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Célébration: La liberté de la presse est en danger, y compris dans les pays démocratiques


Mercredi 3 Mai 2017

«La liberté de la presse n’a jamais été aussi menacée», constate Reporters sans Frontières (RSF) dans son dernier rapport sur la question. Lors de manifestations comme dans les zones de guerre, les journalistes sont devenus pour certains Etats, groupuscules ou belligérants, des cibles prioritaires. En cette journée mondiale de la liberté de la presse, panorama d’une situation qui se dégrade, sous les régimes autoritaires comme dans les démocraties.


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« Où cette spirale infernale va-t-elle s’arrêter ? » s’interroge le secrétaire général de Reporters sans frontières Christophe Deloire lors de la publication du classement mondial de la liberté de la presse  en 2017. Pour Reporters sans frontières, la détérioration est alarmante : « En l’espace de cinq ans, l’indice de référence utilisé par RSF s’est dégradé de 14%, peut-on lire dans le rapport. Près de deux tiers des pays répertoriés ont enregistré une aggravation de leur situation. »

Trois nouveaux pays sont désormais classés « noirs » par RSF, c’est-à-dire que la situation y est « très grave » : le Burundi, l’Egypte et le Bahreïn. Reporters sans frontières reproche au président burundais Pierre Nkurunziza sa « répression engagée en 2015 contre les médias  qui avaient couvert la tentative de putsch après sa décision de briguer un troisième mandat. » L’association déplore que des dizaines de journalistes aient été contraints de fuir. L’Egypte  et le Bahreïn  seraient quant à eux devenus des « prisons à journalistes » où l’Etat use de la censure et de la répression législative ou policière contre la liberté de l’information.

Plus de 71 pays où la situation est difficile ou très grave

« Trois pays monopolisent depuis douze ans les toutes dernières places », explique le rapport : le Turkménistan, l’Erythrée et la Corée du Nord. Même si l’Erythrée a accordé en 2016 le droit de filmer à quelques équipes de médias étrangers (parmi lesquels France 24), ou que l’Agence France-Presse a ouvert en septembre dernier un bureau à Pyongyang, la capitale nord-coréenne, RSF estime que « ces gestes qui peuvent donner une impression d’ouverture ne sont pas pour autant le gage d’une réelle volonté de changement. »

Juste au-dessus de ce trio de fin, la Syrie est en 177e position du classement. C’est le pays au monde le plus meurtrier pour les journalistes, selon les chiffres de RSF : sur les 57 journalistes tués en 2016, 19 l’ont été en Syrie, par les rebelles, les jihadistes ou par le régime de Bachar el-Assad. Idem au Yémen (166e), où « les journalistes se retrouvent pris entre deux feux [et] risquent autant d’être enlevés par les rebelles houthis ou al-Qaïda […] que d’être victimes des bombardements de la coalition arabe », ainsi qu’en Libye ou en Somalie.

Outre les 21 pays classés en « noir », la situation est jugée « difficile » dans 51 pays. Ainsi, dans près de la moitié des pays classés par RSF, les journalistes sont empêchés de faire leur travail et les citoyens ne peuvent pas produire ou consulter librement des informations. La liberté de s’informer fait pourtant partie des droits fondamentaux reconnus par les Nations unies.

Parmi ces pays « rouges », on retrouve notamment la Turquie, « la plus grande prison du monde pour les professionnels des médias », selon Reporters sans frontières, qui accorde au régime d’Erdogan  la 155e place de son classement. Soit un recul de quatre rangs depuis le début de la répression du putsch manqué de l’été dernier.

Dans les démocraties, « une ambiance délétère et nauséabonde »

Si les guerres et les régimes autoritaires font du Moyen-Orient la zone géographique où la liberté de s’informer est la plus menacée, celle-ci recule également dans les démocraties occidentales. « Le basculement des démocraties donne le vertige à toutes celles et tous ceux qui pensent que sans liberté de la presse solide, les autres libertés ne sauraient être garanties », écrit Christophe Deloire, secrétaire général de RSF. L’exemple de l’Europe est à lui seul édifiant : c’est là que la situation de la liberté de la presse s’est le plus dégradée en 2016. En cinq ans, l’indice du Vieux Continent a augmenté de 17,5% (plus l’indice de RSF est élevé, moins la presse est libre).

