Echos du tribunal

Karim condamné à 6 ans de prison ferme et 138 milliards. Et si telle était la consigne ? Par Momar Seyni Ndiaye


Mardi 24 Mars 2015

Le sort en est jeté pour Karim Wade. Il passera quatre autres années en prison, acquittera 138 milliards, perdra probablement ses droits civiques et politiques. Et si l’article 34 du code pénal lui est appliqué jusqu’au bout, il sera même délesté de ses droits d’administration de ses enfants, déjà orphelins de mère. Le droit est par essence impersonnel. Mais ses sources sont sociales et humaines. Il s’applique à des hommes aussi.


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Karim Wade n’est ni plus ni moins que la victime d’un innommable acharnement politique, dont la CREI est hélas le bras armé. Physiquement, financièrement, moralement frappé, il se voit ainsi dévidé des plus élémentaires sens et valeur à vivre, autrement qu’en respirant tout simplement. C’est à croire qu’il devrait de temps à autre se pincer la chair, pour se rendre compte qu’il est bien sur le plancher des vaches. 

Rarement dans l’histoire politique et judiciaire de notre pays, un homme n’aura été tant traqué, persécuté et «exécuté» sans ménagement par la justice. Ce verdict (six ans d’emprisonnement) n’est pas seulement cynique par sa lourdeur et son ampleur. C’est la CREI, son instrument, qui est inique par sa nature et son essence. 

Elle flatte la dénonciation comme mode d’instruction judiciaire, valorise l’abjecte personnalisation comme ses moyens et sa raison d’être. Elle s’écarte des standards internationaux de justice, parce qu’elle s’affranchit du recours et de l’appel comme facteurs de régulation d’équité et de normalité judiciaire. Elle accorde la primauté à la présomption de culpabilité au détriment de la présomption d’innocence, parce qu’elle veut aller vite dans l’accomplissement d’une mission prédéfinie et articulée à des objectifs politiques précis. Elle s’abreuve de consignes et se dénantit de la conscience, qui fonde l’intime conviction du juge. 

Son éthique, c’est la loyauté institutionnelle et politique. Peu importe si la politique entre par la grande porte du tribunal et que le droit en sorte par la petite. Tout est centré autour de la consigne, la fin justifiant les moyens. Le principe de la contradiction élémentaire pour l’équité et la justice, les droits les plus basics de la défense, les exceptions de nullités, la sécurité du prévenu, ne sont à leurs yeux que des gadgets et autres subterfuges d’avocats dont le seul tort est d’avoir été du «mauvais côté». 

Qui des chefs d’accusations, des preuves à géométrie variable ? Leur versatile rend surréaliste un jugement dont on se demande quels en sont les fondements. Quid des rocambolesques circonvolutions mises à contribution, pour prolonger les gardes à vue, et les détentions préventives ? Le triste spectacle montrant un juge butant sur des mots, cherchant ses données hardiment, aidé par son assesseur, montre bien l’état moral de celui qui aurait dû, à cet instant fatidique, s’entourer de sérénité, de gravité et de solennité pour donner un verdict d’un tel enjeu. 

Quand on abat un homme avec une telle brutalité, une inhumanité, la main faillit, le cœur bat très fort et le corps tremble. 

La charge émotive est lourde et incommensurablement grave. Elle est insupportable tant elle pèse sur la conscience ou ce qu’il en reste. Karim Wade n’a pas été jugé. Il a été condamné avant d’être jugé, parce que telle était la consigne. Autrement comment comprendre que sur plus 150 ministres de l’ancien régime, lui, seul, ait fait l’objet d’un tel acharnement ? Que sont devenus les autres prétendus prévenus ? Où sont passés les 4000 milliards, puis les 700, et les 117 ? Où sont cachés les 47 milliards du fantasmagorique compte de Singapour pour lequel le procès d’Alboury Ndao a été malicieusement différé, pour mieux l’extraire sans vergogne de la liste des chefs d’accusations ? 

En le biffant ainsi, sans sourciller, de la rangée des preuves irréfutables dont se gargarisaient les avocats, oubliant que demain leur conscience les rattrapera aussi, on a cherché à écarter la thèse de la corruption, pour ramener le prétendu préjudice à quatre milliards. Désespéramment ! 

Aucune conscience n’a pu peser sur la conscience du président du tribunal pour l’affranchir des consignes. Seule comptait pour lui, la désespérante obstination à les appliquer. Sans doute n’a t-il pas pensé un seul instant que d’autres ont pu aussi bénéficier de dons et de libéralités de Wade sans en répondre. Mais puisque la consigne était d’enrayer Karim Wade de la carte politique, il était de bonne guerre de porter des œillères pour ne voir que le visage de ses commanditaires, de n’entendre que leurs insensées consignes. Insouciamment ! 

mndiaye@seneplus.com

Adama Cisse