Précisions sur les décrets d’avance : délires et réalité des faits Par Abdou Latif Coulibaly, Ministre, Porte-parole du Gouvernement
L’opinion publique nationale est souvent sollicitée par des opposants au régime pour tenter de la convaincre que la mauvaise gouvernance financière qui était une marque bien établie dans la conduite des affaires publiques, au cours des douze dernières années, se poursuit avec le nouveau régime.
Il est courant, de ce point de vue, d’entendre des critiques de la gestion en cours, fonder leur argumentaire sur l’idée que la pratique des décrets d’avance en est une parfaite illustration. Osons engager le débat sur la question, sans a priori, ni passion démesurée, pour éclairer définitivement les citoyens sur ce qui relève de la désintoxication ou traduit plutot un noble souci de protection des deniers publics.
Historiquement, la notion de décret d’avance est entrée dans le lexique des finances publiques de façon officielle à partir de l’année 2001. C’est une directive de l’Uemoa qui a décidé d’interdire, dans le principe, la faculté laissée au Pouvoir exécutif de procéder à des virements de crédits d’un chapitre budgétaire à un autre, entre le vote de deux Lois de finances. Le législateur a toutefois prévu des dérogations en permettant à l’Exécutif de procéder par décret, à titre exceptionnel, à des virements de crédits d’un chapitre à un autre, pour des montants n’excédant pas 10% des crédits initiaux inscrits.
Le pouvoir précédent trouvant la règle trop contraignante, avait souvent contourné l’interdiction en utilisant la procédure d’avance de trésorerie. C’est cette pratique qui avait conduit aux fameux dépassements budgétaires, constatés au cours de l’ancienne gestion, en particulier au cours de l’exercice 2007 et appelés dépenses extrabudgétaires. D’ailleurs, devant l’émoi suscité par ce triste spectacle, auprès de l’opinion et des partenaires au développement, le ministre du Budget de l’époque fut limogé.
Son successeur avait proscrit cette pratique d’avance de trésorerie, considérée comme une négation de l’orthodoxie financière, telle qu’imposée par les directives de l’Uemoa, intégrées dans notre législation nationale. Le pouvoir sortant a usé énormément des décrets d’avance. Avec le régime socialiste, les règles en cours à l’époque, n’imposaient aucune contrainte normative pour faire procéder à des transferts de fonds. Cette pratique était libre et dépendait des besoins exprimés par l’autorité en la matière.
Quel est le fondement économique et budgétaire qui explique l’autorisation exceptionnelle de virement de crédits ? Il peut arriver que des crédits votés pour des dépenses précises, pour des raisons légitimes et justifiées ne puissent être effectivement dépensés, alors que des dépenses nécessaires dans des secteurs ne sont pas couvertes par les crédits inscrits dans le chapitre qui les concerne. Le cas échéant, le pouvoir doit procéder à des réaménagements qui justifient les besoins de virement de crédits. Autre cas d’école : il peut arriver que des recettes non prévues dans le budget initialement voté soient collectées par l’Etat. Le cas échéant, le pouvoir exécutif a recours à la procédure des décrets d’avance pour faire inscrire au chapitre des dépenses publiques les sommes nécessaires. Il en est ainsi avec les fonds collectés à la suite du règlement du contentieux concernant les investissements de DP World au Port Autonome de Dakar.
Pour en revenir à la pratique actuelle en la matière, on peut constater qu’au total, le président de la République, son Excellence, Macky Sall a signé depuis son avènement au pouvoir un total de vingt neuf (29) décrets d’avance. Précisions que toutes les allocations de crédits effectuées par ces décrets d’avance l’ont été après annulation de crédits d’égal montant, sur la base de rapports de présentation explicites communiqués à l’Assemblée Nationale, au même titre que lesdits décrets. La précision est importante. Il ne s’est alors point agi de gymnastiques budgétaires tendant à détourner des crédits vers des objectifs non avouables.
