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C’est dans une grande pièce qui fait office d’atelier, sur une natte, au milieu de ses œuvres et d’objets divers, qu’elle reçoit, contente de conter son itinéraire, avec le souci de transmettre à la jeune génération le fruit de son expérience et de laisser des traces…
Se levant de temps à autre pour montrer une riche documentation constituée d’articles de presse, de brochures de présentation d’exposition, entre autres.
Se levant de temps à autre pour montrer une riche documentation constituée d’articles de presse, de brochures de présentation d’exposition, entre autres.
A bientôt 78 ans, cette Saint-Louisienne, autodidacte, se souvient avec précision des conditions dans lesquelles elle a été choisie par un jury pour participer, en guise de première exposition, au première Festival culturel panafricain, en 1969, à Alger. Elle avait déjà joué dans le film "Le Mandat" de Sembène Ousmane et aurait préféré aller accompagner le réalisateur à Moscou pour présenter le film.
Mais pour le comité qui avait sélectionné on œuvre pour Alger, il était important qu’elle fut dans la délégation sénégalaise. Finalement, elle eut le privilège de faire les deux voyages. ‘’Ils m’ont dit : ‘vous allez faire les deux : après Moscou, vous irez à Alger pour pouvoir présenter votre travail. Vous êtes la première femme peinture plastique et une plasticienne doit être dans la délégation.’ Ce qui a fait que j’avais les deux casquettes.’’, raconte-t-elle.
C’est dans la peinture que Younousse Sèye a trouvé le cadre d’expression de ses talents d’artiste, apprenant par l’intermédiaire de sa mère qui était… teinturière.
"Ma mère n’était pas peinture, dit-elle. Elle faisait de la teinture sur les habits. C’est elle qui a attiré mon attention sur les couleurs, en me disant qu’il fallait regarder le ciel, son environnement, regarder les couleurs, les interroger. Je lui ai dit que je pouvais faire de la peinture mais pas de la teinture."
Lorsque sa mère lui demande ce que c’était la peinture, elle lui répond : "Je prends un tableau, je le décore, je fais des taches, des zones d’ombre, des zones de lumière, etc. Ça forme un tableau. Elle m’a dit que je pouvais y aller. Donc elle m’a orientée vers la couleur, moi je me suis orientée avec ces couleurs vers les formes pour pouvoir, avec l’œuvre d’art, réfléchir et inviter le public à réfléchir sur l’œuvre d’art."
+Comment était-elle alors perçue ? Son père, qu’elle a perdu quand elle n’avait que douze ans, ne l’a pas vraiment vue éclore comme peintre. Mais son entourage aimait ce qu’elle faisait et l’encourageait "à aller de l’avant".
LE FESMAN DE 1966, ’’VÉRITABLE RÉVÉLATION’’ POUR YOUNOUSSE SÈYE "Il voyait que le travail d’artiste peintre n’était pas facile, parce qu’on doit dialoguer avec l’œuvre, mais m’encourageait dans ma passion", souligne-t-elle.
Tout cela pouvait encore être considéré comme les balbutiements d’une carrière. Avant qu’arrive ce qui a été pour elle une "véritable révélation" : le Festival mondial des arts nègres, organisé en avril 1966 à Dakar.
"La révélation que ça représentait pour moi était l’expression de notre culture, pas seulement au Sénégal, pas seulement en Afrique, mais dans le monde entier, se rappelle Younousse Sèye, la voix teintée d’émotion. Faire venir ces artistes de partout dans le monde, avec leur talent, leur façon d’exprimer leur culture négro-africaine, m’a donné un baume cœur. Ça m’a donné la possibilité d’exprimer grandement ma culture."
Entre 1966 et 1983, les œuvres de Younousse Sène ont été présentées au cours des Semaines culturelles sénégalaises organisées dans de nombreux pays étrangers. Pour elle, il s’agissait, sous la houlette du président Léopold Sédar Senghor, de "montrer que l’art nègre existe, a ses valeurs, a la possibilité de parcourir le monde…"
C’est dans cette période qu’elle s’illustre comme actrice de cinéma dans les films "Le Mandat" et "Xala" de Sembène Ousmane.
Du premier film, Younousse Sèye dit que "c’était quelque chose d’extraordinaire", estimant que l’œuvre pouvait aller là où elle ne pouvait pas, "donc embrasser la masse". Elle ajoute : "Etre dans un film, être pionnière dans le cinéma négro-africain, c’était quelque chose de tout à fait exaltant et j’estimais qu’il fallait faire non seulement un travail de qualité mais aussi donner le maximum de succès à ce film, parce que ça parlait de notre culture."
