Editorial de Seneplus: NON M. LE PRÉSIDENT ! Par Serigne Saliou Guèye
Macky Sall a fait preuve de reniement d’un principe qui a présidé au choix des électeurs qui l’ont installé au pouvoir le 25 mars 2012. Il s’agit de l’éthique et de la morale qui récusent la transhumance
Dans l’émission Perspectives 2012 de Walf TV, Pierre Edouard Faye, accompagné de Georges Nesta Diop, demandait au candidat de Bennoo Bokk Yaakaar et de Macky 2012, si son appel aux autres forces politiques pour assurer la victoire au second tour, ne favorisait pas déjà la transhumance. Macky Sall répondait sans circonlocution en ces termes : «Ce n’est pas la transhumance dès l’instant que des gens viennent avant la victoire. On a tendance à dire, très souvent, que lorsque les rats quittent le navire, c’est que le naufrage est imminent. Les gens qui viendront avant la victoire, qui vont se battre, seront accueillis. Certes ils sont venus tardivement mais ils sont venus, même si c’est à la 25e heure. Mais je les respecte. Ce qui est déplorable, c’est le fait que certains attendent que d’autres se battent et gagnent pour venir les bousculer. Cela est inacceptable. La porte ne leur sera pas fermée, mais ils seront derrière, à la queue. Ils attendront le temps que cela nécessitera pour faire leur parcours de combattant dans les rangs. On ne peut continuer à faire la transhumance telle qu’elle se fait aujourd’hui. Il faut mettre de l’éthique dans tout cela. Il faut que les gens reviennent aux valeurs. Nous ne pouvons pas changer positivement notre pays dans le ‘boul falé, le masla’ où chacun fait ce qu’il veut et après on tapote entre camarades et c’est fini. »
Cinq jours après la victoire de Macky Sall à la présidentielle de 2012, Alioune Tine, l’alors coordonnateur de la Raddho, a félicité vivement le Président nouvellement élu en lui rappelant qu’au chapitre des pratiques politiques récusées par l’éthique, la morale, et dénoncées par l’ensemble des parties prenantes aux Assises nationales ou au M23, et par l’opinion publique sénégalaise, figure en bonne et due place «la transhumance». Et cette pathologie politique y est définie comme une «abomination politique, un acte opportuniste de lâcheté politique pour ceux qui s’y adonnent et, surtout, un acte de complaisance coupable pour ceux qui l’acceptent et qui accueillent ses auteurs». C’était pour lui signifier qu’il faut bannir, durant son magistère, cette pratique politique abjecte de nos mœurs politiques.
En recevant les journalistes des groupes de presse GFM, D-Média et la RTS à la fin de sa tournée politico-économique à Kaffrine, le 16 avril, le chef de l’Etat a fait preuve de reniement d’un principe fondamental qui a présidé au choix des électeurs qui l’ont installé au pouvoir le 25 mars 2012. Il s’agit de l’éthique et de la morale qui récusent les mauvaises pratiques en politique telle que le changement d’allégeance partisane, trivialement appelé transhumance.
Interrogé sur la transhumance à outrance qui s’opère depuis un certain temps au sein de l’Alliance pour la République (Apr), le président Macky Sall, courroucé, a plaidé pour le respect de la dignité des transhumants. Sauf que ces éternels bergers ayant une boussole à la main et une calculatrice dans la tête et allant de pâturage en pâturage pour brouter n’ont pas de dignité. Sauf que ces adeptes de reniements, de revirements, de ralliements qui trahissent les idéaux de leur parti pour rejoindre la mouvance présidentielle avec l’espoir de paître dans ses pâturages plus fertiles constituent des anti-modèles, des parangons de contre-vertus.
