Il est le personnage principal du dernier film de Moussa Touré. Son nom : Khadim Sène. Dans Bois d’ébène, le dernier docu-fiction du plus prolixe des réalisateurs sénégalais, sa gueule rebelle frappe à l’écran, et tout son jeu d’acteur dessine déjà la carrière prometteuse de ce jeune talent du 7e art sénégalais. Le film, dans lequel il joue pour la première fois, est structuré autour du déroulement du commerce triangulaire. L’on y raconte une expédition de traite au début du 19ème siècle entre Ouidah (au Bénin, appelé Juda à l’époque), la Guadeloupe et Nantes mais pas de manière strictement linéaire. Et dans la trame de fond le cinéphile découvre le destin brisé de Yanka et Toriki, deux amoureux vendus séparément, comme des millions d’Africains en quatre siècles. Justement, dans ce film mémoriel, Khadim Sène qui incarne le personnage de Toriki a véritablement la gueule de l’emploi.
Dans son rôle, il arrive parfaitement à communiquer des émotions et faire vivre le texte qui lui a été donné, à tel point qu’on se croit par moment non pas dans une fiction, mais dans la réalité des faits. Non seulement, le jeune comédien sénégalais représente avec beaucoup de dextérité l’esclave, en mimant presque sans faute la réalité telle que vécue par ces ancêtres, mais surtout, il s’impose déjà à l’écran à travers sa carrure d’acteur dans les différentes séquences qui s’enchaînent. Le jeune-homme utilise différentes techniques vocales, gestuelles, corporelles et respiratoires pour donner vie à son personnage et captiver son auditoire. Son seul hic dans ce film commandé par France télévision et produit par Les films d’ici : c’est un défaut d’expression, que le réalisateur aurait pu maquiller en doublant sa voix. Mais ceci n’enlève rien à son talent. Comédien de théâtre avant de faire ses premiers pas dans le cinéma, le jeune acteur a commencé sa carrière sur les planches en 2007. «J’ai commencé avec la compagnie théâtrale Zénith arts de Pape Faye au HLM grand-Yoff et j’ai continué à travailler avec l’association des artistes comédiens du Théâtre sénégalais Arcots de Dakar», explique-t-il.
Le jeune Khadim a en effet joué dans plusieurs pièces de théâtre. Et pas n’importe lesquelles. On l’a vu sur scène dans Le sacre du Ceddo du dramaturge Alioune Badara Bèye où il interprétait le rôle de Galaye. Il a également été comédien dans la Cruche cassée du metteur en scène Ibrahima Mbaye Sopé. Ce jeune-homme à l’avenir déjà prometteur, a été également repéré dans Le choix de Madior mis en scène au Grand Théâtre national de Dakar par le regretté Macodou Mbengue. «Je rends hommage à ce doyen que je respecte beaucoup. C’est lui qui m’a donné la chance d’être comédien. Au théâtre, il a été la première personne qui m’a formé dans le cadre du Festival du théâtre national qui se déroulait à Blaise Senghor», dit-il, lorsqu’on évoque le souvenir de ce géant du quatrième art sénégalais, très tôt rappelé à Dieu.
Khadim qui a interprété dans Le Choix de Madior le rôle de Beuknekeu (charlatan) mentionne que de toute sa jeune carrière sur les planches, cette pièce de théâtre fait partie des pièces qui l’ont le plus marqué. Ce riche parcours aux côtés des ténors du milieu de la scène a surement fait qu’il affute rapidement ses armes au point de se faire remarquer comme un jeune talent. Lui, qui n’a jamais fait d’école de cinéma, a toutefois eu la chance de côtoyer beaucoup d’artistes professionnels sortis de l’Ecole nationale des arts. Ce fut le cas du défunt Macoudou Mbengue, ou encore des acteurs comme Ibrahima Mbaye Sopé, Matar Diouf, Maga Sadibou, ou Kader Diarra alias Pichinini.
