Troisième enfant d’une large fratrie – Lamine Diack a eu quinze enfants avec ses deux premières épouses –, il reste prudemment à Dakar. Le 18 décembre 2015, Le Monde a révélé les incroyables confessions de son père, évoquant devant le juge Renaud Van Ruymbeke le financement de campagnes électorales au Sénégal pour faire battre l’ancien président Abdoulaye Wade, organisé par PMD avec de l’argent russe. Quand le magistrat demande à l’ex-patron de l’IAAF qui a reçu l’argent, Lamine Diack assure : « Papa Massata Diack peut vous répondre. » Quatre jours plus tard, le fils Diack dénonce une « cabale » et met les déclarations paternelles sur le compte du « poids de l’âge » (82 ans). A la télévision sénégalaise, PMD, physique massif, boubou blanc et babouches jaunes, s’est confortablement installé dans un fauteuil. Derrière ses épaisses lunettes, il affiche sa sérénité à l’égard des enquêteurs français :
« Je suis au Sénégal, il leur est loisible d’envoyer une commission rogatoire, des juges. Je suis citoyen sénégalais, je ne suis pas citoyen français. »
Papa Massata Diack a beau plastronner, les motifs d’inquiétude s’accumulent. La justice française a beaucoup de questions à lui poser. Dans le dossier d’instruction, que Le Monde a pu consulter, il apparaît comme la pièce maîtresse – et donc manquante pour l’instant – de l’immense puzzle mêlant corruption, dopage et droits de sponsoring que tente de reconstituer Renaud Van Ruymbeke, épaulé par Stéphanie Tacheau et Charlotte Bilger.
Les enquêteurs ont ainsi découvert que PMD avait dépensé 131 400 euros, les 16 et 25 juillet 2013, « auprès de l’enseigne Elysées Shopping », dans le 8e arrondissement de Paris, pour acheter « des montres et des articles de luxe ». Dans quel but ? En garde à vue, l’ancien patron de l’antidopage de l’IAAF, Gabriel Dollé, mis lui aussi en examen, a dit aux policiers avoir reçu une montre de luxe de la part de PMD. M. Dollé a déclaré que le fils de Lamine Diack lui avait également remis 50 000 euros en espèces « en une seule fois à l’Hôtel Fairmont à Monaco », où siège l’IAAF, pour avoir couvert des cas de dopage d’athlètes russes. Les 131 400 euros intéressent d’autant plus les enquêteurs que les factures ont été partiellement remboursées par un virement de 85 000 euros « émis à partir de la société Black Tidings » – « sombres nouvelles » en anglais…
Société basée à Singapour, Black Tidings est gérée par un certain Ian Tan Tong Han. Celui-ci travaille pour Athletics Management Services (AMS), structure qui intervient pour le compte de Dentsu, la société japonaise détentrice des droits marketing de l’IAAF. Ian Tan est surtout est un très bon ami de Papa Massata Diack. A tel point qu’il a appelé son fils Massata et qu’il a déposé le nom de domaine d’une des société s de son ami, PMD Consulting.
« Cissé et PMD étaient “en dehors de tout contrôle” »
Les noms de Ian Tan et de la société Black Tidings reviennent dans le dossier de la Russe Liliya Shobukhova. Cette marathonienne, finalement suspendue en avril 2014 pour dopage, a déclaré avoir payé 450 000 euros afin de pouvoir participer aux Jeux de Londres en 2012 et de cacher les données anormales de son passeport biologique, document qui rassemble tous les résultats de contrôles sanguins.
Les enquêteurs soupçonnent PMD d’avoir pris part au chantage. Selon les conclusions de la commission indépendante de l’AMA, celui-ci s’est rendu, en compagnie de l’avocat Habib Cissé – mis en examen –, à Moscou, en décembre 2012. Au luxueux Hôtel Baltschug Kempinski, les deux hommes auraient rencontré le patron de la Fédération russe, Valentin Balakhnichev, et l’entraîneur national russe, Alexeï Melnikov. Deux dirigeants dont la commission d’éthique de l’IAAF a demandé la suspension à vie, le 7 janvier. Joint par Le Monde, M. Balakhnichev reconnaît bien un rendez-vous avec Habib Cissé et PMD à Moscou, mais assure qu’il a seulement parlé des « sujets de marketing ». Mécontente de constater que l’argent versé n’allait finalement pas l’empêcher d’être suspendue, Shobukhova a demandé à être remboursée. Et, en mars 2014, elle a touché 300 000 euros d’un virement provenant d’un certain « Ian Tan » de la société Black Tidings.
« Cissé et PMD étaient “en dehors de tout contrôle” au sein de l’IAAF et autorisés à faire ce qu’ils voulaient, écrivent dans leur rapport les enquêteurs de la commission indépendante de l’AMA. Ce pouvoir leur a permis d’organiser des escroqueries pour extorquer de l’argent. »
La Turque Asli Alptekin, championne olympique 2012 du 1 500 m, semble faire partie des victimes. Après son sacre à Londres, la presse annonce qu’elle aurait reçu une prime de 500 000 euros. Son passeport biologique présente toutefois des données anormales. C’est là qu’intervient PMD. Selon l’athlète et son mari, qui ont accepté de témoigner devant la commission indépendante, celui-ci est venu à Istanbul, en novembre 2012, pour leur proposer dedissimuler les résultats anormaux de la championne, en échange de 500 000 euros en liquide. La tentative fera long feu. Mais la commission indépendante note : « Dans la mesure où PMD était uniquement impliqué dans le marketing à l’IAAF, il lui était strictement interdit de parler du PBA [le passeport biologique] d’un athlète, a fortiori de demander du liquide en paiement pour le dissimuler. C’est au minimum une violation totale du code de la discipline. » Contacté par Le Monde, Me Jean-Yves Garaud, l’avocat de Papa Massata Diack, n’a pas répondu à nos sollicitations.