Il s’avère utile de signaler que sur les vingt neuf (29) décrets d’avance soumis à la ratification de l’Assemblée nationale dans le cadre du projet de loi de finances rectificative pour l’année 2013, seuls cinq (5) ont été pris au titre de la gestion 2013 ; les vingt quatre (24) autres concernent la gestion 2012.
Il serait fastidieux, voire rébarbatif de considérer les vingt neuf décrets pour en expliquer les motifs et le caractère impératif et urgent. Cependant, un examen attentif de la destination des crédits alloués aussi bien par les cinq (5) décrets d’avance de 2013 que les vingt quatre (24) de 2012 permettra de se rendre compte du caractère urgent des opérations bénéficiaires de ces allocations de crédits. Ceux qui sont intéressés par les détails de ces décrets pour constater les raisons qui les justifient et établissent l’urgence des mesures, peuvent en toute liberté, pour la clarté du débat, consulter à l’Assemblée nationale tous les documents y afférents.
Considérons au moins deux des cinq décrets de 2013, pour étayer davantage notre propos. Après six (6) mois d’exécution du budget en 2013, le gouvernement a, en effet, eu recours à deux (2) décrets d’avance d’un montant de 36 374 190 172 francs Cfa. Les sommes allouées ont été réparties comme suit : (Décret n° 2013-583) du 29 avril 2013 d’un montant de 10 798 882 647 francs Cfa, gagé sur des crédits d’égal montant annulés par arrêté (n° 005561/MEF) du 17 avril 2013) ; Décret (n° 2013-314) du 06 mars 2013 d’un montant de 25 575 307 525 francs Cfa gagé sur des crédits d’égal montant annulés par arrêté (n° 003422/MEF) du 06 mars 2013 a été pris pour l’affectation de la réserve de gestion d’un montant de 25 milliards de FCfa prévue dans la loi de finances initiale 2013, pour faire face en cours de gestion à des dépenses imprévues.
En effet, il a été retenu dans notre Programme économique et financier appuyé par l’Instrument de soutien à la politique économique (Ispe), conclu avec le Fonds monétaire international, une provision budgétaire de 5% des crédits de paiement de l’année en cours, pour faire face à des dépenses imprévues en cours de gestion.
En 2013, la réserve de gestion s’est établie à 25 milliards de FCfa et a été affectée aux opérations suivantes : édification d’un centre de conférences à Diamniadio pour abriter le sommet de la 15ème conférence de la francophonie : 14 milliards 500 millions de francs Cfa; réhabilitation de la route Fatick-Kaolack : 10 milliards de francs Cfa ; construction du Lycée Professionnel de Sandiara : 500 millions de francs Cfa.
Le mécanisme d’affectation de cette réserve de gestion consiste à annuler les crédits de ladite réserve et à les rouvrir pour les opérations susmentionnées. Cette procédure est connue sous le vocable de «décret d’avance» et «arrêté d’annulation de crédits».
Les crédits additionnels de 575 307 525 FCfa pris en compte dans le décret d’avance concernent le règlement des arriérés des factures d’Electricité de France (Edf) dans le cadre du Contrat d’assistance technique conclu entre Edf et Senelec au titre de l’exécution du «Plan Takkal». Par conséquent, le recours qu’à deux (2) décrets d’avance en 2013 montre à suffisance que le budget 2013 a été élaboré en droite ligne avec les engagements et orientations politiques du président de la République, dans le programme Yonnu Yokkuté traduit dans la Déclaration de politique générale du Premier ministre et déclinée en une Stratégie nationale de développement économique et sociale (Sndes).
C’est pourquoi, il ne saurait être question en 2013, d’utilisation abusive de décrets d’avance et le gouvernement, fidèle à son option d’une gouvernance vertueuse et d’une gestion transparente des finances publiques, utilisera de manière rationnelle l’instrument légal du décret d’avance et toute mesure de cette nature sera immédiatement communiquée à l’Assemblée nationale, comme l’ont été celles relatives aux deux (2) décrets d’avance pris jusqu’ici, au titre de la gestion 2013.