Ses références
La plupart de ces aînés du monde du théâtre sont un modèle pour le jeune homme. Lorsqu’on cherche à avoir quelles sont ses références dans le milieu, il affirme avec conviction : «Je peux citer trois personnes que je respecte beaucoup. La première, c’est Ibrahima Mbaye Sopé de Sorano. C’est mon modèle. La deuxième personne c’est Maga Sadibou. Il fait partie des gens qui m’ont formé. Et la troisième personne, c’est une jeune fille pour qui j’ai beaucoup d’admiration, c’est une comédienne de talent, Rokhaya Niang. Je l’ai côtoyée depuis le bas-âge. Elle fait son travail avec professionnalisme, c’est une battante…» Si l’on en croit le jeune Khadim Sène, outre ceux cités, il y a d’autres acteurs qui représentent beaucoup à ses yeux et qui l’ont façonné ou continuent de le formater. Conscient d’ailleurs qu’il lui reste du chemin pour devenir un acteur de renom, il dit continuer à se former auprès de ces aînés, pour qui il a beaucoup de respect. Dernièrement, il était en stage au Théâtre national Daniel Sorano avec la Troupe d’art dramatique du Sénégal. Et mise à part cette opportunité qu’il juge «très importante», il côtoie des metteurs en scène qui viennent de la Suisse. C’est le cas de Patrick Mohr de la Compagnie Spirale de Suisse, avec qui il collabore depuis presque deux ans. Son jeune âge le pousse ainsi à garder espoir et à avoir plusieurs cordes à son arc.
Outre ces collaborations et son implication dans divers projets, Khadim Sène trouve le temps de créer lui-même son spectacle, histoire de se faire un nom. «J’ai construit moi-même un monologue de théâtre qui parle des tirailleurs sénégalais. Ce monologue, je l’ai déjà joué au Centre culturel Blaise Senghor, je l’ai présenté à Thiès, mais aussi au Camp militaire de Thiaroye etc», renseigne le protégé de Moussa Touré, qui explique qu’il «continue à faire des recherches pour être un bon comédien parce que j’aime bien faire les choses très bien et je veux vraiment aller très loin dans ce métier». Mais avec ce premier rôle au cinéma, préfèrera- t-il abandonner les planches pour ne faire carrière que dans le 7e art ? Cette préoccupation, le jeune acteur n’en fait pas un dilemme. «Sincèrement je me sens aussi bien au théâtre qu’au cinéma», réagit-il. Non sans confesser que c’est par pure chance qu’il a été repéré et porté à l’écran dans Bois d’ébène de Moussa Touré.
Une ouverture providentielle
En réalité, le jeune Khadim Sène est tombé dans le milieu du cinéma comme un cheveu dans la soupe. Jusqu’à une période récente, il se contentait de jouer des pièces de théâtre, sans jamais s’imaginer qu’il allait à cet âge rejoindre le cercle restreint des jeunes acteurs du cinéma sénégalais. «Je pense que j’ai obtenu ce qui m’est arrivé grâce à ma générosité, ma politesse… On peut dire que ça a beaucoup joué», renseigne-t-il. Tout en narrant que c’est une de ses tatas qui est au Centre culturel Blaise Senghor et qui s’appelle Mami, une costumière, qui a attiré l’attention de Moussa Touré sur lui. «Un jour après le footing comme je le fais tous les soirs, je suis arrivé à Blaise Senghor, et en rentrant, Tata Mami qui était debout, là avec le réalisateur Moussa Touré, lui a dit du bien sur moi. Regarde bien ce gosse et essaie de le côtoyer, il est bien. Il fait de bonnes choses. Il peut être utile pour toi dans un film, lui at- elle dit». Et Moussa Touré de dévisager le jeune-homme avant de lui dire : «Mon fils, comment tu vas ? Comment tu t’appelles ? Je lui ai dit : c’est Khadim et il m’a dit : tu sais Khadim, tu peux faire des films et je lui ai dit : ah bon ? Et il m’a répondu : « si ! si ! tu peux faire des films ». Et il dit : «viens, je te prends en photo» et il m’a pris en photo. A un moment il m’a dit : «mon fils si tu enlevais ta barbe là, je pense que tu pourrais interpréter le rôle principal dans mon prochain film…. Et je pense que ça sera toi» ». Jusque-là, le jeune acteur ne réalisait pas encore que sa vie et sa jeune carrière venaient de prendre un nouveau tournant. «En ce moment, je n’ai pas réalisé que je venais de gagner un contrat pour me faire connaître au cinéma… Je pensais que Moussa Touré était comme les gens qui parlent de gauche à droite, parce qu’il y en a comme ça dans notre métier, et qui finalement ne donne suite à rien du tout… Donc je lui ai dit : Ok. Sans vraiment y croire», raconte Khadim Sène.
