Société

PR KHADIM MBACKÉ ISLAMOLOGUE: «J’INVITE SANKHARE A UN DEBAT EN ARABE ET EN FRANÇAIS A L’UNIVERSITE…»


Mercredi 21 Mai 2014

Le livre du Professeur Oumar Sankharé, «le Coran et la culture grecque», est en train de susciter des réactions. Le professeur Khadim Mbacké, chercheur et islamologue, a souligné dans cet entretien les traductions approximatives de l’auteur pour battre en brèche ses arguments. Pour se faire une idée sur son niveau dans la langue du Coran, Khadim Mbacké l’invite à un débat d’idées en langue arabe d’abord, à l’université.

L’as : qu’est-ce que les thèses du pr sankharé vous inspirent, en tant qu’islamologue ?

Khadim Mbacké : J’ai appris la publication de son livre auprès d’un ami professeur d’université, mais je ne l’ai pas encore lu. J’ai parcouru quelques lignes d’un entretien publié dans «L’As». Evidemment je n’ai pas terminé la lecture, mais les premières pages que j’ai parcourues m’étonnent car le Pr Sankharé est bien connu mais là, il dit des choses difficiles à comprendre. Parce qu’en général, un professeur d’université se distingue par la clarté de ses propos et la solidité de ses preuves. Or là, je vois que Monsieur le professeur ne fait pas forcément preuve de clarté dans les idées qu’il avance.

Ensuite, il y a quelques affirmations difficiles à vérifier. Il dit par exemple que le Prophète de l’Islam n’est pas un illettré. Or, l’Islam est là quand même depuis 1400 ans et à ma connaissance, (il faut dire que j’ai beaucoup lu, surtout les oeuvres des orientalistes, puisque moi-même je suis formé en partie par les professeurs de la Sorbonne où j’ai soutenu ma thèse de doctorat le 31 mai 1978), même les adversaires de l’Islam les plus acharnés ne disent pas que Mohamed (Psl) n’était pas un illettré. Il y a beaucoup d’arguments, non seulement des arguments du Coran, parce que le Coran n’est pas la seule source de l’Islam, car il y a les hadiths, mais aussi des témoignages même de non musulmans qui confirment ce que tous les musulmans disent, à savoir que le Prophète était illettré. Alors le fait de dire que Oumiyu ne signifie pas illettré est une affirmation non fondée. Les spécialistes de la langue arabe les plus connus, qu’ils soient arabes ou pas, disent que Oumiyu utilisé dans le Coran signifie illettré. La traduction qu’il fait de l’expression «bahassa fil ummiyuna rasoulane» est : «on a envoyé le Prophète parmi ses compatriotes ». Ce qui est tout à fait inexact. Oumiyu ne peut pas être traduit par compatriote. Il faut dire que les compagnons chargés d’écrire le Coran l’ont été parce qu’ils savaient écrire et qu’ils avaient mémorisé le Coran du temps même du Prophète. Le premier d’entre eux s’appelait Zaid in Sabid, il était jeune. En fait, l’idée de rassembler le Coran et de l’écrire dans un livre était de Oumar Ben Khatab, le deuxième khalife, au temps où Aboubakr était en charge. C’est ce Zaid qui était chargé de cette tâche. Et ce Zaid là n’avait jamais quitté l’Arabie pour fréquenter les pays où le Grec était utilisé. Je n’ai pas vu dans un livre quelconque que Zaid connaissait le Grec. Les autres qui l’ont aidé non plus. Dire que les compagnons chargés de l’écriture du texte Coranique avaient une culture grecque est un peu exagéré. C’est vrai que le Coran a été fixé après la mort du Prophète, mais c’est du temps de Aboubakr. Je dois préciser que beaucoup de gens savaient le Coran par coeur. Il se trouve que lors des guerres, les mémorisateurs du Coran étaient les plus exposés. Ils appliquaient ce qu’ils savaient du Coran, donc ils ne reculaient pas. Ce qui fait qu’on en a tué beaucoup. Alors, Oumar Ben Khatab a dit qu’il faut inscrire ce qu’ils savent par coeur avant qu’ils ne disparaissent. Parce que s’ils disparaissent, on n’aura plus personne pour reproduire le Coran.

Il souligne que des versions du coran détenues par des compagnons du Khalife Ali ont été rejetées par Ousmane pour des raisons politiques…

Là aussi, c’est une affirmation difficile à accepter. Car il ne s’agissait pas de versions, il s’agissait plutôt de lecture, car il y a plusieurs lectures. Il y a une lecture dialectale due à la différence de dialectes. Mais il ne s’agit pas de versions à proprement parler. Au moment où on collectait les différents morceaux détenus par les uns et les autres, le khalife demandait à l’équipe chargée de cette tâche de ne retenir que ce qui est conforme au dialecte Qoraichite, puisque le Prophète était qoraiche. Mais il ne ’agit pas de versions.

Puisque vous rejetez la traduction de Sankharé, quel est donc le sens du verset «Bahassa filumiyyouna rassoulane» .

Selon la traduction qui est retenue et qui est la plus répandue, «Ba hassa fil umiyuuna» signifie : «Il a envoyé parmi les illettrés un messager issu d’eux-mêmes». Il a envoyé aux illettrés un messager issu d’eux, c’est-à-dire qui n’est pas étranger, qui est de leur propre race, de leur peuple.

C’était un peuple illettré ?

