Patrimoine : Bienvenue dans les appartements du Président-poète !
Lundi 2 Février 2015
Le musée Léopold S. Senghor, situé sur la corniche ouest au cœur de Dakar, a ouvert ses portes après son inauguration le 30 novembre dernier par le Président Macky Sall. Cet espace, ancien domicile familial du Président- poète, où il vécut entre 1981 et 2001, est un grenier riche en découvertes. Devenu, après son acquisition par l’Etat du Sénégal, un musée emblématique du pays, il a été rénové par le groupe Eiffage qui, avec la complicité de la conservatrice, Mme Mariama Ndoye Mbengue, a assuré hier une visite guidée à la presse nationale et internationale.
Par Gilles Arsène TCHEDJI
Venir désormais au Sénégal sans visiter le musée Léopold S. Senghor est une chose impensable. Ne pas visiter ce musée ne constituerait pas seulement une erreur mais une véritable parjure. Ce serait comme aller à Atlanta et ne pas visiter la maison de Martin Luther King. Ce serait simplement rater sa part de l’héritage laissé par un homme d’Etat, un grand homme de culture dont la vie et l’œuvre inspirent toute personne. L’antre des Dents de la mer s’est donc, depuis quelque temps, grandement ouverte au public qui désire faire un pèlerinage dans l’intimité familiale du Président-poète. Cette demeure, un remarquable ouvrage réfectionné par le groupe Eiffage Sénégal, est une propriété d’une superficie de 7 849 m². Elle comporte un immeuble bâti de 800 m² sur deux niveaux, des dépendances, un jardin dans la cour avant, un espace boisé et une piscine.Ce musée, inauguré le 30 novembre dernier à la l’occasion du XVe sommet de la Francophonie par les Présidents Macky Sall, François Hollande et Abdou Diouf, a pour conservateur, Mme Mariama Ndoye Mbengue, ancienne directrice du Livre et de la lecture. Elle est assistée dans sa mission par M. Barthélemy Sarr, gendarme à la retraite et ancien agent ayant travaillé aux côtés du défunt Président Léopold S. Senghor. Ce sont notamment ces deux personnes, appuyées par le personnel de Eiffage Sénégal, qui ont dirigé hier, la première visite presse de cette demeure qui a été construite à partir de 1978 par un architecte du nom de Ponamy. En réalité, lorsqu’on pénètre dans cette cour familiale de Léopold S. Senghor, l’on comprend mieux l’inexplicable. Chef d’Etat inamovible, Senghor fut en toute chose, un homme effacé et sans folie des grandeurs. Les espaces familiaux de ce lieu de mémoire en témoignent. Tout dans ce musée est fait avec simplicité et beaucoup de goût, à l’image de l’illustre disparu.
Les lieux à visiter
Le musée Léopold S. Senghor est en réalité, unique en son genre. Dès l’entrée au rez-de-chaussée, les visiteurs sont frappés par l’espace protégé par des baies vitrées et d’où s’échappe une fontaine d‘eau. L’eau, source de vie, avait effectivement tout un sens pour le premier Président du Sénégal indépendant. Lui qui écrivait : «J’ai fait retraite à Popenguine-la-Sérère. Retourné aux éléments primordiaux. A l’eau je dis au sel, au vent au sable, au basalte et au grès. Comme la blanche mouette et comme le canard noir, le crabe rose», était un natif de Joal, une commune au bord de l’eau. On comprend donc qu’il ait fait réaliser cette belle fontaine pour que sa demeure soit une source intarissable d’eau. d’inspiration surtout. Aussi constate-t-on au premier coup de regard, son amour profond pour la littérature. Lui le premier noir de l’histoire à faire son entrée à l’Académie française, ne pouvait vivre là sans ses nombreuses bibliothèques contenant des ouvrages qui titillent la curiosité.
L’amour des livres
«Depuis que je suis devenue conservatrice de ce musée, je passe mon temps à lire et à découvrir avec beaucoup de passion l’univers littéraire de Senghor, les ouvrages qu’il lisait ou aimait lire... Pour le moment, je suis une privilégiée...», se glorifie Mariama Ndoye Mbengue qui n’arrive pas à dissimuler son amour commun pour les livres, avec le Président Senghor. Face à chaque bibliothèque ayant appartenu au défunt maître des lieux, elle qui a dirigé près de six années, le musée de l’Ifan devenu Théodore Monod, explique avec force et détails les goûts qu’avait l’ex-propriétaire des Dents de la mer (l‘Etat du Sénégal avait racheté les Dents de la mer sous le régime du Président Wade). «Nous avons laissé ces livres dans l’ordre dans laquelle Senghor lui-même les avait classés. Pour le moment on peut visiter, mais on ne peut pas consulter», explique la conservatrice qui montre du doigt des œuvres de Racine ou de Chaumartin entre autres, mais surtout des encyclopédies et des dictionnaires en tous genres.On parcourt ensuite le couloir jusqu’à la table à manger autour de laquelle la famille se réunie lors des grandes occasions, avant de revenir vers les salons blancs et roses (couleurs des meubles qui ornent ces espaces). Ici, le défunt Président, premier protecteur des arts, des lettres et des artistes, a étalé tout une collection d’œuvres d’artistes d’ici et d’ailleurs. Parmi elles, celles du talentueux artiste Ibou Diouf et du créateur Bocar Pathé Diongue sont en pole position. Mariama Mbengue explique : «Ce sont des œuvres personnelles que le Président avait acquis, mais il y en a aussi qui lui ont été offertes, comme celles des manufactures de Thiès... Senghor affectionnait particulièrement Bocar Dione. Il y a ici plusieurs de ces œuvres…» La demeure des Senghor dispose de deux bureaux contenant chacun une bibliothèque et des œuvres artistiques. L’un en bas et l’autre à l’étage. Dans celui d’en bas, renseigne-t-on, «il recevait les après-midi ses hôtes...». «Il les recevait à partir de 15 heures», précise-t-on. Ici, sur un pan de la table, est déposée une distinction reçue à Libreville le 12 février 1984. Il s’agit du prix Mercure d’or international pour le développement productif et la coopération internationale.
