Opinion
LIBRE, MAIS BANNI ET OUBLIE: Mamadou Dia, héros malgré lui par Mame Aly Konté
Mardi 17 Décembre 2013
Mamadou Dia libre, Roland Colin laisse l’ancien président du conseil lui faire le récit de ses premières retrouvailles avec son « ami » Senghor. Ainsi, raconte Dia lui-même, « Je suis arrivé chez Senghor à 21 heures. Il m’a reçu en manifestant un peu de gêne. Je l’ai senti. Alors pour détendre tout de suite le climat, je lui ai dit, « Mon cher ami, embrassons-nous. C’est moi donc qui ai donné le signal de l’accolade. Il en a quelque peu été surpris et y a répondu. Nous nous sommes entretenus. Je lui ai parlé sans attendre de mes intentions, de mes projets de voyage d’abord en lui précisant que j’allais envoyer au ministre de l’Intérieur mon calendrier de déplacement, de façon qu’on puisse me suivre, recueillir mes propos. Je lui ai dit que je savais que des gens essaieraient immédiatement à nouveau de répandre des masses de rumeurs, que nombre de pêcheurs en eaux troubles ne tarderaient pas à créer un climat malsain de suspicion (…) J’ajoutai ceci, je te demande, chaque fois qu’on viendra te rapporter un propos ou un comportement soit disant subversif de Mamadou Dia, de ne pas hésiter à m’appeler et me poser des questions... »
L’homme qui a gardé sa ligne de conduite tout le temps et partout n’aura pas la bonne oreille chez Senghor obnubilé contrairement à ses dires de l’année de son départ (1980), par le pouvoir depuis toujours. Vraisemblablement. Et les rencontres s’arrêteront à trois mois avant que le président ne décide de fermer la porte à son ex ami fidèle. L’enfant de Khombole évoque aussi ses surprises et le revirement de ses anciens « ennemis » ; à commencer par le retour vers lui de Magatte Lo, député Ups, donc du même parti et défenseur de la motion de censure qui le fait tomber qui devient son « talibé » en lui octroyant, selon lui, la « Adya » à chacune de ses visites chez lui, à la Sicap.
Tous se racontent comme pour se repentir. Le Général Jean Alfred Diallo, qui nie toute volonté de Dia de tenter un coup d’Etat contre Senghor. Et encore, plus grave, le Procureur de l’époque Ousmane Camara qui tire dans la même direction remettant en cause l’opportunité du procès et les fausses intentions attribuées à Mamadou Dia. Les rencontres avec le père Lebret (6), l’économiste François Perroux (7), Michel Aurillac, Conseiller de Senghor. L’emprisonnement de son patron et de ses amis Valdiodio Ndiaye, Joseph Mbaye, et Ibrahima Sarr.
Raconter Dia aux enfants, voilà le défi de ce livre. Par fidélité et par amitié, Roland Colin raconte l’engagement d’un homme au service de son peuple et de son pays le Sénégal. On aura grâce aux conseils du père Lebret, la création de l’Office de commercialisation agricole (Oca), de la banque sénégalaise de développement (Bsd) entre autres. C’est à lui, grâce à ses rencontres périodiques avec le président Houphouët-Boigny, que le continent doit la création de l’Union africaine et malgache (Uam) qui a mis en place mes outils institutionnels de gestion des intérêts communs du continent dans des domaines spécialisés. La suite est connue avec la naissance de la compagnie multinationale et de la Banque africaine de développement (Bad) à Abidjan. « Il faut y voir, selon l’auteur, l’ancêtre de la future Organisation de l’unité africaine (Oua). Dia fascine le président ivoirien. Son pragmatisme lui plaît. Voila les raisons entre autres qui le poussent en 1974, à exiger à Senghor, sa libération avant de revenir au Sénégal.