Pourtant deux jours après cette rencontre inattendue, Moussa Touré l’appelle pour qu’il fasse un casting en bonne et due forme. La suite, on la connait. Toriki telle une lumière, jaillit des Bois d’Ebène. D’ailleurs, lorsqu’on interpelle le réalisateur de La Pirogue (Ndlr, son film primé au Fespaco 2013) sur son casting, il affirme au sujet du jeune-homme : «Dès que je l’ai vu à Blaise Senghor, je lui ai dit : tu vas jouer le rôle principal dans mon prochain film. Il avait une gueule qui sied bien à ce que je recherchais». « J’ai du flair pour dénicher du bon talent. Et donc il ne m’a pas fallu beaucoup de temps, pour repérer ce gosse qui a fait du beau travail dans ce film», confiait en coulisse le réalisateur, en marge du cinquantenaire des Journées cinématographiques de Carthage. Cette rencontre, ce premier contrat, cette première expérience, Khadim Sène ne pourra jamais plus l’oublier. «J’étais très content et je le suis encore. J’ai partagé de très bons moments avec un homme exceptionnel. Grand Moussa est exceptionnel… Et après cette expérience, je me suis dit que je peux plonger dans le cinéma. J’ai commencé à travailler dans ce sens. Je ne le regrette pas. Je suis très satisfait. C’est mon premier film et j’ai interprété le rôle principal ça c’est déjà quelque chose. Durant le tournage, j’ai vécu des situations qui m’ont donné l’envie d’être un acteur à temps plein. J’ai vécu des moments très importants, des moments de partage avec les autres comédiens que je voyais à travers la télévision… Et ça, c’est quelque chose», se réjouit aujourd’hui encore le jeune prodige.
Pour l’avenir
Le jeune Khadim Sène qui dit vouloir surtout compter sur le soutien de son mentor pour exceller encore plus dans le milieu du 7e art, jure qu’il ne ménagera aucun effort pour y parvenir. «Travailler avec et aux côtés de Moussa Touré est un grand honneur. Moussa c’est un nom, c’est une marque et j’en suis fier. Je vais plonger dans ce métier qui est le cinéma et travailler comme je l’ai fait avec le théâtre. Le quatrième art c’était ma passion mais le cinéma est devenu aussi ma passion. Cela veut dire que maintenant, j’ai deux branches à suivre et je pense que je vais aller jusqu’au bout», confie très en verve le jeune homme. A l’aéroport de Tunis, peu avant de s’envoler pour Dakar, après avoir pris part au cinquantenaire des Journées cinématographiques de Carthage, il déclarait entre deux silences et un moment de réflexion que sa plus grande fierté sera de «réussir un jour à remporter des trophées dans le milieu du cinéma, en tant qu’ambassadeur du Sénégal dans des compétitions ». Pour cette gueule d’Ange, le chemin est encore long. Mais l’espoir est permis. Vivement une riche et fructueuse carrière !
LEQUOTIDIEN