Sous la pression des associations de daaras, d’imams et probablement de chefs religieux influents, le gouvernement a renoncé à présenter aux députés un projet de loi sur la modernisation des daaras ou écoles coraniques. Et pourtant depuis deux ans, l’avant-projet était en circulation entre tous les acteurs. L’association des écoles coraniques avait donné sa caution à cette salutaire réforme. Au dernier moment, une des sections- celle de Touba précisément- s’était rétractée, pour dénoncer avec virulence «une attaque contre le Coran et l’Islam». Tout le monde sait qu’il n’en est rien. Le Projet d’Appui à la Modernisation des Daaras (PAMOD), ne procède que d’une louable volonté de structurer un enseignement atavique et l’adapter aux réalités du monde moderne. Ce triple recadrage pédagogique, matériel, humain, n’affecte en rien l’essence du Livre Saint, encore moins, celle de l’Islam. Quelle blasphème y a t-il à vouloir moderniser le cadre, mettre les enfants dans les meilleures conditions d’apprentissage, à exiger des diplômes pour les enseignants formés et suivis par une inspection régulière et structurante, à décliner en cycles les curricula, à évaluer scientifiquement les acquis ? Et, surtout, à établir des passerelles entre l’enseignement du français et l’arabe ? Le tout, sur une base de choix libre et d’option personnelle laissée aux parents. Rien dans le projet retiré ne supprimait les daaras traditionnels et ne s’opposait à l’exercice du métier de maître coranique dans les conditions actuelles. L’État, grâce à un appui de dix milliards de francs Cfa de la Banque Islamique de Dévelopement avait tout simplement décidé de lancer ce projet de construction de 64 daraas (50 % publics et 50 % confiés au privé selon un cahier de charges précis). Deux des dix milliards seraient consacrés à la réalisation d’un immeuble, dont les rentes de location seraient versées aux daaras pour leur fonctionnement et entretien. L’objectif pédagogique était réalisable, car le projet a été échafaudé par les experts sénégalais, passés par les fourches caudines des deux systèmes. De quoi s’agit-il ? L’enfant entre à l’âge de cinq ans dans une école coranique moderne, et va en sortir à treize ans en mémorisant parfaitement le Coran avec le niveau du CFEE. Il reste dans le daara pendant huit années, qui seront éclatées en trois phases. Une phase de trois ans à l’issue de laquelle il mémorise le texte saint de la Fatiha à la sourate Mariam. Dans la deuxième, il termine tout le Coran en s’initiant au calcul accédant ainsi au niveau du CE1. Et à dix ans, il termine le cycle coranique avec le niveau du CE1. Durant les trois ans suivants, l’inspection des daaras prévoit «que toutes les compétences de base devant permettre à l’enfant de passer le CFEE soient installées chez lui». Ainsi, pourra-t-il se mettre à l’aise sur les matières instrumentales, lecture, écriture, calcul en arabe et en français et intégrer le système éducatif majoritaire ayant une forte avance sur ses camarades de l’autre ordre d’enseignement. C’est apparemment, la mixture entre les enseignements du français et de l’arabe qui gêne les pourfendeurs du projet. Qui plus est, le dispositif de gestion transparente avec un conseil d’administration et un comité de gestion chargé du pilotage de la structure, tranche d’avec les structures de gestion personnelle, qui ont pignon sur rue dans les daaras classiques. Il est tout de même surprenant d’invoquer la cohabitation du français et de l’arabe comme un insupportable biais, pour les opposants. D’abord parce que les écoles franco-arabes essaiment partout. Ensuite, les mêmes opposants au projet n’hésitent pas à envoyer leurs ouailles dans les écoles privées catholiques pour un enseignement de qualité. Sans aucun souci pour les familles démunies sans autre alternative que l’école publique. L’enjeu de cette loi révolutionnaire réside sans aucun doute dans la fin de la maltraitance protéiforme dont les enfants sont victimes dans la plupart des daaras à Dakar comme à l’intérieur du pays. Il serait fastidieux de dresser la longue liste des sévices que subissent les enfants, souvent à travers des stéréotypes surannés au nom desquels, les apprenants doivent souffrir, voire saigner, pour maîtriser le Coran. Que les daaras aient été et soient une école de la vie qui au-delà de l’enseignement du Livre Saint, éduque, instruit, modélise et construit un être social omniscient et équilibré, personne n’en disconvient. Des exemples nombreux d’hommes d’État, de chefs religieux, d’hommes d’affaires en attestent à suffisance. Ils gardent encore et toujours cette fonction incubatrice sociale essentielle. Mais à contrario, combien d’autres ont fait les frais de maîtres sans pitié, battant les enfants jusqu’au sang, ne leur offrant qu’une alternative, la fuite ou la mort ? Combien sont-ils violés, molestés, soumis à l’esclavage et contraints au bizutage ? Les séquelles physiques, morales, psychologiques, les déviances de toutes sortes inhérentes, sont prégnantes plusieurs années après le passage de l’apprenant au daara. Elles se traduisent tous les jours dans le comportement d’êtres même adultes, devenus asociaux et enkystés dans la marginalité. Le gouvernement a eu la sage idée de promouvoir cette démarche de rédemption qui remet l’enfant, son avenir, son devenir et son essence au cœur de notre projet de société. Il est dommage qu’il ait cédé, en craignant une fatwa dont les promoteurs sortaient de tous les bois. Et pourtant, une fois n’est pas coutume, il a procédé, sur l’essentiel à toutes les formes de validation requises pour faire passer ce projet humanitaire et prospectif. En différant sa mise en œuvre, il donne l’occasion à des lobbys de transfigurer le texte et de le dégréer de toutes ses bonifications. Cette reculade gouvernementale retarde le processus de modernisation du cadre d’enseignement du Coran- et non du Coran- et risque de donner à ses opposants toute la latitude de prolonger un système anachronique. Les réalités perverses de l’urbanisation et la dégradation des mœurs, ont affecté gravement les daaras en les confinant dans le champ clos de la mendicité et autres formes d’innommables déviances. Le PAMOD avait pour ambition de recentrer l’enseignement du Coran dans les valeurs cardinales, d’hygiène du corps et de l’esprit. Certains en ont décidé autrement.
mndiaye@seneplus.com Par Momar Seyni NDIAYE
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