Un parcours à raconter aux enfants
Mamadou Dia est né le 18 juillet 1910 à Khombole, de l'union d'un Toucouleur originaire de Kanel, cheminot à Thiès puis policier à Khombole, et d'une sérère, originaire du Baol. Formé à l'école coranique puis à l'école régionale de Diourbel, il entre après la mort de son père, à l'école primaire supérieure Blanchot de Saint-Louis en 1924 tout en poursuivant ses études coraniques. Un instituteur le fait vieillir d'un an pour qu'il puisse passer le concours d'entrée de l’École normale William Ponty de Gorée (École normale fédérale de l’AOF). Admis en 1927, et reçu premier de l’AOF, il devient instituteur à Saint-Louis et Fissel, puis directeur de l'école régionale de Fatick en 1943. Il côtoie Joseph Mbaye, Fara Sow, Abdoulaye Sadji et Ousmane Socé Diop, connus à Blanchot. Les habitants de Fatick lui demandant d'être candidat à l’Assemblée du Conseil général, il adhère pourtant à la SFIO, qu'il ne juge pas assez socialiste. Parrainé par Léopold Sédar Senghor et par Ibrahima Seydou Ndaw, il est élu conseiller général en 1946. Fort de ses compétences et de grande personnalité, il a été le premier Premier ministre du Sénégal indépendant. Aujourd’hui encore, il est considéré comme l'un des bâtisseurs de la république du Sénégal. Jusqu’à sa mort le 25 janvier 2009 à Dakar, il restera très présent dans le débat politique et économique de son pays.
Un homme d’honneur qui mérite la reconnaissance de la nation
Au sein de la Fédération du Mali comme dans le cadre plus restreint de la République du Sénégal, Mamadou Dia été un travailleur fidèle aux idées de Senghor et infatigable. Là aussi l’auteur raconte un moment très intime que rien ne séparait à part quelques détails dans la préséance officielle. Au moment de désigner le président de la Fédération du Mali, au sortir de la réunion du 21 au 22 ai 1960, à Bamako, le Sénégal hérite finalement de la Présidence de la République fédérale, le Présidence de l’Assemblée et la Vice-présidence du Gouvernement fédéral. Le Soudan disposant pour sa part de la Présidence du Gouvernement fédéral et du ministère des Affaires Etrangères.
Mais, derrière ce compromis duquel, le Sénégal ne sort pas du tout lésé, la candidature de Senghor gène un peu les Maliens qui veulent Dia ou Lamine Guèye, né à Médine au Soudan, tous deux musulmans à sa place. Lui le catholique, religion minoritaire dans les deux pays. Mais Mamadou Dia refuse cela. Voila le récit de son entrevue avec Senghor qui vient le consulter, « Senghor au sortir de la réunion, est venu me dire complètement affolé : je sais qu’ils sont décidés à me barrer la route ; ils ne veulent pas que je sois le président du Mali sous prétexte que je suis catholique. Dans ces conditions, il faut que toi, musulman comme eux, tu acceptes de te représenter à ma place. Je lui rétorquais qu’il n’était pas question ; que je lui interdisais de me faire une telle proposition que je considérais comme inamicale et qu’il faudrait se battre pour le respect des engagements pris. » « Je lui ai dit, ajoute Mamadou Dia, tu seras le président ou le Mali éclatera. A eux de prendre la responsabilité de cet éclatement en se parjurant. Si nous ne réussissons pas à obtenir le respect de leur parole, nous proclamerons la République du Sénégal, et tu seras le Président. »
Dia a, sans le savoir et même mis en prison posé les bases d’un Sénégal émergent dès la fin des années 1950 à travers la mise sur pied des équipes d’animation rurale, la mise en commun d’un pool d’économistes et de spécialistes d’hommes et de femmes du développement à la tête de qui, le père Lebret et l’économiste François Perroux, grand théoricien du développement économique. Sur la Fédération du Mali et son échec, Mamadou Dia écrit et regrette que, « La Fédération de deux Etats isolés ne pouvait être viable, à partir du moment où l’un des partenaires s’opposait à en faire une structure largement ouvert aux autres Etats frères ; nous sentions avec peine que cette pseudo fédération ainsi dénaturée, coupée de sa vocation initiale, nous séparait et nous divisait au lieu de nous unir (…) La politique de nos relations africaines doit s’attacher à favoriser par tous moyens, ce regroupement. » Voilà l’esprit de l’homme dont le Sénégal ne profitera pas de l’intelligence et de la vision.
