Société

Edito de Seneplus: QUI A SAUVÉ JAMMEH ? Par ALYMANA BATHILY


Lundi 8 Juin 2015

Quand Lamin Sanneh a quitté les Etats-Unis, le FBI en a informé le Département d’Etat qui, à son tour, a informé un pays voisin de la Gambie, sa destination première. Ce pays, c’est évidemment le Sénégal

«Qui a protégé Yaya Jammeh ?» C’est la question à laquelle tente de répondre le Washington Post dans un article intitulé «Comment un dirigeant africain détesté a survécu à un coup d’État monté aux États-Unis» et paru dans l’édition du 31 mai du quotidien conservateur de la capitale américaine.

L’article fait référence à la tentative de coup d’Etat contre le président gambien, perpétrée le 30 décembre 2014 et défaite par les forces armées loyales à Yaya Jammeh avec le massacre des assaillants et une nouvelle vague de répressions contre l’opposition politique et la société civile.

Le Washington Post a recueilli les témoignages de «trois fonctionnaires du département de la Justice qui ont accepté de parler à condition que leur anonymat soit protégé ; le sujet étant secret». Sur cette base, le journal révèle que le FBI a en fait surveillé tout le processus de préparation du coup d’Etat, sur le sol américain, en interceptant les conférences téléphoniques préparatoires que les conspirateurs basés dans différentes villes des USA tenaient tous les samedis.

Le FBI a ainsi pu connaitre tous les détails de l’opération qui se préparait : depuis le budget de 221 000 dollars US jusqu'à l’armement et l’équipement achetés aux États-Unis et envoyés en Gambie.

L’agence américaine a aussi été informée du plan initial qui était d’attaquer le convoi de Jammeh sur son trajet habituel du palais présidentiel à son village.

Evidemment tous les conspirateurs ont été identifiés. Cherno Njie (Thierno Ndiaye en orthographie sénégalaise), un riche promoteur immobilier basé au Texas, apparaissait comme le financier de l’opération. Lamin Sanneh (Lamine Sané), un ancien officier supérieur des forces armées gambiennes était le cerveau militaire. Pap Faal (Pape Fall), un vétéran de l’armée américaine avec 10 ans de service en Afghanistan, Njaga Jagne (Ndiaga Diagne), un capitaine de la Garde Nationale de l’Etat du Kentuky, ayant servi à deux reprises en Iraq, et Alagie Barrow (El Hadji Barro), un ancien officier de la Garde Nationale de l’Etat de Tennesse, complétaient l’équipe.

Selon les informations du Washington Post, en début décembre 2013, quand Lamin Sanneh a quitté les Etats-Unis, le FBI en a informé le Département d’Etat (le ministère des Affaires étrangères des Etats-Unis).

Le Département d’Etat a à son tour informé le pays voisin de la Gambie qui était sa destination première «dans l’espoir que les autorités locales l’intercepteraient et éviteraient un bain de sang».

Ce «pays voisin de la Gambie» est évidemment le Sénégal. L’informateur du Washington Post soutient que Yaya Jammeh n’a alors pas été informé de peur que le régime ne s’en prenne «à des innocents américains» en Gambie.

Toujours est il que quand les comploteurs sont arrivés du Sénégal par la route et se sont mis en place, Yaya Jammeh était prévenu. Il a alors mis en place un piège. Alors que les conspirateurs avaient prévu d’attaquer son convoi quand il se rendrait du palais présidentiel à son village, il part brusquement à l’étranger. Quand ils se résolvent à attaquer le palais présidentiel, ils rencontrent un barrage de feu, la garde ayant été considérablement renforcée.

Le commando des conspirateurs est décimé. Deux des «cerveaux américains», Lamin Sanneh et Njaga Jagne, sont tués. Pape Fall, Thierno Ndiaye et El Hadj Barro arrivent à sortir de Gambie et retournent aux Etats-Unis. Ils y font face à des poursuites judiciaires pour violation d’une étonnante Loi sur la Neutralité de 1794 (étonnante quand on sait que les USA ont toujours cautionné ou même organisé les trafics d’armes contre tous les régimes qu’ils combattent de Cuba, au Nicaragua à l’Angola par exemple).

Mais la question centrale est celle-ci : les Etats-Unis ont-ils «donné» Lamin Sanneh, Cherno Njie et leurs camarades à Yaya Jammeh et, ainsi, sauvé un régime qui est, comme le rappelle le quotidien de la capitale fédérale américaine, allié à tous ses ennemis et contre toutes ses valeurs ?

Au nom de quels intérêts les USA auraient sacrifié des hommes qui sont citoyens américains (à l’exception peut-être de Lamin Sanneh) et qui ont combattu sous son drapeau ?

Si ce n’est pas les USA, serait-ce le Sénégal ?

Les autorités sénégalaises ont-elle pensé que c’était là ce que les Américains attendaient d’elles ou ont-elles encore une fois suivi leur étrange complaisance à l’égard du dictateur de Banjul ? S’agit il plutôt d’une fuite organisée par des agents des services secrets sénégalais travaillant en intelligence avec Yaya Jammeh ? Dans tous les cas ce service rendu constitue un coup dur porté à la lutte pour la démocratie en Afrique

SENEPLUS



Abdoul Aziz Diop