RAMADAN ET PRODUCTIVITÉ : JOURNÉE TYPE DU JEÛNEUR EN ENTREPRISE PAR NAFISSATOU DIA
Nous sommes environ à mi parcours du mois béni du Ramadan. Mois béni entre tous, il l’est cependant moins pour l’entreprise. En effet, avec les jours qui passent, l’enthousiasme des salariés jeûneurs, la motivation comme les réserves du début, fondent peu à peu comme neige au soleil, enfin, je devrais peut-être mieux dire comme… karité au soleil ! Si le jeûne renforce la foi, il met les nerfs à dure épreuve et… la productivité carrément en berne. Pour les DRH, c’est la quadrature du cercle : comment trouver le juste équilibre entre la tolérance face à une prescription divine (un des cinq piliers de l’Islam) et la nécessité de productivité pendant ces 29 ou 30 jours, sans compter ceux qui sentu weer, gungué weer, fey bor koor et autres festifs des deux ou trois korité, dans leur patelin d’origine pour une durée pouvant excéder une semaine ? Ce n’est pas gagné pour le business !
8H00 DU MATIN. PRISE DE SERVICE.
Ce n’est pas la bousculade à la pointeuse. Les salariés arrivent dans l’entreprise au compte goutte, la plupart avec les yeux rougis par une nuit trop courte ou le ventre ballonné du fait des excès alimentaires de la veille. Le ton est donné et ce sera ainsi toute la journée : « Doucement le matin, pas trop vite l’après midi. » Plus l’occasion de sacrifier au traditionnel café/croissant du matin devant la machine à potins, oups, je veux dire le distributeur automatique de boissons. Chacun rejoint son poste de travail, la mine renfrognée, après un bref salut aux collègues. Pas de salamalecs, pas d’effusion, le strict minimum. Pour les dossiers de la veille en souffrance sur le bureau, ce sera le même tarif : le strict minimum. A chaque jour de ramadan suffit sa peine. La matinée avance entre bâillements et gargouillis d’estomac. Vers 11h, histoire de s’assurer que tout le monde est là et l’esprit un tant soit peu réveillé, démarrent les réunions. Pendant cette période, en effet, les réunions sont, de préférence, organisées le matin alors que les esprits sont encore frais, après qu’un regain d’énergie nous a tiré de la léthargie aggravée par le manque de sommeil et la digestion laborieuse du copieux xëdd. C’est étonnant, les plus « grandes bouches » (pour rester polie), les plus contestataires sont installés dans le fond de la salle et font … tapisserie ! Ainsi, les décisions sont vite prises, à la majorité silencieuse donc consentante et les trois heures, qu’il faut d’ordinaire à l’approbation d’un plan d’actions, sont réduites à un tour d’horloge à la grande satisfaction de tous. Puis, raclement de chaises, raclement de babouches et chacun retourne aussi silencieusement à son poste finir la sieste du matin.
13H00. PAUSE SYMBOLIQUE.
Les ventres crient famine et l’organisme est là pour se rappeler à notre bon souvenir, habitué qu’il est, sinon au bon tiep du restaurant d’entreprise, au plus frugal sandwich qui, l’imagination aidant, ferait presque office de festin en ce mois de si dures privations. Exit donc le repas suivi des mythiques « trois normaux ». Un tapis de prière étendu sous le bureau servira de natte de fortune pour un petit somme, histoire de tuer le temps.
13H30. REPRISE.
Horaires réaménagés obligent (il faut bien terminer plus tôt), on sacrifie à la prière de zohr, histoire de se détendre un peu les membres pour attaquer la deuxième moitié de la journée, la plus critique. Le nez dans les dossiers, c’est l’encéphalogramme plat. Les cellules grises font grise mine. Là, pour un rien, les esprits s’échauffent, les erreurs se multiplient sur les dossiers sensibles et…l’estomac tourne toujours à vide.
16H00. LA TANT ATTENDUE « DESCENTE ».
Les couloirs qui, une heure plus tôt encore, étaient peuplés de zombies semblent désormais hantés tant ils sont déserts. A part nos braves femmes de ménage qui s’échinent encore, mes coreligionnaires connaissent un sursaut d’énergie, hors de l’entreprise, s’entend, pour dévaliser les supermarchés une bonne heure avant l’heure (avancée) de sortie officielle et trois bonnes heures surtout avant la coupure. C’est simple, dans la journée, on ne vit que pour ce moment où le délicieux bissap va inonder nos gorges asséchées et les deglet nour vont faire revivre nos papilles esseulées. C’est la ruée vers les rayons frais du supermarché. Les saucissons de boeuf, gruyère et autres croissants passent à la trappe en même temps, malheureusement, que le contenu de notre portefeuille. C’est notre banquier qui va être content !
17H00. HOME, SWEET HOME.
Tous les gosses du voisinage (les nôtres aussi, on espère), se ruent vers la boulangerie et en ressortent les bras chargés à ne plus voir devant eux. Dès le seuil de la porte, les effluves du délicieux tiep ou couscous se jouent de nos nerfs et testent notre degré de piété. Allez, encore quelques heures ! On s’accroche au chapelet comme à une bouée de sauvetage. Enfin… ceci est valable pour les messieurs. Nous les dames, travailleuses ou non, avons intérêt à dresser la table et à nous affairer aux fourneaux dès le milieu de l’après midi, sinon avant. Tant pis pour celles qui travaillent. La tolérance de Alaji, le ventre creux, est proche de zéro.
19H10. LA DELIVRANCE.
Par soucis de sutura, je ne décrirai pas les agapes des sowène et autres sérères. Tout ce que l’on constate, c’est que l’enthousiasme, qui a manqué toute la journée comme par enchantement, revient au galop. Pendant ce temps, les dossiers ramenés du bureau avec parfois l’ordinateur portable, par acquis de conscience uniquement, attendent négligemment dans un coin du salon. Ils y seront probablement encore demain matin au moment de recommencer une nouvelle et dure journée de jeûneur en entreprise…
Pratiques qui consistent à jeûner quelques jours avant et après la période prescrite (surérogatoire)
Fait de jeûner les jours manqués pendant la période, du fait de maladie ou autre indisponibilité
Aïd el Fitr
Repas du matin, avant l’aube
Riz
Thé sénégalais ou ataya
Deuxième prière de la journée plus communément appelée Tisbaar
Variété de dattes très prisées
Monsieur
Discrétion
Ceux dont le patronyme est « Sow », cousins à plaisanterie