Mais en politique, à cause de la jalousie, les amitiés les plus solides ne durent pas. Et Dia, fidèle à Senghor, le paiera. Jusqu’au jour de son arrestation, comme il le raconte d’ailleurs dans le dernier film primé par le prix du cinéma francophone d’Ousmane William Mbaye, il n’a jamais imaginé un seul instant que Senghor trahirait cette amitié et l’enverrai un jour en prison. « Jamais », exprime le grand Mawdo. Sa grandeur se lit avec une certaine langueur dans le texte au moment du choix du président de la République après les entrevues avec De Gaulle à Paris au moment de l’indépendance du Sénégal. Un autre moment grave de ce livre. L’auteur raconte le crash de l’avion d’Air France qui devait le ramener à Dakar avec le poète David Diop, « Lumière de la nouvelle génération littéraire », mort dans l’accident dans la nuit du 6 septembre 1960 au moment où l’avion s’apprêtait à atterrir à Yoff.
L’histoire ne finit pas car c’est dans l’après midi du 4 septembre, au moment de regagner son hôtel pour prendre ses bagages qu’il retrouve Mamadou Dia à la terrasse d’un bistrot dans le quartier du Palais Royal pour un dernier point. « A travers la discussion, le président me demande, toutes réflexions faites, de retarder mon départ de vingt quatre heures, de façon à rapporter à Dakar, une version plus élaborée des projets d’accords. » Cela ne m’arrange pas… Mais, il refuse cordialement, mais fermement… » Voilà qui sauve le bonhomme pressé de retrouver le cabinet où tant de choses doivent être mises en chantier. Il sera ainsi épargné par cet accident. Pour magnifier l’entente des deux ténors de l’exécutif, une date : la désignation de la candidature à la présidence de la République.
Le nom de Senghor ne prête encore cette fois, à aucune discussion. Même ce dernier, raconte Roland Colin, réitère une fois de plus, la valse hésitation qui avait marqué sa nomination par le comité exécutif de l’Ups pour la Présidence du Mali, dans la répartition des responsabilités entre Dia et lui. Mamadou Dia rapporte ainsi en ces termes les discussions entre eux du début du mois de septembre 1960. Voulant mettre tout de suite à l’aise Senghor, le voilà qui lui dit « Nous voici entre Sénégalais. Partout se construisent des régimes présidentiels. Peut-être le moment est-il venu d’instituer au Sénégal, à l’instar des autres, un régime présidentiel. Si c’est ton avis, j’en suis d’ores et déjà d’accord. Nous modifierons en conséquence la constitution. » Il m’a répondu, « Pas question de faire un régime présidentiel ! Au Sénégal, ce n’est pas la même chose qu’ailleurs… Tu as fait tes preuves ; il faut que tu restes à la tête du Gouvernement, que tu conserves les pouvoirs de chef de gouvernement, de président du Conseil de type « Quatrième République ». Nous ne sommes pas trop de deux, précisait-il. Je me contenterai d’être le Président de la République, c'est-à-dire une sorte de mawdo. »
Le plus dur pour tous ceux qui l’ont connu et aimé est que la haine existe et laisse souvent des traces même après la mort. Jusqu’à la mort du premier Mawdo, aucune rue de Dakar ne porte son nom. Aucun établissement scolaire (lycée, collèges ou université). Wade, son avocat en 1962 n’a pas su corriger l’oubli. Comme Abdou Diouf qui s'est beaucoup apitoyé sur son sort pendant son passage au cabinet de Senghor non plus. Il reste au président Macky Sall de corriger cette anomalie historique que l’homme et sa famille ne méritent pas. Il a le devoir de le faire. Et comme l’éternité n’est pas de ce monde, son mandat est une occasion pour lui, de corriger aussi les grosses erreurs de ses prédécesseurs.
