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Sur les 8 films africains sélectionnés cette année par l’IDFA, seul le vôtre provient d’Afrique de l’ouest. Que pensez-vous de l’absence frappante de l’Afrique francophone à ce rendez-vous mondial du documentaire ?
Moussa Sene Absa : J’ai parlé avec les programmateurs et les films soumis n’étaient pas d’une grande qualité. Tout cela est justement dû au formatage de la formation : tous les films se ressemblent, ils pensent qu’ils font de bons films mais ces films manquent d’écriture cinématographique. C’est cette écriture que recherche l’IDFA. C’est pour cela je pense qu’il n’y a pas beaucoup eu de films cette année mais j’espère qu’à l’avenir, les cinéastes africains penseront que le documentaire est une belle ouverture sur le monde. Le documentaire peut même être un moyen formidable pour changer notre réalité et notre misère en Afrique.
Beaucoup d’écoles de cinéma se créent en Afrique, que ce soit le Media Centre de Dakar fondé par Samba Félix Ndiaye ou l’ESAV au Maroc, l’Isis et Imagine au Burkina Faso, l’Isma au Bénin... Pensez-vous que ces écoles peuvent former une nouvelle génération de cinéastes ?
Moussa Sene Absa : J’enseigne à l’Université West Indies de La Barbade. Je suis en charge du département Cinéma. Je connais des étudiants en cinéma en Afrique qui, après 3 ans, ne savent même pas utiliser Final Cut !
Vous leur parlez de certains documentaristes, ils ne les connaissent même pas ! Ça veut dire quoi ? En fait, c’est de la formation au rabais. C’est sérieux ! Il faut s’y mettre, avoir de bons formateurs... Ce n’est pas parce qu’on est bon cinéaste qu’on est bon formateur, la pédagogie, c’est autre chose ! Samba Félix a fait un travail formidable au Sénégal, malheureusement, il n’est plus là... Et le problème demeure entier.
Est-ce qu’on peut former quelqu’un à avoir une vision ? Le cinéma est une question de vision. Je peux t’ouvrir les yeux mais je ne peux pas regarder à ta place ! Alors comment pousser le jeune réalisateur à regarder, à regarder son monde, à questionner son monde, à s’informer, à savoir ce qui est important de raconter ? Et comment raconter ces histoires pour que ça me touche : dois-je utiliser le conte, la musique ?
L’Afrique a une manière particulière de raconter des histoires. Pensez-vous que les écoles peuvent formater des standards déjà en place ?
Moussa Sene Absa : Je suis triste quand je vois les films faits par Africadoc car j’ai l’impression qu’ils pourraient être faits par n’importe qui : un français, un américain... Il n’y a pas de véritable voix. Aucun de ces films ne me parle car ils sont formatés. On leur dit « ça tu peux le faire, ça tu ne peux pas le faire »... On peut faire tout ce qu’on veut ! Mais si le formateur te dit dès le début que tu ne peux pas le faire, comment vas-tu grandir ? Comment vas-tu te tromper ? Car il faut se tromper parfois !
Le cinéma n’est pas une science infuse. Il faut tenter des choses. Moi je pousse mes étudiants à l’extrême. Tout ce qu’il ne faut pas faire, il faut l’essayer pour comprendre pourquoi il ne faut pas le faire. Et je pense que ça, c’est le grand drame de notre cinéma. Je ne dis pas que je suis un grand professeur, mais je trouve dommage d’aller enseigner à La Barbade, à Chicago ou à Cuba... sans pouvoir enseigner chez moi ! Le Sénégal a signé des conventions avec des universités françaises... et nous on fait quoi ?
Nous avons eu Sembène [Ousmane], Djibril [Diop Mambéty], nous avons de grands cinéastes dans ce continent qui ont fait leurs preuves et parcouru le monde mais on nous envoie des inconnus qui enseignent à nos enfants le cinéma ! C’est triste...
Il y avait cette année plusieurs films d’Afrique du Sud ou du Zimbabwe. Que pensez-vous de l’état du film documentaire en Afrique anglophone ?