Trois ans après le flétrissement sans aménités de la transhumance, le candidat devenu président semble amnésique au point de faire l’apologie de la transhumance. En quelque sorte, le pourfendeur de cette transmutation élève au rang de valeur cette prostitution politique qui détonne avec l’éthique républicaine, et bénit ce cancer qui se métastase dans le corps politique sénégalais. Mais l’ordure ne deviendra jamais de l’or à moins que le chef de l’Etat, alchimiste, dispose d’une pierre philosophale pour transmuer les déchets politiques en modèles politiques vertueux. Jamais en politique, la vertu ne deviendra pathologie et jamais la pathologie ne deviendra vertu. Ainsi soutenir que la transhumance ne sied pas à ses nouveaux ralliés, c’est ramer à contre-courant des valeurs qui fondent l’action politique.
Les grands principes, l’attachement idéologique, les convictions politiques demeurent toujours la pierre angulaire de l’action politique. La probité, l’honnêteté scrupuleuse et le désintéressement le plus total sont bien le minimum attendu de ceux qui détiennent le pouvoir ou s’opposent au nom du peuple. L’intérêt des politiciens transhumants dépourvus de morale n’est pas dans la défense des idéaux qu’ils prétendent porter mais dans la satisfaction de leurs instincts bassement alimentaires. Ainsi on voit un tel grand responsable politique renier sa profession de foi et déchirer ses oripeaux idéologiques pour aller se jeter dans les bras souvent du parti au pouvoir prébendier pour jouir de strapontin ou de maroquin ou pour échapper au glaive de la justice.
Ainsi un transhumant-transmutant libéral comme Adama Bâ, sans faire les rangs, comme énoncé par Macky Sall dans l’entre-deux tours, a brûlé les étapes et a été récompensé respectivement du poste de président du conseil d’orientation de la plateforme de Diamniadio. Awa Ndiaye, au prix de sa transhumance, échappe au glaive de la justice et bénéficie d’un non-lieu alors qu’un rapport de la Cour des comptes avait épinglée sa gestion lorsqu’elle était ministre de la Femme et de la Famille. Il ne serait pas surprenant que les néo-transhumants, en l’occurrence Abdou Fall, Bécaye Diop, Sitor Ndour, prennent part très prochainement au festin présidentiel.
Pour cette race de politiciens, il faut toujours être là où il y a à manger à satiété et à boire à suffisance. Evidemment, pour les transhumants, il faut toujours aller là où il fait bon vivre, se mettre en sécurité en restant du côté du pouvoir en place. La faim des transhumants justifiant leurs moyens peu orthodoxes, diantre pourquoi s’embarrassent-ils de convictions idéologiques superfétatoires ?
Ces hommes ou femmes politiques, toujours prêts à tenir des discours lénifiants, thuriféraires pour entrer dans les bonnes grâces du Prince. Leur posture est toujours une imposture parce qu’ils sont toujours prêts à un retournement de veste dès qu’un changement de régime intervient. Ils n’hésitent pas à adorer ce qu’ils abhorraient hier.
Avec tous les qualificatifs dévalorisants de la transhumance, le président de la République, obnubilé par la massification de son parti, peint ceux qui ont troqué leurs convictions politiques pour des passe-droits sous la même couleur que ces hommes et femmes politiques qui sont restés dignes, dans le pouvoir comme dans l’opposition, et qui ont fait de l’éthique et de la morale, les principes sacro-saints de l’action politique.
Les transhumants trainent une maladie incurable, une tare congénitale qui ne trouvent leurs sédatifs que dans la jouissance et les ors du pouvoir qui les plongent dans le nirvana. Dès lors vouloir lustrer et l’élever à l’échelle des valeurs qui régissent les partis la transhumance devient une opération démagogique et sisyphéenne.
Les Marocains, conscients du danger de la pratique malsaine du nomadisme politique, ont constitutionnalisé son interdiction en son article 61. Au Sénégal, c’est le même modus operandi. L’article 60 de la Constitution de la République ainsi que l’article 7 du Règlement intérieur de l’Assemblée nationale stipulent que «tout député qui démissionne de son parti en cours de législature est automatiquement déchu de son mandat». Suffisant pour que le président de la République, clé de voûte des institutions, soit à l’avant-garde de ceux qui combattent ce cancer qui continue de défigurer notre corps politique
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