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Société

RITUEL DU « NDUT » EN PAYS SERERE : La Case de l’homme perd de sa vigueur


Lundi 27 Octobre 2014

«Ndut », cette métaphore du nid qui désigne l’initiation masculine chez les Sérères, était jadis un passage obligé pour devenir un Homme. Ainsi, après un à deux mois de formation tous azimuts faite de toutes sortes de corvées, en pleine brousse, loin du regard des femmes, l’initié retournait chez lui. Il devenait maintenant un Homme à même d’assumer ses responsabilités et à faire face à toutes les épreuves de la vie. Aujourd’hui, en milieu sérère, la case des hommes est en voie de disparition. La modernité et l’école des Blancs assimilées aux contraintes de temps qu’elles induisent en seraient les causes.

Le « ndut », connu comme étant cette fameuse case des hommes chez les Sérères, se meurt. Parmi la jeune génération, rares sont ceux qui ont fait « cette école de la vie », qui était pourtant un passage obligé pour toute personne aspirant à devenir un jour un Homme, un vrai ! « Le vrai « ndut » dont je me rappelle remonte à plus de 30 ans ! Les rares séances d’initiation qu’on voit aujourd’hui ne le sont plus que de nom », explique, avec regrets, Hamady Ndong, du village de Niakhar.
Il assimile la disparition progressive de ce rituel à une grande erreur, soutenant que c’est une perte incommensurable pour le patrimoine culturel sérère. « Si aujourd’hui les valeurs morales et éthiques ont disparu de notre société, c’est parce que les gens ne passent plus par la case des hommes, comme ce fut le cas auparavant. On sortait du « ndut » armé de courage, d’endurance, de respect, d’honnêteté, de dignité, de loyauté, de discrétion…, de toutes les vertus », déplore le quinquagénaire.
Abdoulaye Ngom, la cinquantaine comme lui, aborde dans le même sens. « Le « ndut » était une école de formation pour être un homme. Il forgeait l’individu et lui inculquait toutes sortes de vertus. A la sortie, l’initié était aguerri, prêt à faire face à toute épreuve, mais aussi respectueux envers tout le monde. L’homme qui subissait l’initiation savait reconnaître et respecter ses ainés et ceux qui avaient le même âge que son père et sa maman», renchérit-il.

La modernité et l’école au banc des accusés
Selon le vieux Diégane Ndong du même village, c’est sans doute à cause de la modernité, avec son corollaire l’individualisme, et l’école occidentale que la case des hommes n’existe plus. « Autrefois, les gens se concertaient. Et ensemble, ils fixaient une date pour la circoncision de tous les jeunes du village en âge d’être initiés. C’était vraiment l’affaire de tous. Aujourd’hui, c’est l’individualisme total. Les parents font circoncire leurs enfants dès le bas âge, voire au berceau, et n’ont plus besoin d’en discuter préalablement avec les voisins. Le résultat est qu’il n’y a plus de « ndut ». Ce qui est dommage, dans la mesure où l’initiation est importante pour le devenir de tout homme », regrette-t-il.
Il reconnaît néanmoins qu’avec l’avènement de l’école des Blancs, les contraintes de temps occasionnées par cette dernière font qu’il n’est plus possible d’organiser des « ndut » dignes de ce nom. « Jadis, l’entrée dans la case des hommes pouvait durer un à deux mois. Mais aujourd’hui, avec les études et les contraintes de temps qu’elles induisent, cela n’est plus faisable. On ne peut plus se permettre d’organiser un évènement d’une telle durée et le « ndut » en pâtit beaucoup », poursuit le septuagénaire.
A en croire le vieux Diégane, le futur initié devait, avant la redoutable épreuve de la circoncision, sacrifier au rituel du « wong », cette danse bien connue des non-circoncis qui aspirent à l’initiation.

Le « wong », la danse du « haat »
Selon lui, le « haat » (Ndlr : candidat à la circoncision) devait, la veille de la circoncision, faire étalage de tous ses talents de grand danseur devant tout le village. « Le candidat à la circoncision mettait également à profit le « wong » pour démontrer qu’il était enfin devenu un homme, qu’il n’avait plus peur de rien. C’est ainsi qu’outre le rituel de la danse, il devait montrer au public qu’il résistait désormais à l’arme blanche. Cela, en se poignardant sans cesse. Certains de ses proches l’imitaient, en reprenant le même geste. Quant aux autres spectateurs qui n’étaient pas sûrs d’eux, ils n’osaient pas s’approcher de lui », révèle, nostalgique, Diégane Ndong.
Passé ce rituel, le « haat » devait, le lendemain, s’atteler aux choses sérieuses : l’épreuve fatidique de la circoncision. « Tout le monde venait assister à la circoncision. Les parents du candidat à l’initiation étaient naturellement présents, certains munis de bâtons, de gourdins et de couteaux, prêts à s’en prendre à leur protégé au cas où celui-ci serait tenté de fuir », se rappelle Hamady Ndong. Du coup, souligne-t-il, tous les regards étaient braqués sur le futur circoncis qui, seul au milieu du cercle et face au praticien, devait démontrer, une fois de plus, qu’il était un homme. « Il lui était interdit de montrer un quelconque signe de douleur, ni de crier, encore moins de fuir », fait-il remarquer.