La rédactrice en chef de Reporters sans frontières, Virginie Dangles, voit trois facteurs qui expliquent que la liberté de la presse recule en démocratie : « D’abord, le cadre juridique se durcit au motif de la lutte contre le terrorisme. » Les législateurs autorisent ainsi, par répercussion, les écoutes de journalistes : c’est le cas de textes comme la Investigatory Powers Bill au Royaume-Uni ou la loi sur le renseignement en France.

Ensuite, RSF observe « un accroissement de la pression politique directe sur les titres de presse. » En Finlande, pays pourtant souvent cité en exemple en matière de liberté de la presse, deux journalistes ont démissionné en décembre parce qu’il leur aurait été demandé de produire moins de reportages critiques sur le gouvernement. En Pologne, « des centaines de journalistes sont sur le carreau parce que l’Etat mène une "repolonisation" des médias », selon Virginie Dangles. Le pays a perdu sept places au classement pour atterrir à la 54e position en 2017.

Enfin, la rédactrice en chef de RSF déplore « l’ambiance délétère et nauséabonde de "media bashing"qui règne dans les démocraties. » Très visible avec la guerre ouverte de Trump contre les médias – les Etats-Unis ont chuté de deux rangs dans le classement de RSF cette année –, cette pratique tend à se généraliser. « La critique des médias est légitime, reconnaît Virginie Dangles, mais il ne faut pas entretenir un climat permanent de suspicion à l’égard des journalistes. »

« La critique des médias nourrit l’autocensure mais donne de nouvelles armes »

Ces attaques répétées contre les médias participent d’un « phénomène qui n’est pas nouveau, mais est particulièrement inquiétant au vu de l’ampleur qu’il prend », explique la responsable de l’association. Le rejet systématique des médias dans le style de Trump se décline par exemple sur un mode français lors la campagne présidentielle, chez les candidats « anti-système » Marine Le Pen  et Jean-Luc Mélenchon, comme chez celui de la droite, François Fillon. « En faisant huer les journalistes lors de leurs meetings, les responsables politiques, qui possèdent une véritable parole publique, légitiment le fait que les citoyens s’en prennent aux médias […] Aujourd’hui, dans certaines manifestations, le brassard « presse » fait de vous une cible. Ce n’était pas le cas auparavant », déplore Virginie Dangles.

« Le plus souvent, la liberté d’informer ne disparaît pas d’un coup, mais elle est progressivement malmenée », poursuit la rédactrice en chef de RSF. A ce titre, l’enseignant au Celsa (Centre des hautes études en sciences de l’information et de la communication) Denis Ruellan  considère que les atteintes les plus pernicieuses contre la liberté de la presse ont lieu dans les pays où elle est attaquée à répétition par les hommes et les femmes politiques.

La défiance à l’endroit des médias  pousse les journalistes les plus précaires à s’autocensurer, par peur d’être trop dérangeants et de ne pas retrouver un poste, selon Denis Ruellan. Mais à l’inverse, les attaques contre certains titres de presse incitent les journalistes les mieux intégrés dans les rédactions à mener des enquêtes, à sortir des révélations. Ainsi, pour l’enseignant « la critique des médias nourrit l’autocensure mais donne de nouvelles armes. »

Selon le professeur des universités, on observe la même tendance dans les médias privés que dans les médias indépendants. « Le fait d’avoir un actionnaire majoritaire n’enlève en rien la pugnacité des journalistes, affirme Denis Ruellan. Certains propriétaires de médias n’ont pas compris qu’ils n’avaient pas acheté un torchon, mais un flambeau. Les journalistes ne sont pas là pour être mièvres. » Toutefois, concernant la France qui arrive à la 39e place du classement, RSF met en garde  contre la concentration des titres de presse et contre leurs « propriétaires [qui] ont d’autres intérêts que leur attachement au journalisme ».


Abdoul Aziz Diop