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Comment Nicolas Sarkozy a fait de François Bayrou son meilleur ennemi pour atteindre Alain Juppé


Vendredi 4 Novembre 2016

Depuis plusieurs semaines, les équipes de l’ancien chef de l’Etat fustigent l’accord entre le président du MoDem et le maire de Bordeaux


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S’il n’y a aucun candidat centriste à la primaire de la droite des 20 et 27 novembre, il y a bien un invité surprise issu des rangs de l’ex-UDF. Soutien déclaré d’Alain Juppé, François Bayrou est devenu un élément majeur de la stratégie de Nicolas Sarkozy, un chiffon rouge agité pour électriser sa base et dénoncer la « compromission » de son principal concurrent. Le centriste a à nouveau donné lieu, lors du deuxième débat des primaires de la droite, jeudi, à de nouvelles passes d’armes entre les deux favoris. 1- La « charge » de François Bayrou « La violence de la charge dont il a fait preuve à mon égard ce week-end démontre à quel point il utilise le langage de la gauche et rend désormais injustifiable une quelconque alliance entre le vainqueur de l’élection primaire et François Bayrou », prévient l’ancien président de la République dans un entretien aux quotidiens du groupe EBRA (L’Est républicain, Le Progrès, etc.) publié lundi 31 octobre.
Allié au favori, obsession de son rival, le centriste François Bayrou est au cœur des enjeux tactiques de la primaire. Il ne refuse ni son nouveau rôle ni le combat. Sa « charge » est venue, samedi 29 octobre, après sept jours d’attaques systématiques des sarkozystes. Dans un post Facebook écrit d’une plume acide et argumenté comme un réquisitoire, le maire de Pau assume son choix de voter François Hollande en 2012 pour mieux faire le procès du sarkozysme. Il y évoque « les atteintes graves et répétées aux principes de notre vie en commun », « les abus de pouvoir » et « l’orientation de la campagne [de 2012] entièrement conduite pour opposer les Français entre eux ».
Et puisque « l’affrontement ne porte pas sur le passé seulement », François Bayrou juge aussi très durement la campagne actuelle de Nicolas Sarkozy. Une campagne menée, selon lui, par un homme « en perdition dans les sondages », « abusé par sa propre angoisse et sa propre fuite en avant », « lâchant des insultes avec un mépris affiché », « crachant sur ceux qui ne votent pas pour lui ». « La ligne stratégique de Nicolas Sarkozy a constamment été, pour gagner des voix, pour mobiliser des foules d’électeurs autour de lui, de faire flamber la division dans son pays », pense le centriste.

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Au passage, il accuse l’ancien président de se servir du « peuple qu’il n’a jamais approché, au milieu duquel il n’a jamais vécu, avec lequel il n’a jamais passé ni une semaine, ni un jour sans caméras ». « Le peuple, contrairement à ce qu’il croit, n’est pas une masse qu’il convient de fouetter de passions et de prendre par le bas, par les instincts, par les mots qu’on jette avec un rictus, par l’excitation contre les boucs émissaires que l’on livre l’un après l’autre en pâture », écrit le président du MoDem qui prédit la défaite de Nicolas Sarkozy.
2- Une aubaine pour Sarkozy Pensé depuis quinze jours sans concertation avec Alain Juppé, ce texte a déclenché les réactions des sarkozystes, trop heureux de ce clivage qu’ils ont eux-mêmes réactivé. « Il a trahi ses idées, il a trahi ses convictions, et, aujourd’hui, il veut toucher la rançon de ses trahisons », a lancé Eric Ciotti, porte-parole de Nicolas Sarkozy, lors de l’émission « Questions politiques », sur France Info, en partenariat avec Le Monde et France Inter, dimanche 30 octobre. « Je trouve ça tout à fait normal que la gauche attaque Nicolas Sarkozy », ironise Gérald Darmanin, coordinateur de la campagne de l’ancien chef de l’Etat.
En difficulté dans les sondages, sans idées nouvelles, Nicolas Sarkozy a lui-même décidé de faire de François Bayrou un symbole : celui d’une soi-disant « alternance molle » contre son « alternance forte et franche ». Le 23 octobre, 165 de ses proches ont signé une tribune dans Le Journal du dimanche où ils accusent le président du MoDem de vouloir « soumettre la future majorité à ses propres idées ». Le 27 octobre, l’ancien chef de l’Etat a, lui aussi, longuement attaqué le centriste lors d’un meeting à Marseille  : « Il nous a fait entrer dans le socialisme, ce n’est pas lui qui va nous en faire sortir. (…) Que ceux qui soutiennent un autre candidat assument que la future majorité soit l’otage de François Bayrou. » 3 - Des rumeurs « d’accord secret » Derrière la cible Bayrou, c’est Alain Juppé qui est visé. L’ancien premier ministre a reçu le soutien du maire de Pau dès la rentrée 2014, juste après son annonce de candidature. Si le maire de Bordeaux remporte la primaire, le président du MoDem a promis de se ranger derrière lui. Les sarkozystes agitent un accord secret qui ferait entrer « 150 députés » centristes à l’Assemblée nationale, selon M. Ciotti.

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Même si Alain Juppé et François Bayrou n’ont jamais rien annoncé de tel et que ce nombre semble disproportionné, cette alliance a de quoi inquiéter la base des élus de droite. Une inquiétude renforcée par Alain Juppé lui-même lorsqu’il a répété, lundi 17 octobre sur Europe  1, qu’il reverrait une partie des investitures. Le camp Sarkozy n’a plus eu qu’à s’engouffrer dans la brèche.
Sans vraiment savoir si quelque chose a été convenu entre Alain Juppé et François Bayrou, les sarkozystes agitent le fait que les députés LR n’auront pas la majorité absolue dans la future Assemblée en cas de victoire du maire de Bordeaux – c’est-à-dire 289 députés. Dans ce cas très hypothétique, les troupes centristes pourraient constituer une minorité de blocage qui affadirait le programme.
4- En toile de fond, le ralliement de Bayrou à Hollande en 2012 « Alain Juppé construit une majorité pour remporter la primaire mais il sera ensuite prisonnier de François Bayrou », estime Christian Jacob, soutien de Nicolas Sarkozy et président du groupe Les Républicains (LR) à l’Assemblée nationale. « Moi, je suis plutôt en accord avec le programme d’Alain Juppé. Mais quel sera son Fessenheim ? », s’interroge Gérald Darmanin en référence à l’accord entre François Hollande et les écologistes. « Ils inventent des sujets qui n’existent pas et cela prouve une forme de panique », répond Benoist Apparu, porte-parole de M. Juppé.
Nicolas Sarkozy voit aussi dans cette séquence une façon de mobiliser le cœur de la droite qui n’a jamais pardonné à M. Bayrou son vote de 2012. Difficile par contre de savoir à quel point cela peut lui permettre d’élargir au-delà de son électorat pour enfin inverser sa courbe dans les sondages. Encore une fois, il prend le risque de ne charmer que ceux qui sont déjà convaincus. Et dans cette campagne où il aurait tant besoin de se réinventer, d’incarner l’avenir, l’affrontement avec le président du MoDem, inusable procureur du sarkozysme, le ramène à une époque passée. Et à son insatiable soif de revanche par rapport aux « trahisons » de 2012.


ABDOUL KADER Ba