L'affaire est gênante pour tout le monde. D'abord pour Papa Massata Diack, inculpé à Dakar pour corruption présumée et visé par un mandat d'arrêt international de la Justice française ; ensuite, pour son père Lamine Diack, doublement mis en examen en France pour corruption et qui fera face aujourd'hui face au juge. Mais aussi, pour la Fédération internationale d'athlétisme (IAAF) dont la commission d'éthique avait conclu, en octobre dernier, que les "rumeurs" sur d'éventuelles commissions versées parle Qatar à Papa Massata Diack pour "acheter" les mondiaux d'athlétisme de 2019, étaient infondées.
Vendredi dernier, Le Monde a provoqué un séisme mondial en révélant que le Fisc américain a découvert que le fonds Qatari Oryx Qatar Sports Investments (Qsi) a versé 3,5 millions de dollars (2,2 milliards FCfa) à Pamodzi Sports Consulting, la société de marketing de Papa Massata Diack. Selon nos confrères, les deux versements ont été effectués le 13 octobre 2011 (3 millions de dollars, soit 1,9milliard FCfa) et le 7 novembre (500.000 dollars, soit 327 millions FCfa), soit quelques jours avant le vote. Mieux, d'autres virements suspects avaient été effectués au préalable (2010 et 2011), par l'intermédiaire d'achats de produits de luxe (montres, etc.). Il se trouve que ces versements interceptés par le fisc américain ne sont que l'arbre qui cachent la forêt et pour cause.
Massata : "Vous connaissez le rôle que je joue"
En effet, la Justice française était au courant de l'existence de ces mouvements financiers entre les qataris et Papa Massata Diack mais elle n'avait pas encore de preuves attestant de leur effectivité. Dans un mail en date d'octobre 2011, intercepté par les enquêteurs français, Papa Massata Diack demandait à Qsi le paiement de la rondelette somme de 5 millions de dollars (3,2 milliards FCfa) tout en précisant que les 4,5 millions de dollars (2,9 milliards FCfa) devaient être envoyés par virements et le reste en espèces qu'il récupéra lui-même. "Vous connaissez le rôle que je joue", avait indiqué le fils de Lamine Diack dans le mail.
Ces développements mettent en mal l'IAAF. La commission éthique de l'instance avait ouvert une enquête suite aux déclarations d'Ed Warner, le président de la Fédération britannique d'athlétisme. Ce dernier avait informé que son compatriote Sebastian Coe, le successeur de Lamine Diack, lui avait déclaré que des "enveloppes d'argent" avaient été distribuées par des émissaires qataris avant le vote. Sebastien Coe a indiqué ne plus se souvenir d'avoir fait une telle confidence et l'enquête ouverte par l'IAAF avait été classé sans suite avant que ces virements interceptés parla Justice française ne viennent tout remettre en cause.
Virement suspect de 2,7 millions de dollars
L’affaire tombe mal pour Papa Massata Diack qui, comme le révélait en exclusivité Libération, avait été interrogé par vidéo conférence parle Tribunal arbitral du sport (TAS) basé à Lausanne (Suisse). Celui-ci y avait introduit un recours après les sanctions prononcées contre lui par la commission éthique de l'IAAF.
Déjà visé pour un mandat d'arrêt dans le cadre du dopage d'athlètes russes, il intéresse encore les enquêteurs français qui veulent l'interroger sur les soupçons de corruption sur le choix de Tokyo pour organiser les JO de 2020. Si Tokyo a vite fait d'écarter ces soupçons à la suite d'une enquête administrative bâclée, le parquet financier de Paris a ouvert, depuis décembre 2015, une information judiciaire pour corruption, blanchiment aggravé, participation à une association de malfaiteurs.
Les trois juges désignés pour l'instruction se penchent sur des "mouvements financiers qui seraient intervenus aux mois de juillet et d'octobre 2013, représentant un montant total de 2,7 millions de dollars Singapouriens sous le libellé Tokyo 2020 Olympic Game Bid, en provenance d'un compte ouvert dans une banque japonaise, au profit de la société Black Tidings à Singapour".
C'est en enquêtant sur l'affaire de dopage qui vaut à Lamine Diack sa première mise en examen, que les juges ont fait ces découvertes. Black Tiding qui est dirigée par un ami de Papa Massata, Ian Tan Tong, avait remboursé par virement 300.000 euros (196 millions FCfa) à l'athlète russe, Liliya Shobukhova. Soupçonnée de dopage, cette dernière avait payé cette somme pour ne pas être suspendue. Mais lorsqu'elle l'a été, malgré le paiement, elle a exigé d'être remboursée tout en menaçant de faire un déballage.
Selon nos informations, les juges français ont sollicité plusieurs commissions rogatoires pour en savoir plus sur la société Black Tidings qui a été curieusement dissoute le 4 juillet 2014. Une chose sûre : Black Tidings a toutes les allures d'une société écran : son adresse sociale, 28 Dakota Crescent Singapore (390028) renvoie à un appartement délabré dans lequel ne traîne qu'une paire de veilles chaussures abandonnées. C'est dire…
1,7 million d'euros dépensé à Elysée Shopping
D'autres flux financiers sont pistés par la Justice française notamment les enquêteurs de l'Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLCIFF) chargés de l'exécution de plusieurs délégations judiciaires. C'est le cas d'une somme totale de 1,7 million d'euros (1,1 milliard FCfa) dépensée par Papa Massata Diack, de 2011 à 2015, à la boutique Elysée Shopping.
Selon le gérant qui a été interrogé comme témoin, ces dépenses concernaient des montres de luxe que Papa Massata Diack achetait parfois pour des tiers. "Un jour, il m'a dit avoir offert une montre de luxe au prince du Qatar car il avait gagné plusieurs contrats là-bas", a-t-il ainsi confessé. Pour ne pas arranger les choses, Gabriel Dollé, ancien monsieur antidopage de l'IAAF a affirmé, pendant sa garde-à-vue, avoir reçu à l'hôtel Fairmont de Monaco, une enveloppe de 50.000 euros (32 millions FCfa) de Papa Massata Diack alors que Lamine Diack lui a remis 104.000euros (68,2millions FCfa) en trois versements.
L'ancien président de l'IAAF ne disait il pas lui-même au deuxième jour de sa garde-à-vue que "PapaMassata Diack a donné de l'argent aux uns ou aux autres pour les faire taire" ?