C’est en 2012 que le gouvernement a eu recours à vingt quatre (24) décrets d’avance pour un montant de 66 971 094 983 FCfa, mécanisme qui, dans l’attente de la mise en place de la nouvelle Assemblée nationale et du vote du projet de loi de finances rectificative pour l’année 2012 qui n’est intervenu qu’en octobre 2012, restait le seul instrument permettant aux nouvelles autorités d’agir sur le budget et de prendre en charge les préoccupations urgentes et prioritaires des populations. Là également, nul ne saurait, avec raison, parler d’abus.
Le nouveau régime installé était tenu d’annuler des projets initiés par l’ancien pouvoir qui n’influaient pas de façon décisive sur la croissance économique et le vécu des populations. On peut, entre autres, citer : le Programme de déménagement du Fesman, le Plan Jaaxaay, l’acquisition de produits phytosanitaires, la construction de la résidence de Kébémer, la promotion des biopesticides et biofertilisants, l’acquisition de véhicules pour les chefs de villages, etc.
Conformément aux engagements souscrits par le gouvernement dans le cadre de son programme économique et financier, le Fmi, à l’instar de la Commission des finances de l’Assemblée nationale, est destinataire des décrets d’avance et des arrêtés d’annulation de crédit. C’est en toute connaissance de cause que la dernière revue du Fmi a été concluante et que les performances économiques en 2012 et les perspectives de 2013 ont d’ailleurs valu à notre pays, l’amélioration de la notation souveraine de négative à stable faite par Standard & Poor’s.
Ces faits méritent d’être portés à la connaissance de l’opinion publique nationale. Au total, pour une période de 21 mois d’exercice, le nouveau régime a signé 29 décrets d’avance pour un montant global de 148 milliards de francs. Nous sommes bien loin des fantasmes entretenus par certains critiques qui font dans le délire et la démesure, en comparant les pratiques actuelles avec celles du passé. Soit une moyenne annuelle de 14,5, pour un montant moyen par année de 74 milliards de crédits virés. Sachons alors raison garder.
Entre 2008 et 2011 (trois ans d’exercice), le pouvoir sortant a édicté 102 décrets d’avance, pour un montant global de crédits virés de 426 milliards de francs. Soit une moyenne de trente quatre (34) décrets d’avance par an, pour des montants annuels moyens de 142 milliards. Sans compter les avances de trésorerie qui ont provoqué, au cours de l’exercice 2007, la catastrophe budgétaire que l’on sait maintenant.
On le rappelle, pour l’année 2013, cinq décrets d’avance ont été signés par le chef de l’Etat, alors qu’en 2012, vingt quatre (24) l’ont été, pour un montant cumulé de 148 milliards de francs. Nous sommes loin des 200 milliards FCfa avancés dans la presse.
J’ai expliqué devant le Conseil économique social et environnemental, les raisons des décrets d’avance signés en 2012, année de rupture politique en cours de gestion financière. A cette occasion, je n’avais pas visé dans mes explications, les décrets d’avance de 2013. Ce présent texte se propose d’ailleurs, de compléter notre intervention devant ce cadre institutionnel de haut rang.
Ce que nous avons l’avantage d’exposer dans cette tribune est la stricte vérité des faits. Les décrets d’avance signés par le chef de l’Etat trouvent leur fondement dans la loi financière nationale et communautaire. Ces instruments strictement encadrés, procèdent d’un souci exclusif de réorientation limitée de certaines ressources publiques, dans le but d’une prise en charge nécessaire et utile d’actions prioritaires de gouvernement.
En conclusion, il m’arrive souvent de me poser la question de savoir quelle est la motivation réelle de certains protagonistes du débat public, en examinant les arguments produits, ici et là. Il en est ainsi, par exemple, quand certains soutiennent sans précaution que les décrets d’avance signés en 2013 cumulent un montant de crédits virés de 200 milliards de FCfa. Se trompe-t-on volontairement pour tenter d’induire le Peuple en erreur, ou se trompe-t-on par ignorance, à cause d’un défaut d’informations utiles ? Dans l’une et l’autre hypothèse, c’est manifestement regrettable.
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