C’est aussi cette désinvolture ou cette politique de l’autruche qui avait fait du domicile mbourois d’un chef religieux musulman le point de ralliement d’apprentis jihadistes français ou de jihadistes en route pour des missions dans d’autres pays. Les renseignements devenaient si précis par exemple, qu’un coup de filet avait été opéré dans ces milieux à Mbour pour expulser en 2002 vers la Mauritanie, des jeunes Français qui inquiétaient leur propre pays. Dans le groupe se trouvait un certain Mourad Benchellali qui sera l’un des meneurs des attentats de Casablanca le 16 mai 2003. Arrêté au Maroc, Benchellali dont le passage au Sénégal avait été bien noté dans l’enquête arriva à s’évader de prison pour rallier l’Afghanistan. C’est dans ce pays que les forces spéciales américaines arriveront à le capturer pour le transférer à la prison de Guantanamo. Combien de Benchellali ont pu séjourner au Sénégal au nez et à la barbe de nos forces de sécurité et surtout combien de personnes ont pu être embrigadées dans ces réseaux ? On sait par exemple que l’année dernière, la France avait été obligée de lancer une nouvelle alerte en direction du Sénégal pour demander la surveillance stricte du vol de Turkish airlines Dakar-Istanbul. En effet, les services français avaient pu déterminer que de nombreux candidats jihadistes se rendaient d’abord au Sénégal pour un séjour «vacancier» de quelques jours avant de prendre la direction d’Istanbul et de rejoindre les fronts jihadistes en Syrie. Les jihadistes revenant du front syrien ou des camps d’entraînement empruntaient le chemin retour toujours via Dakar.
Dans le même temps, les mosquées financées et soutenues par des milieux salafistes pullulent au Sénégal. Des articles de presse ont déjà été consacrés à des prêches enflammés et inquiétants de certains imams. Là aussi, personne n’a jusqu’ici levé le plus petit doigt. La question de la religion semble si sensible au Sénégal que les autorités hésitent à toucher à des imams pour éviter de donner du grain à moudre aux personnes qui seraient promptes à les accuser de s’engager dans une croisade contre l’islam ou de faire partie de groupes d’obédiences anti-religieuses. La prudence et la méfiance des autorités sont donc grandes avant de s’attaquer à ce péril islamiste qui pourtant semblait grossir à vue d’œil dans les rues au Sénégal. Ainsi, on peut présumer que si l’Etat du Sénégal a décidé subitement d’opérer des coups de filet et d’arrêter des personnes couvertes du manteau religieux, certainement que des liens précis ont pu être établis et que des menaces réelles ont été identifiées. D’ailleurs, les premières révélations apparues dans la presse indiquent que les enquêteurs ont pu remontrer des réseaux bien structurés avec des gens déterminés et disposant de moyens financiers colossaux. Ce ne serait d’ailleurs pas pour rien que le Sénégal a immédiatement demandé l’extradition d’un de ses ressortissants détenu au Niger pour des activités liées au terrorisme islamiste.
Il semblerait que certains guides religieux musulmans ont été approchés pour se voir expliquer l’opportunité de telles arrestations. On va seulement déplorer que les autorités judiciaires n’aient pas communiqué pour que les populations sachent à quoi s’en tenir. Il aurait été bien indiqué de dire aux populations les raisons et les éléments d’enquête qui ont poussé à opérer les séries d’arrestations pour bien montrer que les autorités n’ont pas agi à la légère ; cela aurait l’avantage d’alerter les populations pour plus de vigilance, mais surtout ne laisserait pas le champ libre à une propagande qui commence à se développer et qui voudrait que les enquêteurs n’aient aucune preuve et que les personnes arrêtées l’ont été à tort. Aussi, la communication des autorités publiques aurait le mérite de confondre des groupes d’imams qui n’ont accès à aucun élément du dossier de l’enquête et qui s’autorisent à disculper déjà un des leurs, notamment l’imam Ndao arrêté à Kaolack. Que l’on ne nous dise surtout pas que les autorités judiciaires voudraient éviter de tomber dans une quelconque violation du secret de l’instruction ! Le Sénégal n’est pas plus regardant que la France sur ces principes et pourtant, on avait vu le procureur de Paris, François Molins, égrener devant les caméras les éléments qui avaient permis de lancer la traque contre les frères Kouachi et Amedy Coulibaly, après les attentats contre le journal Charlie Hebdo. D’ailleurs, combien de fois les autorités judiciaires sénégalaises ont eu à communiquer pour édifier l’opinion publique, notamment dans les affaires Aïda Ndiongue, Cheikh Béthio Thioune, Idrissa Seck, Karim Wade et autres ?
La vigilance devrait donc être accrue, car les arrestations opérées peuvent apparaître comme un casus belli aux yeux des autres jihadistes pour les décider à agir contre le Sénégal. Cette vigilance doit être renforcée en prison, car l’expérience enseigne que les leaders jihadistes poursuivent leurs missions d’embrigadement en prison et arrivent à radicaliser des personnes sans repères moraux ou psychologiquement fragiles et Dieu sait combien ils sont nombreux, dans nos prisons, des jeunes désespérés prêts à toutes les aventures. Il convient donc de confiner à l’isolement ces personnes arrêtées et d’éviter qu’elles arrivent à se déployer en prison pour s’introniser imam ou prêcheur. C’est peut-être l’occasion d’organiser le culte musulman en prison pour stopper la pratique qui fait que des détenus s’autoproclament imams et dirigent les prières et les prêches. Les services de l’Administration pénitentiaire ont besoin d’être mieux outillés et de se préparer pour mieux gérer le phénomène de l’islamisme dans les prisons.
LEQUOTIDIEN