Epreuve d’endurance
A l’image de l’épreuve du « kotéba » dans les Nouveaux contes d’Amadou Coumba, la circoncision en pays sérère était une « épreuve d'endurance, d'insensibilité à la douleur ». « L'enfant qui pleure en se faisant mal n'est qu'un enfant, l'enfant qui pleure quand on lui fait mal ne fera pas un homme ». Ces propos extraits de cette œuvre de Birago Diop résumaient parfaitement la conception que les Sérères avaient de la circoncision. Le circoncis n’avait pas à se tordre de douleur ou à pleurer pour ne pas déshonorer et jeter en pâture toute une famille. Au contraire, il devait être exempt de tout reproche et faire preuve d’une témérité sans commune mesure tout au long de l’épreuve de la circoncision.
Hamady Ndong fait savoir que tout au long de la cérémonie, le futur initié devait également prouver, comme le voulait la tradition, qu’il détenait de solides connaissances mystiques. Car chez les Sérères, « ndut » et mysticisme sont intimement liés. Ainsi, cette pratique s’accompagne de tout un ensemble de rituels, avant, pendant et après.
« Le jour de ma circoncision, trois « ngaamaan » (Ndlr : praticiens de la circoncision) ont fui devant mes démonstrations mystiques. Seul le quatrième m’a tenu tête et a réussi à me circoncire », se vante-t-il encore.
D’après le vieux Diégane Ndong, c’est à l’âge adulte que les personnes se faisaient circoncire. « Le candidat à la circoncision devait avoir 20 ans ou plus, être en âge de se marier, et être capable de labourer, à lui seul, les champs de la famille », martèle-t-il.

Circoncis à 21 ans !
Abondant dans le même sens, Hamady Ndong affirme être circoncis à l’âge de 21 ans. Il était déjà un solide gaillard à même de prendre correctement en charge une famille.
Jadis, c’était loin du village et « du regard inquisiteur des femmes », en pleine brousse, qu’on installait la case des hommes. « Le nombre des circoncis pouvait atteindre la quarantaine, voire la cinquantaine. Pendant un, parfois deux mois, les initiés se soumettaient, avec obéissance, aux rigueurs du « ndut ». Derrière les « selbés » qui veillaient sur eux et leur chef suprême, le koumakh, ils étaient formés, à travers des devinettes, des chants, à mieux faire face aux épreuves de la vie, à être endurants, respectueux, honnêtes, etc. », rappelle-t-il.
Comme toute formation, il y avait un prix à payer. « Les circoncis étaient soumis à toutes sortes de corvées et d’humiliations ; l’objectif étant de forger leur caractère et de les préparer à mieux affronter les aléas de la vie », explique-t-il en fin connaisseur.
Bref, le « ndut », c’était comme la case des hommes telle que décrite dans les Nouveaux contes d’Amadou Coumba, à savoir ce lieu « où l'on trempait le corps, l'esprit et le caractère, où les passines, devinettes à double sens, s'apprenaient à coups de bâton sur le dos courbé et sur les doigts tendus, etc. ». C’était encore le lieu où « ‘‘les kassaks’’, les chants exerce-mémoire dont les mots et les paroles… entraient dans les têtes des circoncis avec la chaleur des braises qui brûlaient les paumes de la main ».

Une organisation hiérarchisée
Comme toute organisation formelle, le « ndut » était bien hiérarchisé. A sa tête, il y avait le « koumakh dali » qui veillait sur tout le monde et indiquait les directives à suivre. « Il n’était pas n’importe qui. Il était choisi selon ses qualités de chef et ses pouvoirs mystiques avérés. Le « koumakh » se transmettait aussi de père en fils », dixit Diégane Ndong.
Après le « koumakh », il y avait les « selbés », qui étaient chargés de veiller sur les circoncis durant toute la durée de l’initiation. Ils étaient les aînés des « ndioulis » (circoncis) pour les avoir devancés dans la case des hommes. Enfin, au bas de l’échelle, venaient les nouveaux initiés dont chacun portait un surnom. « Ces surnoms étaient des noms d’animaux. Il y avait, par exemple, « gnigue », l’éléphant, « ndud », le vautour…; et chacun avait son rôle à jouer pour la bonne marche du « mbar » (case des hommes) », précise Abdoulaye Ngom. Il ajoute que tout au long de l’initiation, les initiés, avec leurs « selbés », sillonnaient les villages en quête de pitance. « Avant toute tournée, les circoncis prédisaient ce qu’ils allaient rapporter comme butin », explique-t-il. Et gare à eux si leurs prédictions ne se réalisaient pas ! Ils devaient, dit-il, en payer le prix en se soumettant à un « mbérelé », une rude correction que leur faisaient subir les « selbés ».
Au terme de la formation, le « koumakh », chef suprême du « ndut », remettait chacun à sa famille. Un moment d’émotion et de retrouvailles après une longue période d’absence. Certains parents organisaient une fête pour célébrer, en grande pompe, le retour de leur héro au bercail !
LESOLEIL





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