Sciences et Santé

IBRAHIMA GUÈYE, PRÉSIDENT DE L’ASSOCIATION SAAFARA HÉPATITE: "LA PREMIÈRE ORDONNANCE QU’ON M’A PRESCRITE COÛTE 7,300 MILLIONS"


Mercredi 29 Juillet 2015

Agé de 51 ans, Ibrahima Guèye souffre de l’hépatite B chronique. Président de l’association saafara hépatite, il a vendu tous ses biens pour pouvoir se traiter. Aujourd’hui, il continue de lutter contre cette maladie dont la prise en charge normale en une année est évaluée entre 8 et 9 millions.

Vêtu d’une chemise de couleur jaune, Ibrahima Guèye, président de l’association Saafara hépatite, (ASHS) vit avec l’hépatite B depuis 2010. A 51 ans, il est polygame et père de 5 enfants. Le natif de Ouakam mène une lutte acharnée contre cette maladie jugée négligée. Teint noir, chétif, le regard perçant, il raconte comment il vit avec sa maladie. Une pathologie qu’il prend avec beaucoup de philosophie.

Un jour, en 1982, il avait juste 18 ans, il est tombé malade et fut hospitalisé à l’hôpital Aristide Le Dantec. "Mais durant cette période, dit-il, comme l’hépatite n’était pas encore maîtrisée par les systèmes de santé, elle était confondue avec la fièvre jaune. Alors que c’était bel et bien l’hépatite B". Il est resté deux mois dans la structure hospitalière, avant d’entrer dans l’armée en 1984. C’est à sa sortie de l’armée, en 2010, qu’il a été réellement informé sur sa maladie. Les yeux fixés au ciel, Ibrahima Guèye se rappelle cette époque comme si c’était hier. "J’ai eu une poussée hépatique qui m’a obligé d’aller me faire consulter. Après la consultation, les résultats sont sortis positifs. C’était vraiment dur, très dur. C’étaient des moments très difficiles, parce que pour la première fois, j’étais en face de la réalité", narre-t-il.

Il a été orienté vers l’hôpital Aristide Le Dantec, où il a été reçu par le professeur Lamine Diouf. "La maladie avait déjà beaucoup avancé, donc, il fallait automatiquement prendre un traitement pour pallier cela. Le traitement qui m’a été prescrit était très coûteux et inaccessible. Le médecin m’a remis une ordonnance dont les médicaments ne se vendent qu’à la pharmacie Guiguon. J’ai fait le tour des pharmacies, de Dantec à Ouakam, aucune pharmacie n’avait ce médicament", explique Ibrahima Guèye.

"Je n’avais même pas 300 mille dans mon compte bancaire"

A la pharmacie Guiguon, on lui a remis une facture pour 48 injections pendant 48 semaines. C'est-à-dire, 1 an de traitement. "Lorsque le pharmacien m’a remis la facture, j’ai cru qu’il s’était trompé. La facture était de 7 millions 300 francs. En sortant de la pharmacie, j’ai perdu les pédales. Je n’avais pas ce montant, ce qui signifiait que je n’allais pas me soigner. Je suis reparti voir le médecin qui m’a signifié que c’était la seule solution qui existait. Il fallait arrêter la poussée hépatique, sinon ce serait fatal après", raconte-t-il. Le médecin a ajouté : "Il faut que vous soyez sûr de pouvoir assumer ce traitement. Parce que si vous le commencez et que vous l’arrêtez, vous perdez tout ce que vous avez fait. Donc, il fallait terminer toutes les 48 injections, sinon le traitement ne serait pas efficace".

"Mon parcours de combattant"

"Je n’avais même pas 300 mille dans mon compte bancaire. Une injection coûte 159 mille. Il faut en prendre 48. C’est là où a commencé mon parcours de combattant". Avec le peu d’argent qu’il a gardé dans son compte, il s’est payé une injection. Le montant restant ne pouvant pas couvrir la deuxième injection, il a fait un prêt à son service, qui lui a octroyé 2 millions. Mais ce prêt était juste pour deux mois, parce qu’il faut 630 mille francs par mois. Après les deux mois, il a fait un autre prêt de 1 million 500 mille à sa banque. Ce qui lui a permis d’avoir un autre traitement et d’arriver jusqu’à 4 mois et demi. "C’est à ce moment que les choses se sont compliquées, parce qu’il fallait continuer le traitement. Il n’y avait plus de solution. J’avais déjà deux dettes. Les coupures avaient commencé. Il y avait les analyses à payer. C’est ainsi que j’ai pensé à vendre mes biens. J’ai d’abord vendu le terrain que j’avais à Ouakam", raconte le président de ASHS.

"Financièrement j’étais épuisé en plus des deux dettes, j’ai arrêté le traitement"

Après un an de traitement, la maladie n’a pas disparu. "Le médecin n’a pas eu les résultats escomptés. Il m’a dit qu’il fallait continuer et on est allé jusqu’à 53 semaines de traitement, au lieu de 48. Ce qui veut dire qu’on a dépassé les 7 millions 300 francs". A un moment donné, n’ayant plus d’argent, il a arrêté le traitement. "Financièrement, j’étais épuisé. Avec les deux dettes, la maladie qui stagne, j’ai décidé d’arrêter." Malheureusement pour Ibrahima Guèye, 6 mois plus tard, il y a eu une réplique, une accélération de la maladie. "J’ai eu une coïnfection de l’hépatite D qui est venue se greffer. Cela a compliqué la situation. J’ai vendu mon véhicule pour commencer un autre traitement que je n’étais pas sûr de terminer. Il y a eu aussi l’apport de ma famille. Et là aussi malheureusement, après 1 an, le résultat n’était pas satisfaisant." C’est à ce moment que le programme national de lutte contre les hépatites lui a octroyé un lot de médicaments lui permettant d’assurer le traitement pendant plus de 57 semaines.

Malgré tout, Ibrahima Guèye ne s’est pas résigné. Il a fait recours à des prières chez les chefs religieux. "Puisque la solution ne vient que de Dieu. C’est le Tout-Puissant qui peut guérir. Je me suis confié à lui. Depuis lors, je me sens mieux par rapport au départ. Je rends grâce à Dieu. Je suis très bien portant et les derniers résultats sont très satisfaisants. Je mène ma vie correctement, sans difficultés ni pression", soutient-il.

Toutefois, le président d’ASHS s’inquiète pour ses camardes malades. Car, dit-il, des gens sont porteurs du virus sans le savoir. D’autres décèdent tous les jours, parce qu’ils n’ont pas la possibilité de se soigner. Le mal qu’il ressent, c’est de ne pas pouvoir les aider. C’est la raison qui l’a poussé à créer cette association. Car, explique-t-il, pour qu’un patient puisse se prendre en charge correctement pendant un an, il lui faut beaucoup d’argent. "Il faut débourser 7 millions 300, sans compter les bilans sanguins qui peuvent revenir à plus de 200 mille francs à un patient, les radios, les scanners, la fibroscopie et l’IRM".
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Abdoul Aziz Diop