Chronique

SENEGALAISERIES: Macky le petit Par Ibou FALL


Samedi 14 Juillet 2012

Dans un accès de lyrisme que lui inspire sa reconnaissance éperdue, Macky Sall, alors Premier ministre du Père Wade, compare son mentor à l’empereur Napoléon Bonaparte, le premier, le grand… Il ne verra donc pas de malice à être assimilé à son successeur, Napoléon III, qu’un poète hors normes surnommera Napoléon le petit.


L’avènement de Macky Sall signe le retour à la modestie républicaine. Il sera au Pape du Sopi ce que le placide administrateur de colonie, Abdou Diouf, fut pour l’agrégé de grammaire président. Ça ne rigole plus. Lorsque Senghor, personnage coloré et espiègle à la culture phénoménale, cède le Palais à l’anguleux et austère Abdou Diouf, les économistes soupirent de soulagement. Enfin, un homme sérieux aux commandes des affaires sérieuses. Finie, la bamboula des artistes inaugurée par le festival mondial des Arts nègres en 1966 et clôturée par le festival international de jazz de Senghor fils, Francis de son prénom, en 1980. Signe des temps : Diouf s’installe, et les veinards du village des arts avec vue sur l’Atlantique sont délogés par un bataillon de policiers patibulaires harnachés, et ce sont de très sérieux ministères de l’urbanisme et de l’hydraulique qui y emménagent. Le musée dynamique accueil le vénérable Conseil constitutionnel et un frais vent de multipartisme intégral vient balayer la théorie farfelue des quatre courants politiques. Non, Abdou Diouf n’est pas Senghor, et il tient à ce que cela se sache : les finances publiques sont au plus mal, le pays part en lambeaux.

L’urgence est au redressement de notre économie, à ces douloureux ajustements structurels qui dégraisseront la Fonction publique et fermeront quelques banques trop généreuses. Les fautes d’orthographe du «Soleil», il s’en balance. Le taciturne et longiligne chef de l’Etat et de gouvernement se chiffonne plutôt pour les quelques nouveaux riches extravagants dont les fortunes lui posent des cas de conscience et quelques irritations très personnelles. Senghor est un leader, Abdou Diouf un éternel second. Ses vingt années de présidence n’en feront pas vraiment un chef incontesté. Derrière chaque décision, le soupçon d’une main discrète. L’ombre de Jean Collin l’écrase une décennie durant, avant de céder les manettes à …Ousmane Tanor Dieng. Depuis son Palais, Abdou Diouf n’est responsable de rien, n’est au courant de rien, le nez plongé dans les devoirs de vacances dictés par le Fmi ou la Banque mondiale, quand il n’est pas aux quatre coins du monde à démolir l’apartheid ou quelque cause africaine aseptisée que lui attribue la nouvelle citoyenneté mondiale. Sur la scène politique, également, il est à la traîne : face à lui, un drôle de pistolet, Laye Wade de son nom de guerre, prend l’initiative. Diouf se contente de dresser des barricades et, parfois quand la moutarde lui monte au nez, riposter. Jusqu’à la déroute de 2000 qui nous ramène non sans panache la mégalomanie républicaine.

Diouf regardait tout de haut ? Wade voit tout en grand. Le budget de l’Etat passe du simple au triple, comme les salaires des fonctionnaires. L’Etat chiche est mort, vive l’Etat fou de sa grandeur… Les quelques rendez-vous planétaires de son prédécesseur, du genre Conférences islamiques et Francophonie semblent bien riquiqui et les infrastructures qui en sortent inspirent la commisération. Le père Wade est là parce qu’il flatte l’orgueil du peuple : le chef d’Etat le plus diplômé de la planète qui se paie le luxe de fusiller ses pairs nègres mal élus et mal mouchés. Le nombril du monde, c’est lui, et il le régente selon ses humeurs. Ça finit en eau de boudin, certes, lorsqu’il devient le chef d’Etat le plus …âgé de la planète. Une dernière pirouette pour une sortie de scène honorable, non sans avoir tenté de tripatouiller jusqu’à ses serments solennels. Entretemps, rien n’est trop beau, ni trop grand pour sa superbe. Abdou Diouf lui laisse un pays parmi les moins avancés, en deux discours, il le transforme en pays intermédiaire. Si on lui permet de terminer ses chantiers, au père Wade, croix de bois, croix de fer, il nous le transfère chez les pays émergents à côté du Brésil, de l’Afrique du Sud, de l’Inde et quelques autres puissances cotées dans les médias du monde. Un sommet planétaire sans lui est inimaginable et un président américain qui ne le reçoit pas n’en est pas vraiment un…

