François Paul Gomis – Sg du syndicat des aiguilleurs du ciel – «Nous n’avions nullement l’intention de saboter Aibd»

Lundi 18 Décembre 2017

Pendant 24 heures, le ciel est tombé sur la tête des Sénégalais, après la grève entamée par les contrôleurs aériens à l’Aibd. Un coup de massue envoyant à terre Blaise Diagne qui, une semaine après son inauguration, pouvait se passer de cette si triste publicité. François Paul Gomis, le secrétaire général du Syndicat des aiguilleurs du ciel sénégalais, revient sur cette grève et jure la main sur le cœur que lui et ses collègues sont bel et bien des patriotes, un pieddenez à ceux qui en doutaient encore…


 

Qu’est-ce qui vous a pris de bloquer le ciel de l’Aéroport International Blaise Diagne 24 heures durant ?

Ce que nous réclamions, c’étaient de bonnes conditions de travail. Eu égard à la sensibilité de notre travail, la responsabilité que cela requiert. Vous savez, en cas d’incident, le contrôleur aérien est très vite pointé du doigt. Parce que nous sommes responsables de l’espace aérien, du guidage des avions. Donc quelqu’un qui fait un tel travail a besoin d’être mis dans de très bonnes conditions, alors qu’en ce moment, nos conditions de travail ne sont pas bonnes. Depuis 6 mois, nous ne cessions d’alerter les autorités sur nos conditions de travail qui ne cessent de se dégrader. Mais, elles n’ont pas voulu réagir. C’est pourquoi, comme la sécurité était menacée, nous nous sommes dit que nous allons ouvrir Diass et, une semaine après, nous allons faire grève pour que les autorités réagissent. Parce que si nous continuons comme ça, cela risque de nous mener à la catastrophe.

Avez-vous conscience des dommages que vous avez causés à l’image du Sénégal en bloquant l’espace aérien de Diass ?

Nous sommes très conscients des dommages que nous avons causés à notre pays. Mais si nous continuons comme ça en travaillant dans des conditions qui sont difficiles, nous exposons la sécurité de la navigation aérienne. Il risque d’y avoir problème. Maintenant, il faut arrêter, régler le problème et avancer. Il ne faut pas attendre qu’il y ait catastrophe pour réagir. C’est vrai qu’il y a des gens qui en souffrent, nous pensons aux passagers, au manque à gagner des compagnies aériennes, au manque à gagner de l’Asecna (Agence pour la sécurité de la navigation aérienne en Afrique et à Madagascar), mais ce que nous demandons, c’est beaucoup moins que ce que l’Asecna perd. Donc, les autorités devraient prendre de la hauteur et accéder à nos demandes. Parce que de bonnes conditions de travail, c’est mieux assurer la sécurité de la navigation aérienne. Et cela n’a pas de prix.

Cette manière de procéder, c’est comme un chantage que vous avez fait aux autorités, vous les avez même tordu le bras.Est-ce acceptable de procéder de la sorte pour des syndicalistes que vous êtes ?

Je pense qu’il faut peser le pour et le contre dans cette histoire. Si nous ne le faisions pas, nous pouvions rester, croiser les bras et travailler dans des conditions difficiles. Encore une fois, un contrôleur aérien, il est les yeux du pilote. Dans un espace aérien comme celui de Diass qui est bondé, c’est nous qui sommes les yeux du pilote. C’est à nous de demander au pilote ce qu’il doit faire. Un pilote conduit l’avion, mais il ne sait pas les autres avions qui sont dans l’espace aérien qui l’entoure. Il peut demander à changer de niveau, ou à changer de route, c’est à nous d’apprécier la possibilité ou pas. Alors si le contrôleur aérien est fatigué ou il a des soucis familiaux, est-ce qu’il peut faire convenablement son travail ? Non. Et si nous faisons une erreur, c’est la catastrophe qui s’en suit.

«Si c’était à refaire, nous n’hésiterions pas»

Qu’est-ce qui a pesé dans la balance pour que vous arrêtiez cette grève-là ?

Nous nous attendions que les autorités de l’Asecna nous saisissent ou notre ministre de tutelle pour discuter.Mais tel n’a pas été le cas, et c’est le Premier ministre qui nous a appelés, nous donnant des garanties qu’il prend les choses en mains. Si cette personnalité se propose de le faire, en tant que patriotes, nous avons décidé de suspendre notre mot d’ordre de grève en attendant de voir ce qu’il va nous proposer.

 

Sur ce coup, beaucoup de Sénégalais vous reprochent votre manque de patriotisme, que leur répondez-vous ?

C’est la sécurité qui est en jeu, ce n’est pas un manque de patriotisme. Imaginez que l’on ouvre Diass et Paff ! Il y a un accident. Les gens ne vont pas voir que nous sommes confrontés à de très mauvaises conditions de travail. Et ces conditions difficiles se répercutent automatiquement sur la gestion du ciel aérien. Je pense que les gens doivent comprendre ce que c’est qu’un contrôleur aérien, nous n’avions nullement l’intention de saboter. Personnellement, je suis à l’Asecna depuis 17 ans et c’est la première fois que je participe à une telle grève.

Si c’était à refaire, referiez-vous grève ?

Si c’était à refaire, nous n’hésiterions pas pour améliorer nos conditions de travail. Puisque ce sont ces conditions qui garantissent une bonne sécurité de la navigation aérienne, il faut que les gens le sachent. Nous n’avons pas fait grève dans le but de décrocher la lune. C’est la sécurité des passagers qui est en jeu. Il faut que les compagnies aériennes sachent que ceux qui ont leur sécurité en vol ne sont pas dans de bonnes conditions de travail. Si les gens comprennent cela, il n’y aura pas problème. Dans le centre de Dakar, nous gérions plus de 150 avions par jour, Dakar en tant que tel est un carrefour, il y a beaucoup d’avions qui se rencontrent à tout moment et ce sont des hommes et des femmes qui sont au sol qui les guident. Je pense que sur ce coup, il y a négligence des autorités, les gens ont dépensé des milliards de FCfa pour faire des infrastructures, acheter des équipements et négliger le volet humain. C’est vraiment désolant.

Abdoul Aziz Diop