Après un premier film consacré au même artiste et intitulé "La cour de Joe Ouata" (2012), Wasis revient avec ce nouveau documentaire de 35 minutes qui revient sur les dernières années de Issa samb.
Le film part des tendances intellectuelles de la fin des années 1950 qui ont marqué Issa Samb pour mieux parler de Joe Ouakam, de l’artiste qu’il est devenu et de son héritage qui s’inspire aussi des acquis du congrès des intellectuels et écrivains noirs de 1959 à Paris, du premier Festival mondial des arts nègres de 1966.
Joe rappelle dans ce film le courant artistique auquel il se rattache, la voie qu’il a prise à cette période pour exprimer ses idées artistiques à travers le laboratoire "Agit’Art", un réseau d’intellectuels, d’artistes et de penseurs affranchi de toutes les lignes rouges tracées par le président Léopold Sédar Senghor.
Pour le réalisateur, Joe Ouakam avait une adresse précise dans Dakar, à savoir le "17 rue Jules Ferry", même s’il se retrouvait très souvent à errer partout à travers le plateau, le centre-ville de Dakar, la capitale sénégalaise, d’où le titre du film.
"On oublie que Joe avait une adresse, il était une personne ordinaire qui habitait quelque part. Le titre d’un film est toujours la quintessence en réalité, il nous donne une idée de ce que l’on va voir", explique le réalisateur, réputé pour ses musiques de film.
Il dit voir en cette adresse (17, rue Jules Ferry), "un destin scellé entre Joe Ouakam et ses arbres, ses oiseaux, ses chats…, qui habitaient avec lui et (qui ont été) emportés après son départ".
Un parallèle saisissant avec la vie du frère de Walis Diop, le cinéaste Djibril Diop Mambety, qui également "habitait au 17 rue kléber’’ et à qui le réalisateur rend également hommage, à l’occasion des 20 ans de sa disparition.
La caméra de Wasis Diop se promène aussi dans les rues de Ouakam, le quartier de naissance de Joe Ouakam où l’homme était ancré dans ses valeurs traditionnelles et mystiques.
"L’histoire de Joe, nous l’avons commencé, mais nous savons que nous ne pourrons pas la terminer. (...) Joe est un patrimoine. En réalité, l’histoire de Joe est tellement liée à chacun de nous, c’est-à-dire qu’il y a des micro-histoires, parce que Joe était le Joe de tout le monde", explique le cinéaste.
Il concède naturellement l’obsession à la limite de faire un film sur Joe Ouata, faisant valoir qu’il y a chez Joe Ouakam "un côté prophétique, en dehors de la religion bien entendu’".
"Je parle d’un passeur, de quelqu’un qui nous a permis de ne pas être seul, il nous ramène sur de bons rails, nous accompagne, nous distrait, nous crie dessus et nous caresse", dit Wasis Diop.
Aucun commentaire dans ce film dont la seule parole est celle de Joe Ouakam et du poète qui lit son texte, un procédé presque minimaliste assumé par l’auteur, par principe et par obligation, la vie de Joe Ouakam s’expliquant par elle-même.
"C’est difficile de faire un film de Joe avec un commentaire, je pense qu’il n’est pas quelqu’un que l’on commente, il n’a pas besoin de commentaire, il a besoin d’être vu, quand tu vois Joe assis, marcher, parler, même si tu ne comprends pas, c’est quelqu’un qui attire le regard, qui nous aime et que l’on aime", justifie le réalisateur.
Entre Wasis et Joe Ouakam, "c’était une rencontre", raconte Wasis Diop, nostalgique, avant d’ajouter : ’’Aujourd’hui, j’ai du mal avec Dakar depuis que Joe est partie".
Le film "17 rue Jules Ferry" a été projeté lundi soir à l’Institut culturel français de Dakar, en présence de l’ambassadeur de France au Sénégal, Christophe Bigot, dans le cadre de la 13e édition de la Biennale de l’art africain contemporain de Dakar (Dak’art, 3 mai-2 juin).
Sa projection marquait la reprise des séances de "Cinéma de nuit" interrompues depuis 2011 et dont c’était la 43e séance.
APS