En vérité, nous autres, Sénégalais, on est revenus sur terre depuis quelque temps déjà. Les Wade sont bien gentils, mais ils nous tapent sur les nerfs, à force. Ils nous envahissent et nous pompent l’air… Quand on n’ingurgite pas du Père Laye cul sec, on avale à grandes gorgées du super Karim, de la Viviane au petit lait ou de la Sindiely à la fleur bleue ou à l’eau de rose. Y’a toujours du Serigne Mbacké Ndiaye ou du Mbaye Pekh pour faire passer le suppositoire pour une dragée. Jusqu’à l’overdose. Eux, sur leurs nuages princiers ou dans leur jet privé, ne comprennent pas que nous autres, qui avons les pieds dans le Jaxaay nauséabond, on n’a plus le cœur à s’attendrir des épisodes du feuilleton de la Wade family, lequel ressemble de plus en plus à un mauvais film de maffia. L’extravagance qui s’invite au devant de la scène en écœure beaucoup.

Les locales de 2009, annoncées comme la première marche vers le sommet pour Karim Wade, nouvelle icône de la dynastie, sonnent le début de la fin. Ils n’en ont cure, puisque le Sénégal, le vrai, le seul qui compte, c’est eux. Le 23 juin 2011 confirme la détermination des Sénégalais à en finir avec le gang qui braque la République.

Le 25 mars 2012, avec Macky Sall, c’est la modestie et la simplicité qui sont sacrés, que dis-je, plébiscités. Il n’a pas beaucoup de prétentions, le nouveau président. Et surtout, ce n’est pas vraiment une saga qu’il traîne derrière lui. Ça tombe bien, le peuple en a ras le bonnet des personnages de roman qui font la « une ». Macky, lui, pour tout martyre, étrenne tout juste une défénestration de l’Assemblée nationale, et une deuxième place au premier tour de la présidentielle. Son pédigrée ne vole pas plus haut, comparé à l’agrégé qu’il remplace. La couleur est annoncée en pleine campagne électorale, lorsqu’il promet de retailler le mandat présidentiel de sept à cinq années, tandis que l’insatiable père Wade qui vient d’en épuiser deux d’affilée en douze ans, supplie l’électorat pour une p’tite rallonge de son troisième-deuxième mandat de sept ans. Les monuments, les ponts, les tunnels, les distributions de Cfa à la mitraillette, les docteurs honoris causa à l’autre bout de la planète, bref, le truculent spectacle en sons et lumières qu’offre le protocole de la république des Wade, tout ça, c’est derrière nous. Les enveloppes remplies de ce bon vieux Cfa aux alentours des fêtes, on va devoir s’habituer à faire sans.

Ça va faire plus modeste, jusque dans les dancings : en lieu et place de Youssou Ndour, se contenter de Pape Diouf… Jusqu’aux cachets des dieux de l’arène, qui seront rabotés. Faudra la jouer humble au moins une décennie, jusqu’à ce que l’orgueil national réclame à cors et à cris un président à faire rêver jusque dans les hameaux des gens singulièrement dépenaillés.

Macky Sall, lui, ne doute pas de sa mission : deux mandats de cinq ans sont largement suffisants pour son programme qui se résume en un mot : dé-wadisation. En langage académique, traduisez par traitement de choc contre la folie des grandeurs…
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Abdoul Aziz Diop