Sport

[DOSSIER] PROTEINES ET DOPAGE DANS L’ARENE « Domou Niaye », « Bulgarie », drogue des lutteurs


Lundi 14 Novembre 2011

AVEUX D'UN LUTTEUR EN ACTIVITE « Pourquoi j’ai commencé à consommer ce produit »
Le dopage dans l'arène existe et nul ne peut aujourd'hui le nier. Car, certains produits prohibés circulent librement et sont à la disposition des lutteurs qui en ignorent les conséquences. Sous forme de poudre, de comprimés et de sirop, les produits dopants envahissent les écuries et sont à la portée de quasiment tout lutteur.


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C'est un lutteur qui nous mettra la puce à l'oreille au cours d'une interview au lendemain de sa victoire. Il évoquera le dopage sans s'en rendre compte, comme une pratique «normale» courante. «J'ai traversé une période difficile, rencontré beaucoup de problèmes dans ma carrière. Et, c'est dans ces moments durs qu'un grand champion ma donné entre autres conseils de faire comme mes pairs, de ne plus refuser de prendre ces trucs (ndlr : produits dopants) ». Dans une grande écurie de la place, un homme parmi les responsables de l'encadrement de révéler: «vous savez, si un tel peine aujourd’hui à revenir dans la course et s'essouffle rapidement c'est parce qu'il a mal utilisé le truc (ndlr : produit dopant sans le nommer). Il faut juste en prendre une cuillerée une fois de temps à autre mais lui, il en prend plus. Pourtant, nous lui avions conseillé de faire doucement avec ces trucs». D'après les explications de notre interlocuteur, il s'agit d'une poudre blanchâtre que le lutteur mélange avec de l'eau ou avec un aliment. Il suffit juste d'en prendre une cuillérée. «En cours de botanique, nous avons appris le nom de plusieurs plantes qui peuvent être utilisées comme dopant et elles sont disponibles et à la portée de tout le monde. Certains lutteurs les ont découvertes et s'en servent à leurs risques et périls. Qui peut dans ce cas les en empêcher ?», nous révèle un Pharmacien qui a préféré garder l'anonymat. Dans la plupart des cas, ce sont surtout dans les salles de musculation par où passent ces produits. Si certains se présentent sous forme de comprimés communément appelés «vitamines», d'autres sont sous forme de poudre, d'injection, d'huile. Hormis ces produits :pharmaceutiques et ceux issus de la pharmacopée locale, un autre phénomène est né : certains lutteurs fument du chanvre indien et boivent de l'alcool avant de venir au stade. N'est-ce pas une autre façon de se doper ?

PAPE NGUEBEL DIEYE, ANESTHESISTE A DANTEC « Descendre dans les écuries pour une sensibilisation »

Pape Nguebel Dièye est Technicien supérieur anesthésiste à l'hôpital Aristide Le Dantec. Il avait suivi pour le compte du CNG une formation sur la lutte antidopage. Il revient ici sur le dopage.
«En général, ce ne sont pas des produits codifiés et par conséquent, ils n'ont pas de dénomination. 1l est aussi très difficile de dire exactement de quoi il s'agit. Mais, à priori ce sont des produits dopants. Cela peut être issu de la pharmacopée locale ou ailleurs. Je ne saurai dire ce que c'est qu'après une analyse dans un laboratoire. Cependant, je confirme l'existence de ce genre de découverte parce je suis au courant de pareilles pratiques dans certaines écuries. Des personnels de l'encadrement techniques m'ont confié que des lutteurs leur ont fait l'aveu d'utilisation de produit dopants. En outre; dans le cadre de la lutte antidopage et 1a sensibilisation sur le dopage, j'ai touché tous les entraîneurs via le stage qu'ils suivent en partenariat avec le CNG. Nous avons fait ensemble un atelier. Dans les prochains jours nous allons descendre dans les écuries pour une plus large campagne de sensibilisation».
THIAM HERCULE, MONITEUR DE SALLE DE GYM « Domou Niaye et Bulgarie pour travailler sans se fatiguer»
Le besoin de développer une force et un volume musculaire extraordinaires a toujours été la réelle préoccupation des lutteurs. Conscients que pour arriver au niveau de leur art et quintupler leurs gains, il faut devenir un poids lourd pour décrocher 100 voire 120 millions pour un seul combat. Pour ce faire, nombre d'entre eux se tourne vers le dopage et la consommation de protéines.
«Mais cela a des conséquences pour leur santé dans le futur», souligne le doyen Thiam Hercule, moniteur de salle de gym.

