Ordonnance de Renvoi de Habré devant les Chambres Africaines Extraordinaires – # Les faits reprochés à l’ancien président tchadien
Le procès de Hissène Habré a repris depuis, hier, après 45 jours de suspension. Depuis hier, les deux greffiers se relaient pour lire l’ordonnance de renvoi de 187 pages. Cette ordonnance de renvoi est l’aboutissement de 19 mois d’instruction qui s’est terminée le 13 février 2015. Elle renferme tous les faits reprochés à l’ancien président tchadien.
Les quatre juges d’instruction des Chambres africaines extraordinaires ont conclu, après une ordonnance de non-lieu partiel (certains faits qui étaient reprochés à Habré sont écartés : Ndlr) qu’il y avait suffisamment de preuves pour que Hissène Habré soit jugé pour crimes contre l’humanité et torture en sa qualité de membre d’une « entreprise criminelle commune » et crimes de guerre sur le fondement de sa responsabilité en tant que « supérieur hiérarchique ».
Hissène Habré a ainsi été renvoyé devant la Chambre africaine extraordinaire d’assises pour homicides volontaires, pratique massive et systématique d’exécutions sommaires, enlèvement de personnes suivi de disparition, torture constitutifs de crimes contre l’humanité commis sur les populations civiles, les Hadjeraï, les Zaghawa, les opposants et les populations du sud du Tchad, tcrimes de guerre, homicide volontaire, traitements inhumains, transfert illégal et détention illégale, atteinte à la vie et à l’intégrité physique. Certains experts désignés par la Cour comme Patrick Ball de Human Rights Data Analysis Group ont mené une étude sur la mortalité dans les prisons du régime de Habré. Selon ses conclusions, la mortalité dans les prisons pour la période étudiée était «des centaines de fois plus élevée que la mortalité normale des hommes adultes au Tchad pendant la même période» et «substantiellement plus élevée que celles des pires contextes du vingtième siècle de prisonniers de guerre» tels que les prisonniers de guerre allemands détenus dans les geôles soviétiques et les prisonniers de guerre détenus au Japon.
Les experts de l’équipe argentine d’anthropologie médico-légale ont mené des exhumations sur un certain nombre de sites susceptibles d’abriter des charniers.
A Déli, par exemple, au sud du Tchad, lieu d’un supposé massacre de rebelles non armés en septembre 1984, note l’ordonnance de renvoi, les experts ont localisé 21 corps, presque tous des hommes en âge d’être des militaires, majoritairement tués par balle. A Mongo, au centre du Tchad, les experts ont découvert 14 corps résultant d’un autre massacre survenu en 1984.
Un graphologue désigné par les juges a analysé les documents supposément écrits ou signés par Habré. Il a par exemple confirmé que c’est bien Habré qui a répondu à la demande du Comité International de la Croix Rouge de procéder à l’hospitalisation de certains prisonniers de guerre, en écrivant « Désormais, aucun prisonnier de guerre ne doit quitter la Maison d’arrêt sauf en cas de décès. »Les juges d’instruction ont considéré que des crimes ont été commis lors d’attaques généralisées et systématiques contre des populations civiles, notamment les opposants, les Hadjaraï, les Zaghawas et les sudistes, rapporte Reed Brody de Human right Watch.
Ainsi les juges montrent que Habré s’était fixé comme objectif de pacifier le sud du Tchad et de combattre tous les ennemis du régime. Pour parvenir à ses fins, il a créé des services répressifs qui lui étaient tout à fait assujettis afin d’exécuter « a volonté affichée par le régime d’étouffer dans l’œuf toute velléité d’opposition». Les juges ont démontré que Habré participait activement à ce dessein criminel parce qu’il avait la haute main sur la Garde présidentielle, l’Armée, la police politique, la DDS, et son bras armé, la BSIR, notamment grâce à son pouvoir d’instruction, de nomination, de contrôle et de révocation des agents. Les juges soutiennent que Habré intervenait personnellement dans la commission des crimes quand il le jugeait nécessaire et qu’il a aménagé des centres de détention secrets, jusque dans sa présidence. Pour montrer que Habré est pénalement responsable des crimes commis, les juges d’instruction se sont appuyés sur de nombreuses preuves, y compris sur des éléments qui n’étaient pas dans les dossiers tchadiens et belges, ni dans ceux des ONGs comme Amnesty International et Human Rights Watch. Différents témoignages de victimes démontrent la participation directe de Hissène Habré aux interrogatoires et séances de tortures. Aussi, par décret présidentiel, Hissène Habré a créé sa police politique, la DDS le 26 janvier 1983. Organe de répression et de terreur, elle était directement subordonnée à l’ancien Président. Chaque agent de la DDS devait prêter serment sur la Bible ou le Coran, de sa fidélité et dévouement à Hissène Habré. Personne en dehors de Habré ne pouvait donner des ordres à la DDS, aux Renseignements généraux et à la Garde présidentielle. Habré était informé de tout ce qui se passait dans l’Armée par les Renseignements généraux, la Surveillance du Territoire, la DDS et ses proches, notent les juges d’instruction.
Le rapport d’expertise militaire sur les Forces Armées Nationales Tchadiennes précise que Hissène Habré était le Chef suprême des Armées en tant que président de la République et en tant que ministre de la Défense puisqu’à partir de 1986, il cumulait les deux postes en même temps. Les juges ont en outre relevé que Hissène Habré pouvait mener personnellement des opérations militaires sur le terrain, notamment lors de la bataille de Faya-Largeau en 1983 lorsque de nombreux crimes de guerre ont été perpétrés. Lorsque des fiches de renseignements lui étaient directement envoyées, Hissène Habré pouvaient y annoter des ordres. C’est entre autres le cas d’une lettre du 29 octobre 1984 envoyée par son ministre de la Défense lui rendant compte de la demande du Comité international de la Croix rouge de faire hospitaliser 19 prisonniers de guerre.
Il y est annoté : « Contrôler l’existence de ces prisonniers de guerre. Désormais, aucun prisonnier de guerre ne doit quitter la Maison d’arrêt sauf en cas de décès ». L’expert graphologique a souligné dans son rapport d’expertise que cette écriture correspond bien à celle de Hissène Habré.
Comme l’ont écrit les juges, « Hissène Habré a également mis en place des centres de détention parallèles, sans aucun rapport avec l’organisation de l’Administration pénitentiaire ». Ils avancent même que « l’existence de ces lieux de détention, dont l’un se trouve au sein même des locaux de la Présidence, apparaît comme l’ultime pièce de l’architecture mise en place pour les besoins de la répression». Ce sont tous ces faits qui sont reprochés à Hissène Habré et auxquels il ne veut pas répondre.
GFM