très sensibles au regard de la société. "Mon père est fier, très préoccupé par l'image que les gens ont de lui. Ma mère, elle, est obsédée par le regard que les autres portent sur moi. Elle a toujours aimé mes slims, mais depuis qu'elle sait que je suis gay, elle trouve que ça fait trop fille."
Comme Tim, David n'a jamais réellement souffert de son homosexualité en dehors du cercle familial. "Au collège, tout le monde savait. On se moquait un peu de moi, mais rien de grave. Mais j'habitais dans un village, ce n'était pas facile. Je n'avais personne à qui en parler, à part mes copines. Avec les hommes, c'est compliqué, ils sont mal à l'aise."
Tim a toujours su qui il était. A La Réunion, où il a grandi, il a passé son enfance à regarder des films, des clips musicaux, passionné par les arts du spectacle. "Vers 11 ans, je ne me posais pas de question. Il y avait plein de gays dans les films, j'avais une vision très ouverte du monde européen. Je croyais que c'était normal. Enfin, je crois toujours que c'est normal...", corrige-t-il. La puissance du tabou familial s'invite parfois dans ses propres mots, fait vaciller les évidences.
Quelques mois après être parti de chez lui, David cherche du travail et un appartement à Paris. "Je veux aussi un chat, et un copain. Et puis, quand ma situation sera bien établie et que je vivrai une histoire sérieuse, un enfant."
Tim, lui, aimerait reprendre ses études, "arrêtées sec à cause de cette histoire". Une prépa d'arts, ou des études de musique. En attendant, il peut de nouveau chercher du travail : sa nouvelle carte d'identité devrait lui arriver sous quelques jours.
* Les prénoms ont été modifiés à la demande des intéressés.
par Lemonde.fr
Le lendemain, pensant que l'orage est passé, le jeune homme repasse à l'appartement. Ses sœurs lui ouvrent. "Tu te fous de moi, tu dégages." L'excommunication paternelle est confirmée. Son père coupera bientôt son forfait téléphonique et sa carte de transports. Le cordon est rompu. Tim erre dans les rues de Cergy pendant deux jours, sans savoir où aller. Il ne dort pas, marche, s'assoit, pleure parfois. Il va à la gare, regarde passer les trains, monte dans une rame, somnole. En deux jours, il fera une dizaine d'aller-retour entre Cergy et Paris. "Je ne sais pas... Je ne savais pas où aller. Le fait de bouger me donnait l'impression d'aller quelque part." C'est lors d'un de ces trajets que Tim perdra la carte d'identité qu'il avait fugitivement glissée dans la poche arrière de son jean au moment de quitter le domicile familial.
CHANGER D'AMIS, DE VÊTEMENTS, DE VIE
La rue, les trajets à blanc entre Cergy et Paris, l'identité perdue... Tim appelle sa mère, lui demande si elle peut l'héberger. "Attend, je te rappelle tout de suite." Elle ne le rappelle que le lendemain, pour lui dire qu'elle n'a pas de place. Ses sœurs, pourtant, y dorment quand elles veulent, fait-il remarquer. Sa mère précise sa pensée : il aura une place, à la condition qu'il change d'amis, de vêtements, de vie.
Tim entend alors parler par une amie du Refuge, une association qui vient en aide aux jeunes victimes d'homophobie. L'association possède des appartements-relais dans plusieurs villes, dont trois à Paris. Une place se libère. Une colocation de huit personnes, tous des jeunes mis à la rue par leur famille en raison de leur sexualité. Il sera vite rejoint par un nouveau colocataire : son petit ami. L'onde de choc de la révélation de son homosexualité s'est propagée jusque dans le foyer de son compagnon, mis à la rue lui aussi.
Dans les locaux de la permanence parisienne du Refuge, dans le 12e arrondissement, un jeune homme craintif vient de faire son apparition. David* a 21 ans. Il vient du sud de la France. Un jour, sa mère, protestante pratiquante, a "pété un plomb". "Je ne veux pas que tu me ramènes quelqu'un à la maison", lui a-t-elle signifié.
Sa mère savait que David avait un penchant pour les garçons depuis ses 15 ans. "Je lui disais que j'étais bi, pensant que ça passerait mieux. Je m'en étais convaincu aussi. Je pensais que j'essayerais les garçons, mais que je finirais avec une fille." C'est une rencontre à l'internat de son BEP vente d'un garçon "hyper libéré", qui "mettait des talons dans les soirées", qui l'aide à s'affirmer.
"J'ESPÈRE QU'ELLE CHANGERA D'AVIS AVANT DE MOURIR"
Pendant ce temps, sa mère se consacre chaque jour davantage à la religion, jusqu'à ne plus supporter la sexualité de son unique enfant. "Je lui en veux, mais je peux la comprendre, glisse David d'une voix chancelante. Elle a toujours suivi à la lettre la Bible protestante, qui dit que l'homosexualité est une abomination. Fils ou pas fils, Dieu est tout pour elle. J'espère juste qu'elle changera d'avis avant de mourir."
Les parents de Tim ne sont pas croyants. Mais ils sont très sensibles au regard de la société. "Mon père est fier, très préoccupé par l'image que les gens ont de lui. Ma mère, elle, est obsédée par le regard que les autres portent sur moi. Elle a toujours aimé mes slims, mais depuis qu'elle sait que je suis gay, elle trouve que ça fait trop fille."
Comme Tim, David n'a jamais réellement souffert de son homosexualité en dehors du cercle familial. "Au collège, tout le monde savait. On se moquait un peu de moi, mais rien de grave. Mais j'habitais dans un village, ce n'était pas facile. Je n'avais personne à qui en parler, à part mes copines. Avec les hommes, c'est compliqué, ils sont mal à l'aise."
Tim a toujours su qui il était. A La Réunion, où il a grandi, il a passé son enfance à regarder des films, des clips musicaux, passionné par les arts du spectacle. "Vers 11 ans, je ne me posais pas de question. Il y avait plein de gays dans les films, j'avais une vision très ouverte du monde européen. Je croyais que c'était normal. Enfin, je crois toujours que c'est normal...", corrige-t-il. La puissance du tabou familial s'invite parfois dans ses propres mots, fait vaciller les évidences.
Quelques mois après être parti de chez lui, David cherche du travail et un appartement à Paris. "Je veux aussi un chat, et un copain. Et puis, quand ma situation sera bien établie et que je vivrai une histoire sérieuse, un enfant."
Tim, lui, aimerait reprendre ses études, "arrêtées sec à cause de cette histoire". Une prépa d'arts, ou des études de musique. En attendant, il peut de nouveau chercher du travail : sa nouvelle carte d'identité devrait lui arriver sous quelques jours.
* Les prénoms ont été modifiés à la demande des intéressés.
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