Un ouvrage de référence à faire lire et relire
Ce livre est plein d’anecdotes et d’informations qui devraient servir les instituts d’études politiques, l’université et les centres de recherche sur le développement comme l’Enea, l’ex.Cfpa, l’Ecole nationale d’administration et de magistrature… Il fait aussi rire quand l’auteur évoque cette histoire de fuite d’un document sur une déclaration sénégalaise sur les essais nucléaires français en Algérie en 1960 et que la Secrétaire de Roland Colin, Ndèye Meissa tenue par le secret d’Etat, a fait parvenir à un ami journaliste qui était son amant. La diffusion du document par le correspondant de l’Agence Reuters à Dakar, reprise le lendemain par toute la presse alors que n’étaient au courant que Mamadou Dia, Roland Colin, Doudou Thiam en sa qualité de ministre des Affaires Etrangères et l’ambassadeur de France au Sénégal, Hettier de Boislambert, menace la quiétude des relations diplomatiques entre le Sénégal et la France.
On avait oublié un dernier larron, celle à qui la lettre a été dictée pour la saisie, la secrétaire. Roland Colin explique, « Aucune des personnes évoquées ne semble pouvoir être soupçonnée. Cependant, une piste s’ouvre. Ma Secrétaire habilitée à traiter les documents confidentiels, a tapé la dite lettre, après que je lui eus indiqué la mention « secret » qui l’affectait et le nombre d’exemplaires strictement limité. Ndèye Meissa était une excellente secrétaire, très expérimentée. Mamadou Dia avait donné son accord à sa venue au cabinet, à partir d’un poste de confiance qu’elle occupait à l’Assemblée nationale. Je vérifie discrètement les carbones, poursuit Colin, et je découvre qu’ils comportent un exemplaire de plus que ma commande. La piste était donc solide… » Mise sur écoute téléphonique sur injonction de Mamadou Dia, elle sera prise la main dans le sac. « Nous apprenons ainsi qu’elle a une liaison avec un journaliste de haut vol qui ayant lui-même une relation intime avec la patronne de Reuters à Dakar avait utilisé cette connexion originale pour se procurer le document convoité… » La belle secrétaire sera remplacée et l’affaire close après un échange entre Dia et Michel Debré. Des histoires d’amour qui ébranlent la vie de la république, ce livre en renferme beaucoup.
Il renferme aussi quelques histoires curieuses comme ce voyage d’Houphouët Boigny à Saint-Louis lors de la venue de De Gaulle en 1959. Les 11 et 12 décembre se tiennent à Saint-Louis, la sixième du Conseil Exécutif de la Communauté. Cette rencontre pouvait être considérée comme décisive pour trancher la question des rapports avec le Mali et mener vers l’indépendance. Outre les tracasseries pour équiper la chambre du Général De Gaulle, au Palais du Gouverneur, dans la chambre de Faidherbe, avec un lit spécial dont la longueur serait supportable pour sa grande taille, s’est greffée la « magie " du futur président ivoirien. « Je m’attachais particulièrement à l’accueil d’Houphouët, compte tenu de l’état délicat des relations ivoiro-sénégalaises. »
Au moment du débriefing des opérations après la visite, raconte Roland Colin, « On ne fit état que de problèmes mineurs. Je vis cependant le maître d’hôtel préposé à la demeure d’Houphouët ouvrir de grands yeux ronds. Il me fit le récit suivant : « A son arrivée, le Président a fait arrêter sa voiture devant le portail. Son « féticheur » est descendu et a inspecté les lieux de fond en comble. Il est revenu en lui disant : ca va mais attention à l’eau. Cette eau-là peut avoir été maraboutée. Donc tu ne dois pas y toucher, ni pour boire, ni pour se laver. Mais l’eau du fleuve, qui coule sans arrêt, est bonne et sans danger. » L’histoire raconte que le maître d’hôtel reçut l’ordre de puiser tous les matins quelques baquets d’eau du fleuve pour la toilette présidentielle. Le Président s’y jeta de bonne grâce et ne fut nullement incommodé.
SUDONLINE.SN
Abdoul Aziz Diop
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