Oui, c’est un peuple illettré. Vraiment en tant qu’islamologue, je suis un peu étonné. Personnellement, je ne vois dans ce que le Professeur dit aucun argument assez solide pour pouvoir me faire adhérer à sa thèse. Il dit que l’universitaire n’a pas la même perception. Quel universitaire ? Il faut qu’il sache que tous les universitaires ne pensent pas comme lui. Moi, j’ai fait 35 ans à l’université et quand je quittais l’université, j’étais professeur titulaire de classe exceptionnelle. Il veut dire que je ne suis pas universitaire ? ll y a d’autres comme le professeur Iba Der Thiam.

Il a dit que pénélope, une figure de la mythologie grecque, est cité dans le coran. est-ce que vous avez vu ce passage dans le coran ?

Non, je n’ai pas vu ce passage dans le Coran. Il y a parfois des versets dont le contenu relève de la sagesse universelle. On peut y trouver des ressemblances avec des éléments de différentes cultures. Mais rien ne permet de dire que tel ou tel élément du Coran ressemble plus à la culture grecque qu’à la culture romaine ou chinoise. Il parle d’un verset qu’il traduit par «ne faites pas comme cette femme qui défaisait la nuit ce qu’elle tissait le jour». Cela n’existe pas dans le Coran. S’il entend par là, la traduction d’un verset de Coran, ça n’existe pas. Il dit que le Coran ne parle pas du voyage nocturne. Mais si, le Coran en parle, il y a même une sourate : Souratou Mihraj, la sourate de l’ascension. A plusieurs reprises, le Coran en parle. Et puis tout l’islam n’est pas dans le Coran. Il y a les hadiths qui expliquent le Coran. Il cite la sourate 110 où on dit : «Nous ne te croirons pas à moins que tu montes au ciel… ». Ça c’est faux. La sourate 110, c’est sourate Nasr (la conquête) qui compte 4 versets. Ce n’est pas la sourate 110. Il dit que le cousin du Prophète, Ibn Abass, a écrit un livre sur cela. Moi je n’ai jamais entendu parler d’un livre écrit par Ibn Abass. Il était certes un savant et surtout en matière d’exégèse coranique. Il y a beaucoup de confusions et d’affirmations gratuites.

Vous semblez douter de l’expertise en arabe du professeur Sankharé…

Je ne le dis pas mais ce qui m’étonne, c’est qu’il y a trois mois je participais à une soutenance de thèse de doctorat d’Etat aux côtés du Pr Sankharé. C’était la thèse de doctorat d’Etat du doyen de la Faculté de Lettres de Nouakchott. La thèse compte pas moins de 400 pages écrites en arabe. Monsieur Sankharé n’a pas prononcé un seul mot en arabe, lui qui était le Président du jury. Il a affirmé qu’il se prononçait sur la thèse sur la base d’un résumé écrit en français. Connaissant l’importance d’une thèse d’Etat et l’importance du rôle du Président du Jury, je ne comprends pas pourquoi Monsieur Sankaré n’a pas lu le texte arabe au lieu de se contenter d’un résumé en français, alors qu’il en est capable puisqu’il dit qu’il est arabisant. Je connais bien Sankharé, je crois que s’il avait publié quelque chose en arabe, ses collègues seraient honorés de pouvoir lire et d’apprécier sa capacité à écrire en arabe. Je serais heureux de participer à un débat organisé à l’université, puisqu’il dit que les universitaires sont les seuls capables de se prononcer correctement sur ce qu’il a écrit. Je serais heureux de participer à un débat. Je lui propose de venir engager un débat en arabe avec nous, moi je suis prêt sur la question. Un débat en français et en arabe.

Le soupçonnez-vous d’avoir des desseins inavoués?

Non .Mon seul contact avec lui, c’était lors de cette soutenance. Mais je dois dire que le timing m’inquiète un peu. Ce que l’on sait, c’est que tous ceux qui veulent une certaine célébrité ou attirer l’attention de certains milieux occidentaux s’attaquent à l’islam, remettent en cause ses croyances, ses textes fondamentaux. Evidemment je ne l’accuse de rien, mais la réalité est là. Vous vous souvenez, il y a un certain Salman Rushdie qui a fait un roman qui n’est pas des meilleurs, mais puisqu’il a remis en cause les choses les plus sacrées de l’islam, le roman a fait le tour du monde. Il a été l’écrivain le plus célèbre. D’autres peuvent croire que s’ils ont des problèmes au niveau de leur université, il suffit de faire un coup comme cela pour attirer l’attention. Je ne suis pas rassuré.

Il a donné l’exemple du verset «ma manhaka an la tasdjuda» pour dire qu’il y a une faute dans le coran. est-ce exact ?

Non, il n’a pas compris. C’est : «qu’est-ce qui t’a empêché de te prosterner ?». Vous savez, ses traductions sont très approximatives.

Il relève la double négation contenue dans la phrase…

Vous savez, le Coran est un livre tellement important qu’il ne s’agit pas de comprendre l’arabe pour pouvoir le traduire. Il faut comprendre la langue arabe, la philologie arabe, la stylistique arabe, un ensemble de connaissances pour pouvoir pénétrer le fond du texte. Donc je ne suis même pas sûr qu’il maîtrise assez le texte pour pouvoir le traduire. «Ma manhaka An la tasdjuda» est parfaitement correct. Le Coran utilise l’arabe le plus pur. Si d’ailleurs le Sénégal et les autres pays non arabes maîtrisent mieux l’arabe que les Arabes, c’est parce qu’ils lisent d’abord le Coran. Dire que Dieu s’est trompé, je ne sais pas comment qualifier cette affirmation

SENEPLUS



Abdoul Aziz Diop