Dans l’intimité du poète
Suivant le couloir, on pénètre ensuite dans le salon vert. Ici, les télévisions d’époque sont laissées intactes (comme d’ailleurs les autres objets de la maison). Barthélemy Sarr, ancien préposé au service du Président Senghor, est invité par la nouvelle maîtresse des lieux, à partager quelques secrets de cet espace intime. Ce proche du Président, à qui Mme Colette Senghor a confié depuis plusieurs années les clés des Dents de la mer, confesse quelques habitudes de son maître. «Il prenait son petit-déjeuner ici…, recevait les invités dans ce salon qui est plus spacieux et aimait bien s’asseoir de ce côté…» Dans cette pièce, les photos de Philipe Senghor, décédé par accident, ornent les murs. Plusieurs portraits de ce bien-aimé fils du poète trônent d’ailleurs partout dans la maison. Pas une pièce sans une jolie photo de Philipe. «Ceci montre qu’il était très aimé de ses parents», commente Mme Ndoye qui ajoute que Philipe avait beaucoup plus vécu dans cette demeure de Senghor que les autres membres de la famille. On découvre d’ailleurs, parmi ses images souvenirs, celle de sa fiancée de l’époque. «C’est avec elle que Philipe a eu son accident dans lequel ils sont tous deux décédés», renseigne M. Sarr.Au fil de la visite, on tombe sur une vaste collection de documents et de sculptures qui viennent de tous les pays d’Afrique et du monde. Chacun regarde médusé, ces objets d’époque qui témoignent des goûts du Président et de son épouse. Et, en haut à l’étage, juste au-dessus du salon vert, se dressent deux chambres d’amis. La chambre des glycines où Mme Senghor a conservé le berceau de son fils Philipe et la chambre à Rayures dans laquelle, informe Barthélemy Sarr, « les enfants de Lamine Guèye, (ancien président de l’Assemblée nationale du Sénégal) en vacances à l’époque chez les Senghor, aimaient loger». Ces deux pièces donnent d’ailleurs une belle vue sur la mer et sur la cour arrière qui servait par moments à recevoir les fêtes ou les soirées artistiques. Dans l’autre aile de l’appartement, Barthélemy présente, dans un décor tapissé et moquetté, la pièce où résidait la belle-mère de Senghor et sa fille (la sœur de Colette). Cette chambre tout en vert, comme celle de Mme Colette Senghor, rappelle bien la Normandie. Un tableau du grand artiste Hilaire y est posé avec des pots de fleurs aux coins. «Les armoires sont fermées parce qu’il y a encore des objets personnels de Mme Senghor. Nous espérons qu’elle reviendra un jour encore dans ce lieu et reverra tout ceci avant de quitter ce bas monde», plaide émue la conservatrice. Cap sur les appartements personnels du couple Senghor. D’une simplicité extraordinaire, les chambres que compose cet espace sont : le bureau personnel du Président (c’est seulement ici que se trouve posé en face de son fauteuil personnel, un beau portrait de Mme Colette Senghor), sa chambre à coucher (avec un lit de couleur verte, un tableau montrant Joal, les photos des enfants) et la chambre conjugale où habitait Colette Senghor. Ici, une image retient particulièrement l’attention. Sur une table est exposée une photo de Philippe, cigarette en main. «Il était jeune et était comme tous les jeunes de son âge. Il aimait aussi faire la vie…», mentionne sur un air taquin, la conservatrice qui prend la précaution d’interdire aux journalistes (notamment les hommes), la visite de la salle de bain de la maîtresse des lieux. «C’est trop privée», dit-elle renseignant juste que l’on y retrouve que les flacons des produits de dames qu’elle utilisait à l’époque. Dans ces chambres présidentielles, tout ou presque est fait à base du rotin peint en banc. Et si la pièce du Président n’est pas climatisée, celle de son épouse l’est tout au moins. A la fin de ce tour du propriétaire, la plupart des visiteurs sont profondément émus et enrichis. Très enthousiastes, les pisse-copies semblent tous fiers de cette grande découverte sur la vie intime de celui qui fut le premier Président du Sénégal indépendant. Entre eux, les premiers commentaires sont positifs : «C’est super enrichissant !», s’exclame-t-on. Pour sa part, Mme Mariama Ndoye Mbengue informe qu’il est important que la jeune génération ne se désintéresse de l’histoire de son pays. «Ce musée ne sera pas élitiste. Cette maison ne doit plus être triste. Il faut qu’elle devienne la maison du Peuple. Car Senghor appartient au peuple…», a-t-elle lancé, rappelant en définitive que c’est bien sur ces lieux riches d’histoire que par intermittence, entre 1981 et 2001, le Président Léopold S. Senghor avait passé ses jours et l’autre partie de sa vie dans sa propriété en Normandie.
LEQUOTIDIEN
Abdoul Aziz Diop
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