Moussa Sene Absa : Je pense qu’ils ont une plus grande tradition du documentaire. Ce qu’ils font, c’est quelque chose d’extrêmement pointu, il y a de la recherche. Le documentaire, c’est aussi une question de recherche. C’est aussi une question de liberté. Ils ont cette tradition parce qu’ils n’ont jamais trop eu accès aux fonds « faciles », comme je les appelle. Là-bas, il n’y a pas d’argent. Il faut que tu te démènes pour faire tes preuves et à partir de là, les gens viendront te soutenir. Ce n’est pas le cas de l’Afrique francophone. Je pense que l’Afrique australe nous donne là une bonne leçon. En terme de marketing, en terme de production... Comment ils montent leurs films, comment la jeune génération très libre est ouverte sur le monde... Ce sont des gens qui font le tour du monde. La France est importante mais quand on regarde le monde, c’est immense le monde ! Pourquoi tu me laisse juste être là ? Pourquoi devoir tout le temps se conformer à une façon de voir ? La colonisation, ok, je parle français, oui, mais le monde est grand...
Beaucoup de films documentaires sud-africains sont tournés par des réalisateurs blancs autour de sujets qui touchent la communauté noire. Est-ce un rapport au cinéma qui vous interroge ?
Moussa Sene Absa : Les histoires de nationalité, ce n’est pas mon problème. Je ne me vois pas comme un sénégalo-sénégalais, non, je me vois comme n’importe qui. J’ai fait un film à La Barbade, je ne suis pas Barbadien ! J’ai tourné en Inde, au Mexique donc je n’ai pas ce problème. Il y a un proverbe qui dit que « Le tigre n’a pas besoin de crier sa tigritude ». Je n’ai pas besoin d’être sénégalais pour faire un film sur le Sénégal. Non, il faut sortir de ça. Le monde est énorme !
Il y a plusieurs cultures, plusieurs langues, plusieurs façons de voir le monde et quand je me retrouve ici dans ce jury extraordinaire, ça me fait plaisir. Ce n’est pas en tant que Sénégalais ou en tant que Blanc ou Noir que je vois ça, non, moi, je vois le monde en couleurs.
Propos recueillis par Claire Diao
Dakaractu.com
Moussa Sene Absa : J’ai parlé avec les programmateurs et les films soumis n’étaient pas d’une grande qualité. Tout cela est justement dû au formatage de la formation : tous les films se ressemblent, ils pensent qu’ils font de bons films mais ces films manquent d’écriture cinématographique. C’est cette écriture que recherche l’IDFA. C’est pour cela je pense qu’il n’y a pas beaucoup eu de films cette année mais j’espère qu’à l’avenir, les cinéastes africains penseront que le documentaire est une belle ouverture sur le monde. Le documentaire peut même être un moyen formidable pour changer notre réalité et notre misère en Afrique.
Beaucoup d’écoles de cinéma se créent en Afrique, que ce soit le Media Centre de Dakar fondé par Samba Félix Ndiaye ou l’ESAV au Maroc, l’Isis et Imagine au Burkina Faso, l’Isma au Bénin... Pensez-vous que ces écoles peuvent former une nouvelle génération de cinéastes ?
Moussa Sene Absa : J’enseigne à l’Université West Indies de La Barbade. Je suis en charge du département Cinéma. Je connais des étudiants en cinéma en Afrique qui, après 3 ans, ne savent même pas utiliser Final Cut !
Vous leur parlez de certains documentaristes, ils ne les connaissent même pas ! Ça veut dire quoi ? En fait, c’est de la formation au rabais. C’est sérieux ! Il faut s’y mettre, avoir de bons formateurs... Ce n’est pas parce qu’on est bon cinéaste qu’on est bon formateur, la pédagogie, c’est autre chose ! Samba Félix a fait un travail formidable au Sénégal, malheureusement, il n’est plus là... Et le problème demeure entier.
Est-ce qu’on peut former quelqu’un à avoir une vision ? Le cinéma est une question de vision. Je peux t’ouvrir les yeux mais je ne peux pas regarder à ta place ! Alors comment pousser le jeune réalisateur à regarder, à regarder son monde, à questionner son monde, à s’informer, à savoir ce qui est important de raconter ? Et comment raconter ces histoires pour que ça me touche : dois-je utiliser le conte, la musique ?
