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Que pensez-vous du processus de réconciliation que conduit l’ancien Premier ministre Banny?
Je pense que la réconciliation est aujourd’hui indispensable. Nous y avons intérêt car là se trouve notre bonheur. Le choix de Charles Konan Banny est une bonne chose. Il a des compétences. Je souhaite simplement que cette équipe qui a été constituée pour réconcilier soit proche des Ivoiriens. J’ai été heureux du choix de Didier Drogba car j’ai été le premier à proposer sa désignation dans l’équipe. Il faut qu’on y mette de la bonne volonté. Il faut que cette commission aille vers les Ivoiriens pour leur parler. Qu’elle aille dans les villes, les villages, les hameaux. Qu’elle ne reste pas dans les maisons climatisées. Qu’elle aille expliquer aux uns et aux autres que nous avons commis des erreurs. Que depuis la mort d’Houphouet-Boigny, on a menti aux Ivoiriens. On a manipulé les Ivoiriens. On a fait croire que les étrangers étaient des dangers. Nous les avons chassés. Résultat : notre pays a fait un bond de 20 ans en arrière. Mais il n’est pas trop tard. Les étrangers ne sont pas des ennemis. Les Maliens, les Burkinabè, les Guinéens, les Béninois, etc.… qui vivent en Côte d’Ivoire nous ont déjà aidés pendant les 33 ans du règne d’Houphouet-Boigny. C’est pourquoi nous étions en avance. Si on veut retrouver notre place, il faut qu’on les accueille à nouveau. Quand j’étais à Odienné, mon ami d’enfance était un jeune guéré. Je le prenais chaque jour sur ma moto pour aller à l’école. Je ne faisais pas de différence. Pour moi, la vraie réconciliation, c’est une réconciliation dans la justice et la légalité. Il faut absolument qu’il y ait une justice pour tous. Je reste à la disposition de mon pays dans ce processus de réconciliation et prêt à apporter ma contribution.
Les partisans de l’ex-président Laurent Gbagbo demandent sa libération inconditionnelle comme préalable à la réconciliation. Qu’en pensez-vous ?
Je voudrais leur dire que cela va être difficile. Cela voudrait dire qu’en Côte d’Ivoire, on cautionne l’impunité. Quelqu’un peut-il se lever pour un poste et tuer des gens? Laurent Gbagbo aurait été raisonnable qu’il serait l’un des hommes les plus respectés aujourd’hui en Côte d’Ivoire. Poser comme condition préalable la libération de Laurent Gbagbo, c’est nous faire retourner dans une République bananière. Une République dans laquelle le chef peut se permettre de faire n’importe quoi. On a vu qu’après 10 ans, quand on analyse son bilan, les Ivoiriens en tant que peuple civilisé n’avait aucune raison de reconduire Laurent Gbagbo. Même ceux qui marchent aujourd’hui à Paris (Ndlr : les partisans de Laurent Gbagbo) quand je les vois, ils me font pitié. S’ils sont ici dans le froid, ils sont en exil. Si Laurent Gbagbo avait réalisé de belles choses en Côte d’Ivoire, ceux-ci n’auraient pas laissé la belle plage de Bassam et venir se coucher dans le froid ici. Si Gbagbo avait été reconduit, cela aurait signifié que les Ivoiriens ne savent pas ce qu’ils veulent. Il faut montrer que, même Alassane Ouattara qui est au pouvoir aujourd’hui, s’il se permet des maladresses comme l’a fait Gbagbo, il peut se retrouver derrière les barreaux. Que tous ceux qui se permettent, à cause d’un fauteuil, de faire du mal aux Ivoiriens ou à la Côte d’Ivoire sachent que, la peine peut les rencontrer derrière les barreaux. C’est ce message-là qu’on doit faire passer aujourd’hui en jugeant Laurent Gbagbo et sa femme pour le mal qu’ils ont fait à la Côte d’Ivoire. Si c’est leur condition, cela veut dire qu’ils n’ont pas envie de se réconcilier. Qu’ils sachent que si Gbagbo est innocenté après son jugement, il est possible qu’il redevienne président un jour.
D’aucuns estiment par ailleurs qu’il faudrait aussi sanctionner ceux de l’autre camp qui ont pris les armes contre Laurent Gbagbo.
Il faut que les gens comprennent que de 2002 à 2007 effectivement, il y a eu des excès des deux côtés. Nous nous sommes réconciliés en 2007, ce qui a amené le Premier ministre Soro Guillaume a dirigé un gouvernement, à célébrer la paix à Bouaké. A partir du moment où on s’est réconcilié en 2007 et qu’un gouvernement de réconciliation a été mis en place, cela voudrait dire que les Ivoiriens ont décidé de pardonner tout ce qui s’est passé jusqu’en 2007, ils ont décidé d’aller vers la paix. Donc, 2007 était considéré comme un nouveau départ vers des élections libres et transparentes. Ce travail, je pense que le Premier ministre Guillaume Soro l’a bien mené.
Avez-vous eu l’occasion de rencontrer Laurent Gbagbo et lui dire que vous n’appréciez pas la voie qu’il empruntait dans sa gouvernance ?
