En écoutant «Wakh sa khalat», l’émission interactive de Sud Fm, samedi 21 novembre, j’ai été particulièrement marqué par l’intervention pertinente d’un homme d’âge mûr qui s’indignait du spectacle indécent des condoléances présidentielles que nous bombardent, depuis plusieurs jours, les médias avec en tête la RTS (télévision publique).
En effet, l’auditeur flétrit le comportement hypocrite de l’État sénégalais qui entend, à travers un barnum médiatico-propagandiste, montrer sa compassion et sa générosité à l’endroit des familles des 62 victimes du récent pèlerinage à La Mecque. Bien qu’ayant fait le même constat, j’avais décidé de ne point stigmatiser toute la tartufferie qui entoure une telle initiative. Mais cet auditeur indigné m’a poussé à changer d’avis pour mettre sur papier le fond de sa pensée qui recoupe le mien.
Comme un paterfamilias, le président de la République a lâché la meute des ministres et des gouverneurs, des préfets, sous-préfets, chefs de service régionaux, maires, conseillers municipaux et départementaux en direction des familles affligées par le drame de Mina. Ainsi l’État-Mama envoie ses pleureurs présenter ses condoléances attristées avec en appoint une enveloppe de deux millions de francs.
Comme un mot d’ordre unanimement respecté, tous les émissaires du président serinent le même discours devant les membres des familles éplorées, remettent l’enveloppe, procèdent à un arrêt sur image pour immortaliser ostensiblement le «diakhal» dans les mains tremblotantes d’un représentant de la famille.
Les familles endeuillées, même si, pour la solennité, elles organisent une cérémonie de réception que leur impose le service protocolaire présidentiel, pensent d’abord à l’être chéri perdu avant d’être honorées par les condoléances présidentielles publicisées. Un honneur-gloriole dont elles se passeraient bien pendant ces moments de souffrance.
C’est ignoble de profiter de la souffrance des familles éplorées pour dissimuler son incapacité derrière le paravent des pseudo-sentiments mis burlesquement en scène ou pour masquer le plus souvent une incompétence à répondre aux vraies attentes des Sénégalais. C’est indécent de voir des hommes politiques chercher à récupérer ces grandes douleurs muettes qui, dans nos mœurs et religions, ne s’accommodent point de l’ostentation.
Le «diakhal» ça ne se fait pas devant les caméras, le crépitement des flashes et une foule de micros, mais dans la discrétion. D’ailleurs des familles sont en train de se déchirer à cause du partage léonin des deux millions.
Toutes ces personnalités qui se déplacent vers les familles endeuillées pour jouer les mouches du coche donnent l'illusion de compatir à une douleur où, d’une manière indirecte, elles sont impliquées. En ces circonstances, elles essaient, devant les caméras et les micros, de surfer sur la douleur des gens touchés dans le but sournois de grappiller des sympathies sur fonds de propagande électorale.
Aujourd’hui toute une opération de communication est mise en branle par le pouvoir pour accréditer la thèse de la fatalité du drame de Mina tout en refusant de poursuivre l’Arabie Saoudite aux fins de découvrir toute la vérité qui a entouré les 2000 morts de La Mecque.
Le Président Macky Sall et ses émissaires, en bons musulmans, doivent savoir que la discrétion recommande que même la main gauche qui reçoit ne doit pas savoir ce que la main droite donne. Ainsi selon la religion islamique, donner en évitant toute exhibition vaniteuse, c’est donner avec désintérêt c’est-à-dire en n’attendant rien en retour de celui à qui l’on a donné ; c’est donner sans jamais prévoir obtenir par calcul un bénéfice à thésauriser. In fine, c’est donner avec la plus la grande générosité avec le seul dessein de plaire à Dieu.
C’est ainsi que ces deux sourates condamnent ceux qui donnent en mettant en exergue l’ostentation de leurs libéralités : «Celui qui dépense son bien par ostentation devant les gens sans croire en Allah et au jour dernier, il ressemble à un rocher recouvert de terre : qu’une averse l’atteigne, elle le laisse dénué. De pareils hommes ne tirent aucun profit de leurs œuvres.» (Sourate 2, Al-Baqarah, La Vache, verset 264). «Et ceux qui dépensent leurs biens avec ostentation devant les gens ne croient ni en Allah ni au Jour dernier.» (Sourate 4, An-Nisâ, Les Femmes, verset 38).
Et cela est complété par la Bible qui recommande que «quand tu fais l’aumône, que ta main gauche ne sache pas ce que fait ta droite, afin que ton aumône se fasse en secret ; et ton Père, qui voit dans le secret, te le rendra.»(Mathieu 6).
Plutôt que d’aller organiser des «khawaré funèbres» sous-tendus par une fausse générosité, le chef d’Etat ferait mieux de s’occuper de ce Sénégal qui souffre dans son entièreté. Un Président n’a pas vocation à distribuer des sèche-larmes à tous les événements mortuaires ou drames.
Abdoulaye Wade avait la manie de trainasser la RTS chaque fois qu’il se déplaçait pour aller présenter ostensiblement ses condoléances à une famille endeuillée. Son successeur que l’on croyait décidé de rompre avec ces pratiques dégradantes, dévalorisantes fait pire avec la télévision nationale qui a fini de montrer aux Sénégalais qu’elle n’est réduite qu’à un instrument médiatique au service exclusif de tout Président en activité. Ainsi les pérégrinations des émissaires du Président dans les familles des victimes peuvent être assimilées à une opération de communication qui exploite, à des fins politiciennes, un événement-catastrophe par la complicité des médias publics et (certains) privés.
De là, on perçoit insidieusement dans cette mise en spectacle du traumatisme des parents des morts de Mina, un procédé de communication destiné, à travers ces débordements ostensibles de sensibilité et d’émotivité de ses émissaires-histrions, à montrer sinon à instiller, dans la conscience des Sénégalais, l’image d’un Macky Sall, président sympathisant-compatissant à la douleur de ses compatriotes.
Mais aujourd’hui, les Sénégalais, mithridatisés contre ces émois factices de politiciens, ne donnent plus foi à leurs larmes de crocodiles ni n’acceptent leur compassion compassée. Toutefois les journalistes qui relaient ces images de deuil politisé ne sont pas dignes de la profession. C’est choquant et révoltant de voir l’émotion instrumentalisée des familles être diffusée indécemment par des médias qui n’ont aucune éthique et déontologie à faire complaisamment le jeu d’un pouvoir perdu dans les dédales de ses errements politiciens. C’est pourquoi on attend la réaction du Conseil national de régulation de l’audiovisuel (CNRA) contre les dérives de la RTS vers l’information-spectacle qui bafoue le respect de la dignité humaine et évoque de façon avilissante la souffrance de familles endeuillées
SENEPLUS