Volontairement ou non, le ministre de l’Intérieur, Abdoulaye Daouda Diallo, a jeté un véritable pavé dans la mare politique. Il serait étonnant, en tout cas qu’il n’ait pas suscité, à dessein, cette onde de choc, déclarant froidement que la loi de finances en discussion n’avait rien provisionné de ce qui pourrait ressembler au financement d’un référendum. Rien de moins.
Qui plus est, le calendrier républicain ne porte aucune mention d’une quelconque autre élection que celle prévue pour les législatives de 2017 et la présidentielle de… 2019. Donc, pas question d’une joute électorale présidentielle, dans un peu moins de quinze mois. En d’autres termes, une seule élection présidentielle en vue, celle de 2019, conformément au calendrier républicain.
Que les alliés ou adversaires du Président en concluent qu’il n’y aurait pas d’élection présidentielle en 2017, en d’autres termes que le Président Sall aurait renoncé à réduire son mandat, n’engage qu’eux-mêmes, aux yeux du ministre de l’Intérieur. Qui, lui, reste figé à son premier degré de lecture «technique» de ses prévisions budgétaires inscrites réellement sur l’actuelle loi de finances. Il laisse ainsi aux politiques, comme d’une sorte de grain à moudre, la part d’interprétation de son métalangage, si habilement servi. Surtout quand il s’empresse d’ajouter que l’organisation d’une consultation référendaire relève d’une simplicité proverbiale et les moyens nécessaires facilement mobilisables.
Ancien ministre du Budget, il serait erroné de croire qu’Abdoulaye Daouda Diallo ignore les principes de base de l’élaboration d’une loi de finances : la prévision, la planification des recettes et des dépenses, à partir des ressources financières disponibles ou à trouver. Comme on ne peut le soupçonner de surdité ou d’amnésie, ce très proche collaborateur du Président Sall, l’a certainement entendu déclarer urbi et orbi qu’un référendum serait organisé en 2016. Pourquoi sur la foi de la déclaration présidentielle, il ne prévoirait de provisionner un poste «Référendum» et parer à toute éventualité ?
Ce n’est pas au ministre de l’Intérieur qu’on apprendrait qu’une loi de finances rectificative (LFR) est souvent, un incident budgétaire (comme toute révision budgétaire), une mesure d’exception qui traduit une défaillance dans la prévision et la planification, outils fondamentaux dans la gestion rationnelle. À moins qu’il ait reçu des instructions fermes, pour ne prévoir l’organisation du référendum, on voit pas mal, comment à son niveau, une telle évidence peut-être méconnue, d’un administrateur civil, à plus forte raison, d’un ancien ministre du Budget.
Dans un budget ou figure, à l’indifférence générale, près de six milliards francs Cfa pour équiper l’État de caméras de surveillance, on peut bien en provisionner autant pour l’organisation d’un référendum, maintes fois annoncé par le Président himself. La sécurité démocratique vaut bien la sécurité physique dans un pays qui est loin d’être menacé par le terrorisme.
Le marketing de la peur est un couteau à double tranchant, car installer la psychose de la peur pour justifier des dépenses somptuaires, peut valoir un retour de bâton.
Dans la même foulée, en analysant la temporalité des deux évènements (le référendum de 2016 et l’élection présidentielle de 2009), on retiendrait que leur annonce concomitante par le ministre de l’Intérieur, délivre un message fort révélateur, qu’on peut ainsi résumer : «Jusqu’à preuve du contraire, il n’y aura pas de réduction du mandat du Président Sall». Et par simple effet de syllogisme : pas de référendum en 2016, pas de présidentielle en 2017, donc pas de réduction du mandat en cours du Président Sall. Cet amalgame est d’autant plus surprenant qu’Abdoulaye Daouda Diallo, prenait langue avec la Commission électorale nationale autonome (CENA) sur le calendrier de 2016, quelques heures seulement (hic) avant son passage devant l’Assemblée nationale.
L’évocation simultanée du calendrier électoral de 2019 et des prévisions budgétaires de 2016 est-elle donc une déduction logique d’un éventuel revirement du Président Sall ? L’étape d’une élection présidentielle en 2017, étant automatiquement sautée ou occultée, dans le verbatim de l’influent ministre de l’Intérieur. Difficile à admettre, compte tenu de la récurrence martelée avec laquelle, le Président Sall dit sa détermination à respecter son engagement d’avant second tour. Même, il est vrai, en nuançant de plus en plus son propos ! Parce que tout simplement, sans référendum, comment envisager une élection présidentielle en 2017 ? Sauf si, perspective déjà écartée par le Président lui-même, il décidait de démissionner de son poste, pour donner corps à sa promesse.