"Il fallait valoriser, donner à la femme la possibilité de s’exprimer et de pouvoir assurer une bonne participation", poursuit-elle, parlant du réalisateur Sembène Ousmane comme d’un "féministe qui voulait illustrer la contribution des femmes dans le développement socioéconomique du Sénégal."
"Il (Sembène) a fait du cinéma pour les masses. Notre société avait besoin de cela. Elle avait besoin de se voir dans des films, d’entendre sa langue être parlée, de pouvoir réaliser des progrès … Il a beaucoup donné de lui-même", note l’artiste peintre.
Younousse Sèye a exposé partout dans le monde. Elle se souvient particulièrement de l’exposition d’œuvres d’artistes sénégalais, organisée à l’occasion d’une visite officielle du président Senghor aux Etats-Unis, et à laquelle elle a participé. "Ça a été un grand succès, les Américains sont venus visiter. Cela m’avait donné la possibilité d’être, d’une certaine manière, une artiste internationale." C’est du haut de cette stature qu’elle participe, en 1977, au FESTAC, à Lagos (Nigeria).
De sa première exposition au Sénégal, à la fin de l’année 1971 au Centre culturel français de Dakar, Sèye se souvient du fait que c’est à cette occasion que ses compatriotes ont découvert "le travail de la première femme artiste plasticienne exposé dans un cadre formel."
"Je suis autodidacte – elle n’a jamais mis les pieds dans une école d’art. C’était la curiosité de voir si le talent y était, raconte-t-elle. C’était toujours cela la discussion que j’avais avec le président Senghor : +comment avez-vous appris l’art ?+, +pourquoi vous êtes entrée dans l’art en autodidacte ?+, +le talent que vous avez, qui vous l’a appris ?+"
Younousse Sèye a aujourd’hui le souci de laisser, au-delà des œuvres et des expositions auxquelles elle a participé, une empreinte pour la postérité.
Elle y travaille. "Il ne faut pas rester les bras croisés. Quand on réalise qu’on est pionnière, il va falloir tracer le chemin mais y laisser quelque chose. Il faudrait aussi aider ceux qui viennent après vous, en leur donnant la possibilité de continuer", explique-t-elle. Concrètement, cela consiste pour elle à lancer une "industrie culturelle autour du marbre."
Elle précise : "J’en avais parlé aux présidents Léopold Sédar Senghor, Abdou Diouf et Abdoulaye Wade. Et je voudrais présenter au président Macky Sall le même projet qui a trouvé ses bailleurs de fonds et qui pourrait être implanté dans la région de Kédougou, créer une richesse, des emplois, une dynamique."
Younousse Sèye insiste : "Nous avons un gisement de marbre qu’il faut exploiter pour faire rayonner l’esthétique à travers nos villes. Pour permettre à tout artiste, quel que soit son domaine (sculpture, peinture, recherche…), de venir trouver des infrastructures pouvant nous permettre de répondre à l’attente des architectes… Nous en avons besoin économiquement."
Et les cauris qui ont constitué l’une des premières matières sur lesquelles elle a travaillé trouveront leur place dans ce processus de mise en valeur du marbre.
Et les cauris qui ont constitué l’une des premières matières sur lesquelles elle a travaillé trouveront leur place dans ce processus de mise en valeur du marbre.
La peintre, pionnière dans son domaine, a aussi voulu que les femmes occupent des fonctions dans le gouvernement. C’est ainsi qu’elle n’a cessé de demander à Senghor de nommer des femmes à des postes de ministre.
"De 1966 à 1977, je n’ai cessé de lui dire de nommer une femme dans le gouvernement. Les femmes de son parti ont pensé que je plaidais pour moi-même. Je leur ai dit que c’est pour elles que je le demandais", indique-t-elle avec le sourire, ajoutant : "Le président Senghor était adorable. Il aimait les discussions sur l’art, la culture, la politique. Je lui disais qu’on ne pouvait pas chanter +Femme nue femme noire+ et ne pas avoir dans son gouvernement des femmes."
"Il me disait que sa poésie n’avait rien à avoir avec sa politique, mais je lui disais que tout se tenait, il fallait donner à la femme la possibilité de gérer les affaires de la cité", conclut-elle.
Younousse Sèye a finalement été entendue, puisqu’en 1978, Senghor nommait Maïmouna Kane au poste de secrétaire d’Etat à la Condition féminine. Elle, la pionnière dans le domaine de la peinture, a donc modestement contribué à faire d’une autre femme une pionnière dans le domaine politique.