Le Japon chamboulé par sa première miss métisse

Vendredi 20 Mars 2015

L’élection d’Ariana Miyamoto au titre de miss Japon ne ravit pas tous les Japonais, pour qui elle reste en partie étrangère.
Son élection n’en finit pas de susciter des commentaires et des étonnements. Ariana Miyamoto vient d’être désignée miss Japon et se prépare à représenter l’archipel pour le titre de miss univers 2015. L’événement en soi n’aurait rien de bien passionnant si la jeune femme de 20 ans, née d’une mère japonaise et d’un père afro-américain, n’était pas étiquetée hafu (ouhaafu) et l’objet de critiques. Au Japon, ce terme terrible désigne les métis et s’inspire du mot anglais half, pour appeler des personnes à demi-japonaises. Loin d’être considérés comme des gens issus d’une double culture, ils sont vus comme des moitiés.
Ariana Miyamoto a donc été cataloguée hafu. De nationalité japonaise, elle est née au Japon, à Sasebo dans la préfecture de Nagasaki (sud du pays) où elle a fait une partie de ses études et où elle vit. Mais elle reste une hafu. Sur les réseaux sociaux, les forums et des sites féminins (Twitter, Naver, Girlschannel), certains auraient préféré qu’«une Japonaise pure» soit nommée parmi les 44 participantes au concours du 12 mars. D’autres pointent la «contradiction», selon eux, des «critères de sélection mystérieux» qui ont conduit à ce qu’une hafu représente le Japon. Un internaute écrit même : «Ça me met mal à l’aise.» Les derniers se moquent, raillent la «demi-miss Japon», évoquent leur «demi-tristesse»face à une «étrangère».
Mais il y a aussi des commentaires qui se félicitent de cette élection, saluent et encouragent les personnes ayant désigné Ariana Miyamoto, signe que ce pays est plus tolérant qu’on ne le dit et s’ouvre progressivement. On salue son élégance (réelle), son style «différent des fragiles Japonaises» et, un peu trop comme dans un concours de race chevaline, on loue son sourire, ses«dents bien alignées» et ses grandes jambes (elle mesure 1,73 m).


riana Miyamoto est la première miss métisse au Japon. Face à la presse, la jeune femme de couleur n’a pas manqué de rappeler qu’elle ne ressemblait pas une Japonaise bien qu’elle se sente japonaise dans son for intérieur. Après avoir étudié aux Etats-Unis, elle a travaillé en tant que barmaid à temps partiel et suivi des études de calligraphie japonaise, tout en faisant du volley-ball et de la moto. Interrogée lors de la compétition sur la personnalité qui l’avait le plus influencée, elle a cité le nom de Mariah Carey : «Elle a traversé beaucoup de difficultés avant de devenir une chanteuse populaire… Elle a dû faire face à des obstacles raciaux, comme moi, mais elle les a surmontés et est devenue une star.» Ariana Miyamoto n’est évidemment pas la première mannequin à vivre ce genre de situation. En 2012, la candidate des îles Fidji au titre de miss univers, la métisse Torika Watters, avait été décriée parce qu’elle n’était assez «indigène».

Quoi qu’il arrive lors de la désignation de miss univers l’année prochaine, Ariana Miyamoto rejoindra probablement les rangs de ces hafu plus ou moins célèbres qui vivent au Japon, présents à la télé, dans le sport, les grandes entreprises, le cinéma ou la musique. Dans un Japon culturellement très homogène et peu ouvert aux influences étrangères (moins de 2% de la population), mais où vivent de grosses communautés chinoises, coréennes ou philippines, les hafu ne sont pas tous, loin s’en faut, des célébrités au sort enviable. A cheval entre deux cultures, ils sont souvent l’objet de discriminations, de brimades à l’école  ou dans le monde du travail, même si leur sort s’améliore depuis que leur existence a été reconnue il y a une quarantaine d’années.

Un documentaire réalisé en 2013 par deux métisses, Megumi Nishikura et Lara Perez Takagi, a d’ailleurs permis de mettre des mots sur du malaise et du racisme larvé. Dans Hafu , elles interrogent plusieurs métis qui racontent leurs expériences au Japon où certains ont finalement choisi de vivre, riches de leur double culture de «moitié».
REWMI

Abdoul Aziz Diop