La réaction qui a suivi la sortie d’Abdoulaye Daouda Diallo a délié les langues aussi bien dans la majorité présidentielle que dans l’opposition. Le PDS et ses alliés du FPDR, ont agité le mouchoir rouge et dénoncé une «nouvelle manœuvre présidentielle». Dans Benno Bokk Yakaar, la LD (cette fois, sans langue de bois,) a, par l’entremise de son porte-parole Moussa Sarr, sonné le tocsin, pour ramener le Président à ses promesses. La société civile a lancé des cris d’orfraie, pour tenter de recadrer le ministre de l’Intérieur. Et dans le camp de l’APR, Seydou Guèye porte-parole devenu très réactif, a assuré le SAV, en plaçant les surprenants propos du ministre de l’Intérieur dans leur contexte actuel. Et surtout en rappelant que l’engagement présidentiel serait tenu, selon le calendrier que le principal concerné décidera par lui-même.
L’assourdissant mutisme de l’AFP et du PS, traduit certainement, leur gêne devant tant de valse-hésitation, de rétropédalage et de cacophonie. Il est vrai que dans ces deux formations, la réactivité n’est pas inscrite dans les habitudes politiques. Qu’importe ! Même le commun des mortels, le Sénégalais lamda, semble désarçonné par dans ce brouillard. La sortie, certainement inopportune d’Abdoulaye Daouda Diallo, relève-t-elle de l’intox, du ballon de sonde d’un pré-conditionnement, autrement dit, une préparation psychologique à une décision que devrait prendre le Président Sall, sous peu ? Qui sait, lors de sa prochaine adresse à la Nation à l’occasion du nouvel an.
Le ministre de l’Intérieur est probablement un des meilleurs ministres du gouvernement de la seconde alternance. Jusqu’à présent aucun dérapage verbal ne lui est connu. Sa parole est rare, sobre et crédible. C’est pourquoi, il est difficilement concevable que sa sortie fût improvisée et d’une surprenante maladresse. Il y a manifestement de l’entropie dans sa déclaration, car son adresse comporte un impressionnant nombre de messages que tout le monde, selon où il se trouve, peut à sa guise, décortiquer. Son message est pour ainsi dire implicite, ambivalent et un tantinet provocateur, même la sérénité, le sérieux et la sobriété affichés de l’homme ne se prêtent pas à cette catégorie de circonvolutions.
En effet, il eût été plus simple pour Abdoulaye Daouda Diallo de se cantonner au Budget 2016, pour que cette loi ne comporte pour l’heure, aucune inscription budgétaire relative au référendum. En promettant de faire face à toute éventualité en cas de besoin. Son dérapage sur 2017 et 2019 a suscité les réactions normales et alimenté la polémique, ajoutant ainsi, au tumulte autour de la réduction du mandat du Président Sall.
À l’évidence les conséquences de cette mis-communication sont très dommageables à l’image du Président Sall. Ses adversaires trouvent une occasion rêvée d’enfoncer le clou sur son «indécision» et son jeu à cache-cache, avérés ou non. Les dénégations ou autres recadrages du porte-parole n’y peuvent rien.
Bien au contraire, ils contribuent à noircir le tableau assombri de l’image présidentielle affectée par l’attentisme, l’incertitude, l’indécision compulsifs sur le calendrier républicain. Ses partisans incapables de percer son secret (exemple son conseiller juridique), nage dans des eaux troubles. Ils sont obligés, à défaut de rester mutiques, donner dans la langue bois, le discours convenu, sans crédibilité et sans consistance. Le 31 décembre, le président de la République aura une occasion rêvée de délivrer les Sénégalais d’une angoisse rampante face au flou installé dans les échéances politiques à venir.
Ce jeu du chat et de la souris a suffisamment duré. Autrement, c’est la vitrine démocratique qui en prendrait un sérieux coup, alors qu’en RDC, au Congo, au Burundi et au Rwanda, la gestion des mandats présidentiels empestent la vie politique et menace l’équilibre social. Et surtout au moment le Burkina qui vient de sortir d’un long tunnel de la déraison démocratique, fait figure de proue dans les pratiques politiques valorisantes.
Le Sénégal ne devrait en aucun cas s’immerger dans les vieux démons de la mal-gouvernance politique, en voulant ériger la ruse et la cachoterie en modèle de gestion.
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