Economie

Moubarack Lô, économiste statisticien: «Avec des investissements publics, on peut atteindre une croissance de 6%»


Vendredi 27 Novembre 2015

L’ancien directeur de cabinet du Président Macky Sall fait un round-up de la situation économique du Sénégal. Moubarack Lô parle de l’autosuffisance alimentaire, de la croissance, la situation de l’argent…


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Comment voyez-vous la situation économique du pays à l’heure actuelle ?

Je dirais que c’est mitigé, il y a un effort d’équilibrage des finances publiques qui est louable. Pour le déficit public, on s’approche de 4%, l’objectif c’était d’atteindre -4% en 2016, mais on n’y arrivera pas. L’inflation est quasi nulle, ce qui est bon pour les consommateurs, mais pas forcément pour l’économie, une économie a besoin d’un peu d’inflation pour stimuler la production, on peut avoir un peu d’inflation, mais des coûts de denrées faibles, tout est question d’équilibrage et de régulation. Et nous avons encore une croissance moyenne qui ne s’accélère pas, environ 5 à 6% en 2016, on est encore loin des objectifs de 7, 8 voire 9 ou 10% de taux de croissance. Parce que si on veut être un pays émergent, il nous faut atteindre ces niveaux là et nous y maintenir pendant 10 ans, c’est ce qui nous propulserait vers les pays émergents à rythme de croissance élevée. Notre point faible, c’est vraiment la croissance. De plus, le peu de croissance que nous avons ne crée pas beaucoup d’emplois. Raison pour laquelle je milite pour que l’Etat fasse encore plus d’efforts pour l’agriculture. Pas seulement l’agriculture sous pluie, mais il faut que l’on fasse de l’agriculture irriguée en saison sèche.

L’Etat prévoit un taux de croissance de 6% en 2016, pensez-vous que c’est atteignable ?

Oui on peut l’atteindre, avec des investissements publics, mais aussi des investissements privés qui, même sans produire, seront en phase d’investissements. Il y a aussi le dynamisme du secteur des télécoms qui se maintient, tout cela peut permettre au pays d’atteindre 6%. Mais nous avons déjà fait 6,7% en 2005, donc ce ne serait pas un record.

Mais, les taux de croissance se reflètent-ils réellement sur le vécu des populations ?

Pour que la croissance se reflète sur le niveau de vie, elle doit être élevée, dépasser 7%, et aussi être durable. Pour que les populations en ressentent les effets, il faut avoir 7% pendant 10 ans, c’est cette durabilité qui fait que la croissance puisse se transmettre au niveau social et générer une réduction de la pauvreté. Il y a aussi le choix des sources de la croissance, parce qu’on peut avoir une croissance élevée, mais qui ne génère pas d’emplois ni de revenus pour la population.

Pour la première fois, le budget a atteint plus de 3000 milliards FCfa, qu’est-ce qui l’explique, à votre avis ?

Je pense que cela s’explique par les efforts de mobilisation des ressources internes, c’est vrai que le Sénégal fait mieux que beaucoup de pays dans la sous-région. L’autre élément d’explication, c’est le maintien de l’appui des bailleurs de fonds, et il y a aussi la signature du Sénégal qui est relativement bonne. C’est donc cela l’explication, les performances des services fiscaux de la douane, mais il y a encore des marges pour pouvoir renforcer les recettes, le foncier, par exemple, est mal fiscalisé au Sénégal.

Pour répondre à ceux qui disent que l’argent ne circule pas au Sénégal, le ministre des Finances a parlé de 750 milliards de circulation fiduciaire au mois de juillet 2015, qu’en pensez-vous ?

En fait, il y a deux éléments. Disons qu’il n’y a pas de détérioration de la circulation de l’argent dans les circuits officiels, que ce soit à travers les crédits bancaires qui se renforcent d’année en année, ce qui veut dire que la masse monétaire augmente et que l’argent circule, en tous cas, continue de circuler dans les circuits officiels. C’est vrai que dans le passé, entre 2000 et 2012, il y avait des circuits non officiels dans lesquels l’argent circulait beaucoup, et ces sources sont quasiment taries, parce que c’était alimenté par des pratiques de mauvaise gestion, des dons… C’est peut-être ça qui a disparu et qui fait que certains regrettent cette époque. Et si vous regardez à travers le pays, ce n’est pas la majorité qui dit que l’argent ne circule pas, parce que le villageois ne bénéficie de cet argent.

Vous avez sorti un sondage classant Macky Sall vainqueur à la prochaine Présidentielle, qu’est-ce qui vous a motivé ?

Ce sont des choses que je fais depuis 2010, mais l’objectif n’était pas de le publier. Et si quelqu’un ne l’avait pas publié, personne ne le saurait aujourd’hui. Cependant, la loi n’interdit pas de faire des sondages. Ce qui est interdit, c’est de faire des sondages destinés à la publication. Mais, en tant qu’homme politique, rien ne vous empêche de commanditer un sondage pour mesurer votre niveau de popularité et vous permettre de dégager des stratégies. Il nous arrive très souvent de faire des enquêtes de cette nature et de les remettre à quelques cercles pour les informer. Et si les cercles les publient, cela ne nous engage pas. Ce sondage n’était pas destiné au public, mais peut-être, c’est le parti (Apr) qui a vu l’intérêt de le diffuser.

Vous l’avez fait de votre propre chef ?

Oui. Ce n’était pas une commande. En plus, on ne m’a jamais connu pour un double langage. C’est une initiative personnelle. Je voulais juste connaître l’état de l’opinion.
LOBS


Abdoul Aziz Diop