Opinion

Les lundis de Madiambal Diagne: Si Cheikh Béthio s’était nommé Mbacké…


Lundi 23 Juin 2014

A Touba, une horde de pyromanes a mis le feu à deux résidences du vice-président de l’Assemblée nationale, Moustapha Cissé Lô, à un de ses véhicules et à sa boulangerie. La famille du député a pu avoir la vie sauve après avoir été exfiltrée de la ville par les agents de sécurité. Les faits sont graves, très graves même. Au regard de la loi sénégalaise, l’incendie volontaire de lieux habités constitue un crime. Autre circonstance aggravante, les faits ont été commis dans le cadre d’une association de malfaiteurs. Mais grande aura été la surprise de voir que les personnes mises en cause ont été relâchées après quelques heures de garde à vue à la police.
Une telle situation interpelle tout le monde, car elle consacre une impunité que l’on pensait révolue dans ce pays, depuis qu’un certain Cheikh Béthio Thioune avait été jeté en prison pour des faits de meurtres présumés, passibles de la Cour d’assises au même titre que les faits de l’incendie de domiciles privés de Moustapha Cissé Lô. La façon dont cette affaire est en passe d’être traitée sur le plan judiciaire pousse à regretter qu’une certaine Aminata Touré ne soit plus ministre de la Justice. De plus en plus, on se convainc que la résurrection de Dame justice à laquelle le régime du Président Macky Sall laissait augurer était plus le fait d’une personne que d’un système. Un haut magistrat ne s’y trompait pas d’ailleurs quand, plaintif, devant certains atermoiements et certaines libérations conditionnelles de détenus, il disait : «A la vérité, avec Mimi Touré, de telles choses ne sauraient être envisageables.» Dans cette affaire des vandales qui ont mis le feu aux biens du député Moustapha Cissé Lô, on peut bien considérer que la justice a été humiliée en se couchant devant un certain ordre religieux. En effet, les faits sont flagrants, les personnes mises en cause sont dûment identifiées sur la base d’enregistrements vidéo et les mêmes personnes revendiquent leur crime. Pour bien moins que cela, de nombreux citoyens ont subi les rigueurs de la loi pénale. Les juges qui auront ce matin du 23 juin 2014 à connaître du dossier du jeune musicien Malal Talla alias «Fou Malade», poursuivi pour avoir traité les policiers de corrompus, devraient avoir un certain scrupule à condamner durement le jeune prévenu. Il est frustrant que notre République n’ait pas encore réussi à traiter de façon équitable ses enfants. Plus que jamais, le privilège de la naissance est une réalité au Sénégal. Dans l’affaire Cheikh Béthio Thioune, les autorités religieuses de Touba avaient applaudi l’arrestation, au nom du respect de la loi. Ce sont ces mêmes autorités religieuses qui protègent aujourd’hui les pyromanes. Serigne Touba reconnaîtra les siens.
Il faut dire que rien ne saurait excuser l’attitude des vandales qui s’en étaient pris au patrimoine de Moustapha Cissé Lô, mais on ne peut pas manquer de relever que ce dernier est quelque part assez mal placé pour se présenter en victime. L’homme a habitué son monde à insulter, menacer ses vis-à-vis et brandir des armes à feu, en toute impunité. Il est connu pour exercer une violence contre ses adversaires, notamment en période électorale. Ce n’est pas pour rien qu’il est affabulé du sobriquet «El Pistolero». Une telle réputation ne plaide pas en sa faveur. Moustapha Cissé Lô, par son comportement, s’est plus d’une fois mis en situation de défiance par rapport à la loi, mais aura été toujours épargné du fait d’une certaine impunité régnante. On pourrait bien se demander si l’expédition punitive n’a pas été décidée du fait de l’impunité dont il a toujours bénéficié. En effet, face à une impunité persistante, les citoyens se sentent parfois obligés de recourir à un certain communautarisme pour se défendre. C’est ce qui fait que de nombreuses personnes peuvent se sentir gênées de voler au secours de Moustapha Cissé Lô. On se rappelle également les injures et menaces proférées par Moustapha Cissé Lô et des membres de sa famille à l’encontre de Moustapha Sow, directeur de publication du journal L’Office. Les comportements violents et les propos du même acabit sont la règle chez lui au point que quand des enregistrements de ses conversations privées arrivent à tomber dans le domaine public, rares sont ceux qui s’émeuvent de la violation du caractère privé de telles conversations. Les propos ressemblent toujours à l’homme. Il en était ainsi lors de la diffusion, dans les mêmes conditions, de propos privés contre le Président Macky Sall et sa famille ; des propos qui étaient prêtés à Moustapha Cissé Lô. Comme avec les propos présentés comme injurieux et proférés contre Serigne Abdou Fatah Mbacké, Moustapha Cissé Lô avait nié, sans convaincre grand monde, avoir insulté le Président Macky Sall. D’ailleurs, quelques temps après, sur des plateaux de télévision, il parlera du Président Macky Sall en des propos très irrespectueux. Pour autant, les propos tenus en privé, strictement en privé, ne devaient être rendus publics par aucun média. Il apparaît scandaleux que des propos privés, quelle que soit leur gravité, puissent être rendus publics de cette façon. Les médias qui ont relayé de tels propos se sont montrés irresponsables et ont été les bras armés d’adversaires de Moustapha Cissé Lô. Depuis qu’un certain Idrissa Seck a introduit dans les mœurs politiques du Sénégal l’utilisation, à des fins de règlements de comptes, d’enregistrements audio à l’insu de ses interlocuteurs, de nombreuses personnes se prennent à ce jeu malsain et en arrivent à en faire des moyens de chantage. Il y a quelques mois de cela, un chef religieux de Touba a été désemparé quand la rumeur avait circulé qu’un de ses cousins l’avait enregistré à son insu, alors qu’il tenait des propos désobligeants sur une grande figure religieuse. Il est regrettable qu’on trouve toujours des médias prompts à relayer de telles lâchetés.

LEQUOTIDIEN



Abdoul Aziz Diop