L’Afrique a une manière particulière de raconter des histoires. Pensez-vous que les écoles peuvent formater des standards déjà en place ?
Moussa Sene Absa : Je suis triste quand je vois les films faits par Africadoc car j’ai l’impression qu’ils pourraient être faits par n’importe qui : un français, un américain... Il n’y a pas de véritable voix. Aucun de ces films ne me parle car ils sont formatés. On leur dit « ça tu peux le faire, ça tu ne peux pas le faire »... On peut faire tout ce qu’on veut ! Mais si le formateur te dit dès le début que tu ne peux pas le faire, comment vas-tu grandir ? Comment vas-tu te tromper ? Car il faut se tromper parfois !
Le cinéma n’est pas une science infuse. Il faut tenter des choses. Moi je pousse mes étudiants à l’extrême. Tout ce qu’il ne faut pas faire, il faut l’essayer pour comprendre pourquoi il ne faut pas le faire. Et je pense que ça, c’est le grand drame de notre cinéma. Je ne dis pas que je suis un grand professeur, mais je trouve dommage d’aller enseigner à La Barbade, à Chicago ou à Cuba... sans pouvoir enseigner chez moi ! Le Sénégal a signé des conventions avec des universités françaises... et nous on fait quoi ?
Nous avons eu Sembène [Ousmane], Djibril [Diop Mambéty], nous avons de grands cinéastes dans ce continent qui ont fait leurs preuves et parcouru le monde mais on nous envoie des inconnus qui enseignent à nos enfants le cinéma ! C’est triste...
Il y avait cette année plusieurs films d’Afrique du Sud ou du Zimbabwe. Que pensez-vous de l’état du film documentaire en Afrique anglophone ?
Moussa Sene Absa : Je pense qu’ils ont une plus grande tradition du documentaire. Ce qu’ils font, c’est quelque chose d’extrêmement pointu, il y a de la recherche. Le documentaire, c’est aussi une question de recherche. C’est aussi une question de liberté. Ils ont cette tradition parce qu’ils n’ont jamais trop eu accès aux fonds « faciles », comme je les appelle. Là-bas, il n’y a pas d’argent. Il faut que tu te démènes pour faire tes preuves et à partir de là, les gens viendront te soutenir. Ce n’est pas le cas de l’Afrique francophone. Je pense que l’Afrique australe nous donne là une bonne leçon. En terme de marketing, en terme de production... Comment ils montent leurs films, comment la jeune génération très libre est ouverte sur le monde... Ce sont des gens qui font le tour du monde. La France est importante mais quand on regarde le monde, c’est immense le monde ! Pourquoi tu me laisse juste être là ? Pourquoi devoir tout le temps se conformer à une façon de voir ? La colonisation, ok, je parle français, oui, mais le monde est grand...
Beaucoup de films documentaires sud-africains sont tournés par des réalisateurs blancs autour de sujets qui touchent la communauté noire. Est-ce un rapport au cinéma qui vous interroge ?
Moussa Sene Absa : Les histoires de nationalité, ce n’est pas mon problème. Je ne me vois pas comme un sénégalo-sénégalais, non, je me vois comme n’importe qui. J’ai fait un film à La Barbade, je ne suis pas Barbadien ! J’ai tourné en Inde, au Mexique donc je n’ai pas ce problème. Il y a un proverbe qui dit que « Le tigre n’a pas besoin de crier sa tigritude ». Je n’ai pas besoin d’être sénégalais pour faire un film sur le Sénégal. Non, il faut sortir de ça. Le monde est énorme !
Il y a plusieurs cultures, plusieurs langues, plusieurs façons de voir le monde et quand je me retrouve ici dans ce jury extraordinaire, ça me fait plaisir. Ce n’est pas en tant que Sénégalais ou en tant que Blanc ou Noir que je vois ça, non, moi, je vois le monde en couleurs.
Propos recueillis par Claire Diao
Dakaractu.com