«Le dopage permet à l'athlète de se surpasser»

«Les gens font trop l'amalgame avec le mot dopage. Lorsque quelqu'un déborde de muscles, on dit qu'il s'est dopé. Non ce n'est pas cela. Il faut savoir faire la part des choses, c'est différent. Se doper, c'est consommer des substances pour accroître son rendement lors des activités sportives. Le dopage permet à l'athlète de se surpasser, daller au-delà de ses propres limites et sans ressentir la fatigue aussi vite que celui qui ne s'est pas dopé. Il y a des comprimés dénommés «Bulgarie», ou «Domou Niaye» vendus dans le marché noir et en pharmacie. Une fois consommés, ces produits permettent de travailler sans ressentir la fatigue».

«Prise de protéines ou la nutrition du muscle»

«Pour se construire une belle musculature, certaines personnes allient la prise du dopage pour travailler plus intensément et la consommation d'autres produits qui alimentent et nourrissent le muscle très vite. Alors seulement, on parlera de protéines. Et je reconnais, avec la longue expérience que j'ai dans le domaine du culturisme et de l'encadrement des lutteurs, que cela existe bel et bien. Il y a un certain nombre de protéines qui sont vendus en pharmacie et dans les salles de gym. Ce sont des nutriments très sélectifs. C'est de la bonne qualité et sans danger pour ses consommateurs. Ça nourrit bien les muscles. Cela ne s'appelle pas du dopage, mais nutrition du muscle. Certains sont en poudre, d'autres en capsules ou comprimés ou même en injection. Mais à côté de ces produits, je précise qu'ils ne sont rien s'ils ne sont pas suivis d'entraînement sérieux et rigoureux. Il faut aussi savoir se nourrir de façon naturelle avec 6 repas par jour, et surtout savoir aussi ce que manger ou pas. Le blanc de l'œuf avec de la banane douce, beaucoup de fruits, du lait, le poisson, sont autant d'aliments très riches qui nourrissent bien les muscles. Il faut savoir aussi bien récupérer. La prise ou la consommation régulière de ces protéines permettent aux athlètes de prendre du poids, « avoir des muscles bien toniques et changer de morphologie en peu de temps».

«Conséquences dévastatrices dans le futur »

« Il y a des conséquences dévastatrices avec l’abus et la mauvaise utilisation de ces produits. Déjà à leur jeune âge, des lutteurs ont les joues qui enflent, les fesses plus abondantes. Cela conduit à de graves maladies lorsqu'ils vont commencer à prendre de l'âge. De la même manière qu'un camion de 10 tonnes s'use vite pour avoir été utilisé pour des charges de 30 voire 50 tonnes, de même ces athlètes auront le corps et même tout l'organisme endommagé lorsqu'ils tendront vers la vieillesse pour avoir trop torturé leur corps abusivement. Il y a aussi des limites au-delà desquelles il ne faut pas aller lors des entraînements même si on est jeune. Ces gens seront enclins à des maladies cardiaques, des maladies rénales. Et surtout, ils vont mal vieillir avec des douleurs généralisées dans tout le corps. Au niveau des genoux, des chevilles ou autres jointures du corps».

ABDOULAYE MAKHTAR DIOP, MINISTRE DES SPORTS « Faire de la lutte contre le dopage une mission»

Au cours de la rencontre avec le CNG samedi, le ministre des Sports, Abdoulaye Makhtar Diop, a abordé la lancinante question du dopage dans l'arène. Il demande de poser le problème et faire avec le CNG, de la lutte contre le dopage, une mission prioritaire. Surtout qu'il y a dit-¬il, beaucoup de décès de lutteurs pour des raisons non encore élucidées.
«Il faut faire un centre médico-social au Sénégal. Alioune (ndlr : Sarr) a eu le courage de dire que nous avons beaucoup d'accidents parfois suivis de décès concernant des lutteurs qui, peut-être ne sont pas au-devant de la scène. Beaucoup de jeunes lutteurs décèdent, je ne sais si c'est dû au dopage ou à la drogue. Il faut poser le problème du dopage dans le milieu de la lutte et nous trouverons ensemble les moyens de le faire parce que le Sénégal a signé et toutes les disciplines sont concernées. Ensemble, nous allons faire de la lutte contre le dopage une des missions que je veux vous confier dans la lutte. Cela nous servira de prétexte pour inscrire le projet de centre médico-sportif dans la politique du Gouvernement».

PR RAYMOND DIOUF, VICE-PRÉSIDENT CNG «Il y a bel et bien dopage dans l'arène »

Depuis un certain temps, le débat sur le dopage dans l'arène est de plus en plus agité par des acteurs. Sunu Lamb vous propose une sortie du Professeur Raymond Diouf déjà publiée (Sunu Lamb n°1735 du lundi 24 octobre 2011). Le Professeur Raymond Diouf est agrégé en médecine et aussi 2° vice-président du CNG chargé de la lutte simple.
Entretien

Voulez-vous revenir sur la définition du dopage ?

Le dopage peut être défini comme le fait de prendre des substances, quelle qu'en soit la nature, pour augmenter ses capacités. Ce n'est plus de l'entraînement seulement mais d'autres choses que vous prenez, mais qui sont nuisibles.