J’ai eu deux occasions de rencontrer Laurent Gbagbo. Quand je suis revenu en 2007, j’avais décidé de rencontrer tous les leaders. J’ai fait des démarches. Je suis allé à Daoukro rencontrer le président Bédié. J’ai rencontré le premier ministre Guillaume Soro et le président actuel Alassane Ouattara. J’attendais qu’on me donne l’occasion de voir Laurent Gbagbo. J’ai eu le contact de Dogbo Blé. Je l’ai contacté pour lui dire que, dans le cadre de la réconciliation, je souhaitais rencontrer le président Gbagbo. Il m’a dit : c’est ton numéro qui est là ? J’ai répondu oui. Je n’ai pas été appelé et jusqu’à présent, j’attends toujours le coup de fil de Dogbo Blé. La deuxième occasion, c’était à Odienné. Gbagbo est arrivé pour une tournée officielle. J’avais perdu ma mère. Un de ses proches qui est venu aux funérailles m’a confirmé avoir informé le président Gbagbo que j’avais perdu ma mère. Et le président aurait répondu que je l’ai combattu, donc il ne pouvait pas se déplacer pour venir me saluer. Il fallait que moi je vienne d’abord le saluer. Alors que dès que Guillaume Soro avait été informé, il est venu me saluer pendant les funérailles. Ce devait être l’occasion pour moi de rencontrer Laurent Gbagbo et lui parler. Mon grand regret, c’est d’avoir chanté le caméléon sans avoir pu rencontrer Robert Guéï
Pour quelles raisons n’avez-vous pas pu rencontrer le général Guéï ?
A l’époque, j’aurais pu parce que j’avais des amis autour de lui. Mais j’étais à une période où je ne me sentais pas capable d’aller parler à un président. C’est pour rattraper cela que je suis allé en Guinée rencontrer Dadis Camara dès qu’il y a eu le coup d’Etat. Cela a suscité des réactions diverses. Mais il était important pour moi d’aller dire à Dadis Camara que j’avais adressé un message à Guéï à travers la musique et il ne m’a pas écouté. Quand je l’ai vu, je lui ai dit que la jeunesse africaine souhaite qu’il organise des élections pour que des civils viennent au pouvoir. Je lui ai dit qu’il avait deux exemples : ceux de Guéï Robert et d’Amadou Toumani Touré. Ce dernier est parti et le peuple l’a rappelé. Dadis ne m’a pas écouté et vous savez la suite. S’il m’avait écouté, il serait aujourd’hui en Guinée, tranquille, avec sa famille.
Alassane Ouattara est aujourd’hui le président de Côte d’Ivoire. Avez-vous un message à lui adresser en particulier ?
Je suis allé rencontrer le président Ouattara, il y a quelques semaines pour lui dire que je le reconnais comme le seul président et que je suis disponible pour la réconciliation. J’avais même été le premier à proposer une caravane d’artistes pour la réconciliation. Aujourd’hui, ce que je peux lui dire, c’est de continuer à suivre les actes de ses collaborateurs sur le terrain. J’ai eu des échos de l’hôpital d’Odienné. Depuis qu’on a dit que les médicaments sont gratuits, le personnel médical n’est plus motivé. Les échos que j’ai eus, c’est que depuis une vingtaine de jours, il y a eu une dizaine de bébés, d’enfants décédés à cause de cette démotivation. Des femmes d’Odienné m’ont appelé pour m’informer de cette situation. ADO a hérité d’un peuple qui a été réduit à la mendicité, un peuple qui a oublié le drapeau. Donc, il peut donner des ordres mais doit veiller à leur suivi par des visites-surprises sur le terrain, dans les hôpitaux, les services. Les gens vont mettre du temps à se mettre à son heure à lui, car habituées à l’heure de l’ancien régime. Les échos qu’on a sont pas mal : on nous dit qu’aujourd’hui, Abidjan est propre, les travailleurs sont au boulot dès 7H30. Les gens ont besoin d’être réadaptés au patriotisme vrai, à aimer le pays avant eux-mêmes. J’ai dit au président que ce sont les actions de développement qui vont réconcilier les Ivoiriens. Si vous bitumez les routes, que le pays est électrifié, que l’éducation a atteint un certain niveau, des hôpitaux sont construits, la réconciliation se fera le plus naturellement possible. Les gens verront la différence entre le régime qui vous a dénigré et le vôtre. Si des gens ne veulent pas rentrer dans la République, ce n’est pas grave. Au temps de Gbagbo, il y a des gens qui ne voulaient pas rentrer aussi dans la République. Donner des conditions pour aller à la paix, c’est cautionner l’anarchie.
. Il faut que le président Ouattara ait des gens anonymes, discrets qui sont à l’écoute des populations et qui lui font remonter les vraies attentes du peuple. Ceux qui sont autour du président ne lui font pas souvent remonter les messages. Ils se disent peut-être que ça n’en vaut pas la peine. L’entourage a donc une responsabilité. Ils s’estiment privilégiés car tout le monde n’a pas accès au chef de l’Etat. C’est vrai que tout le monde ne peut pas avoir accès à lui, mais il est important qu’il soit informé à 90% des choses qui se passent dans le pays. Ce que le peuple pense de lui. Ceux qui sont en haut dans les bureaux climatisés ne savent pas forcément ce qui se passe dans le ghetto. L’entourage peut lui créer des problèmes. Sinon le président Ouattara est sur la bonne voie. Je ne dis pas cela pour lui faire plaisir. Le jour où il sera défaillant, je le dénoncerai.