Les enquêteurs s’intéressent aussi à un mail envoyé le 29 juillet 2013 par PMD à son père. Le fils écrit que Valentin Balakhnichev, le président de la Fédération russe, l’a sollicité pour intervenir auprès du personnel de l’IAAF qui se montrait trop curieux à propos des passeports biologiques des Russes. « A cette fin, précise PMD, un travail de lobbying et d’explication a été fait auprès de C. Thiaré (50 K), Nick Davies (UK press lobbying 30 K, et calmer Jane Boulter), G. Dollé (50 K) et PY Garnier (assistance Champagnolle 10 K, géré par Cheikh). » Interrogé par les policiers sur ce mail, lors de sa garde à vue, Lamine Diack a expliqué que son fils avait « donné de l’argent aux uns ou aux autres pour les faire taire ». Contactés par Le Monde, Valentin Balakhnichev et les personnes qui auraient fait l’objet de ce « travail de lobbying » contestent ces allégations – qui n’en intriguent pas moins les enquêteurs.
105 millions d’euros de pots-de-vin
Papa Massata Diack a fait ses classes dans la société suisse de marketing sportif International Sport and Leisure (ISL) au tournant des années 1990 et 2000. ISL, qui détenait les droits télé de l’IAAF, a été poursuivie par la justicesuisse pour avoir distribué entre 1989 et 2001, 105 millions d’euros de pots-de-vin à des dirigeants de la Fédération internationale de football et du Comité international olympique (CIO). Fin 2011, Lamine Diack a reçu un avertissement du CIO dans le cadre de cette affaire.
Avec la faillite d’ISL en 2001, l’IAAF doit trouver un nouveau partenaire. Dentsu remporte à la fois les droits télévisuels et de sponsoring de la fédération. « Pour aider Dentsu dans la vente des droits marketing, spécifiquement dans les territoires émergents où l’IAAF avait détecté un fort potentiel, il a été fait appel à PMD qui avait une expertise en la matière. Cela concernait la Chine, laRussie, l’Inde, le Qatar, etc. », a expliqué, le 8 octobre, l’ancien secrétaire général de l’IAAF (2011-2015), Essar Gabriel, dans le bureau du juge Van Ruymbeke.
Ces dernières années, ces marchés « émergents » ont été particulièrement gâtés avec des championnats du monde organisés à Daegu (Corée du Sud) en 2011, à Moscou en 2013, à Pékin en 2015, puis à Doha en 2019. Et d’importants partenariats ont été signés avec le groupe sud-coréen Samsung, le géant pétrolier chinois Sinopec ou la banque russe VTB Bank. « A cette époque, il y avait des discussions entre un sponsor et Papa Massata Diack, et il m’avait été dit qu’une mauvaise publicité nuirait aux négociations », se souvient Gabriel Dollé devant les enquêteurs, pour expliquer la mise en sourdine des cas de dopage russes. « C’est le meilleur vendeur, résume Lamine Diack, le 1er novembre. Il a contribué à développer l’athlétisme en Afrique puis au Qatar, en Chine. »
En décembre 2014, The Guardian fait état d’un mail envoyé par Papa Massata Diack, en octobre 2011, à des Qataris pour leur demander le versement de 5 millions de dollars. Doha, candidate à l’organisation des Mondiaux 2017, a perdu face à Londres, un mois après. Mais la capitale qatarie a obtenu ceux de 2019. Malgré ses dénégations de toute intervention de cette nature, PMD a dûquitter son poste de consultant.
Auditionné le 30 septembre par les policiers de l’Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales, Martin Dubbey, l’enquêteur privé britannique qui a coordonné les travaux de la commission indépendante de l’Agence mondiale antidopage, résume l’importance prise par PMD au sein de la fédération : « PMD était le département marketing de l’IAAF. Sur le papier c’était Essar Gabriel, mais dans les faits c’était PMD. Comme c’était le fils du président, il pouvait faire ce qu’il voulait. Pour Essar Gabriel, PMD faisait du bon travail en ramenant beaucoup d’argent pour l’IAAF. »M. Dubbey estime qu’il y avait « un immense conflit d’intérêts au sujet de PMD », qui travaillait à la fois pour l’IAAF et pour Dentsu. Lamine Diack, lui, n’y voit aucun inconvénient :
« Il apporte des résultats au niveau de l’IAAF donc on continue de travailler avec lui. »
La commission d’éthique de l’IAAF, elle, a recommandé le 7 janvier de suspendre à vie Papa Massata Diack. Mais cette sanction ne signifie pas la fin des ennuis pour l’ancien homme de l’ombre de l’IAAF. Dans son rapport, la commission indépendante de l’AMA recommande « qu’une entité indépendante conduise un audit complet des contrats, des accords de marketing et de sponsoring concernant Papa Massata Diack ». Après les affaires de dopage, les droits de sponsoring pourraient bien être la prochaine série noire de l’athlétisme mondial. PMD devrait encore y tenir le rôle principal.
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