Peut-on parler de dopage dans la lutte au Sénégal ?

Dans tous les sports, le dopage existe. Cependant, le dopage connu et prouvé, c'est dans des sports reconnus par les fédérations international. Même si la lutte traditionnelle sans frappe commence à avoir une organisation africaine parce qu'il y a une lutte dite africaine, ce n'est pas encore le cas de la lutte avec frappe. Par contre, la lutte olympique fait partie des sports reconnus sur le plan international. Et, c'est sur ces sports (lutte, athlétisme, basket-ball, volley-ball...) que repose l'examen prouvant qu'il y a un dopage. C'est pourquoi notre lutte ne rentre pas dans ce cadre. Néanmoins, c'est sûr et c'est même évident qu'il existe un dopage dans la lutte. Aussi bien en dopage médical traditionnel connu qu'en dopage que les autres ne connaissent pas, avec nos propres racines et autres. Tout le monde sait qu'en Afrique il y a des médicaments qui donnent du courage et c'est une forme de dopage.

Peut-on obliger les lutteurs à faire des tests anti-dopage ?

Ce n'est pas possible car le contexte n'est pas favorable. Si on prend l'athlétisme, il n'y a pas de laboratoire au Sénégal reconnu pour examiner un athlète sur le plan du dopage. Ce sont des laboratoires disséminés dans le monde et reconnus par des organismes. Si vous voulez prouver qu'un athlète sénégalais se dope, il y a un laboratoire en Afrique du Nord et un autre en Afrique du Sud. Je suis sûr que la dopage existe dans la lutte mais je ne peux pas le prouver.

Comment peut se manifester le dopage chez un lutteur ?

Quel qu'un qui boit de l'alcool ou qui se drogue, il se dope. Vous voyez un lutteur qui passe de 50 à environ 200 kg au bout d'un an. Ce n'est pas passible.

Quelles peuvent être les conséquences du dopage pour le sportif en général et le lutteur en particulier ?

Le dopage pour toute personne, à fortiori pour un sportif de haut niveau, laisse toujours des séquelles sur le lutteur. On a vu des lutteurs ici qui ont été brillants. Mais; quand ils ont abandonné la lutte, non seulement ils ont rapidement vieilli mais sont devenus des loques. Il y a même eu des morts. C'est cela les conséquences du dopage.

Le CNG a-t-il prévu quelque chose pour limiter les dégâts ?

Le CNG ne peut rien prévoir. Il y a un organisme qui s'occupe de cela. Sur la base de quelle loi le CNG peut-il prendre un lutteur dont le sport n'est même pas reconnu au niveau international et lui dire qu'il va faire des test, ? Qui payera les tests ? On ne peut pas les obliger. En lutte olympique, par contre, on peut prendre un lutteur même en plein entrainement pour aller lui faire des examens de sang.

En général, ils le font pour acquérir un certain poids et pouvoir faire face aux adversaires...

Ce n'est pas seulement une histoire de poids. On peut augmenter de poids sans se doper. Par contre, on peut prendre des substances et augmenter de poids, l'euphorie entre autres.


LISSA MBAYE, PHARMACIENNE « Les lutteurs raffolent de protéines et de dopage»

La pharmacienne Lissa Mbaye (Pharmacie Aline Sitoé Diatta des Mamelles) rejoint le doyen Thiam Hercule dans la définition du dopage et la récurrence des produits utilisés par les lutteurs.
«Tous les lutteurs confirmés, en tout cas, tous ceux qui sont connus et qui brassent déjà des millions dans l'arène, raffolent de dopages et de protéines pour toujours avoir du poids, du volume musculaire pour bien paraître. Je ne citerai pas de noms, mais nombreux de ceux-ci accourent en pharmacie pour acheter des produits. D'autres passent la commande depuis l'Europe ou en Amérique. Lorsqu'ils entrent dans ma pharmacie en tout cas, c'est pour acheter des protéines. Les plus prisés sont les comprimés, les gélules qui se consomment facilement. Je vous donne 6 noms c'est un peu scientifique, mais c'est comme ça. C'est l'arginine alpha kétogluttarate, la citrulline Malate, la créatine HMB dont raffolent nombreux d'entre eux, la créatine monohydrate, la taurine et l'hydroxyisoleucine. C'est en deux prises, matin et soir après les repas. Habituellement, le dopage va de pair avec la prise de ces protéines. Si on veut un bon résultat, on se dope, on consomme les protéines et on travaille sans limite pour exciter les muscles. Et scientifiquement, il est aussi vérifié qu'un muscle qui travaille grossit et rayonne, un muscle qui ne travaille pas s'atrophie. La protéine, représente ce qu'est l'engrais pour le corps humain».


SOURCE : Sunu Lamb Rokhaya THIAM, Abou NDOUR & Mamadou KONE

La Rédaction