Opinion

CONTRIBUTION: Émotifs Sénégalais ! Par Mamadou Bamba Tall,


Vendredi 3 Avril 2015

Vous vous souvenez du comportement des Sénégalais, les premières heures qui ont suivi les événements du Bateau le Diola ? Qu’est-ce qui reste de la prise de conscience qui a suivi ce lendemain de deuil national ? Rien. Et les engagements de l’État pour les pupilles de la Nation? Que nenni! En prise avec les émotions, le Sénégalais peut tout promettre. Et se dira aussi prêt à tout. Mais quand s’estompent les émotions, un tout autre être se découvre. Quelle étonnante duplicité ! Les Sénégalais sont des êtres avec des émotions à fleur de peau; ils sont toujours en réaction; et dans l’émotion pendant un bon moment. Ce caractère très émotif des Sénégalais fait que ce pays n’est à nul autre pareil. Un pays singulier; pays dominé par les ténèbres des émotions du côté obscur et fragile de l’être.

Le trop plein d’émotions pousse, par moments, beaucoup de Sénégalais dans le délire et les enferme dans des contradictions apparentes, voire flagrantes qu’ils refusent d’assumer. Quand l’événement arrive, ils embarquent couramment par la porte d’entrée des émotions, privilégiant rarement l’approche par la raison. Cette attitude courante chez le commun des Sénégalais explique pourquoi ce peuple est toujours en réaction, rarement dans l’action. En effet, la réflexion dicte souvent l’action, tandis que les émotions poussent à des réactions spontanées. Donc, en observant les Sénégalais dans leurs attitudes de tous les jours, tout porte à croire que ce sont les émotions qui régentent leurs conduites. Normal, pourrait-on tenter de penser; en vérité si tout le monde sait qu’il n’y a pas de vie sans émotion, cependant, il faut reconnaître que l’émotion à l’excès tue la raison. Que ce soit dans le domaine politique, culturel ou sportif, l’univers social des Sénégalais est peuplé d’irrationnel. D’ailleurs, c’est ce caractère du motif et des pulsions en télescopage qui fait que ce pays n’est pas un pays où la logique et le bon sens dictent la marche des choses.

Prenons quelques exemples pour appuyer notre propos. Le premier est en lien avec les réactions qui ont suivies l’élimination des Lions du Sénégal à la coupe d’Afrique des Nations. Le peuple exigeait à cor et à cri de décapiter la FSF et de jeter aux oubliettes ses dirigeants. La raison principale : une tempête d’émotion face à un échec cuisant! Dans la colère et les délires, nombreux étaient ceux qui clamaient, haut et fort, la nomination d’Aliou Cissé, fatigués de la valse des entraineurs Blancs payés grassement et qui ne donnent aucun résultat positif. Cependant l’unanimité de la demande sociale se cristallisait autour de la volonté de pousser à la démission la FSF, en piétinant au besoin les principes de fonctionnement des instances de la CAF. Encore les émotions !

La FSF, ayant compris comment fonctionnent les Sénégalais, a vite lâché l’os qui caporalisait les attentions, pour se faire oublier. La nomination de Cissé fut précipitée. Et la suite est comme dans un conte de fée. Des applaudissements à tout rompre. Presque plus personne, aujourd’hui ne parle de la démission de cette FSF qui a toujours accumulé les échecs. Pourquoi ? Les gens ont-ils déjà pardonné à la fédération? Non, les émotions sont passées par là; emballés par la nomination d’Aliou Cissé, les gens ne parlent plus de la démission de la FSF qu’ils réclamaient à hue et à dia. Ils oublient vite les Sénégalais! Ils ne retiennent que ce leur dictent les émotions du moment.

Rarement, ils sont dans l’avenir. Rarement, ils tiennent compte du passé. Aveuglés par les émotions du moment, ils sont presque en transes et ne voient pas ou ne veulent pas voir plus loin que le bout de leur nez. Bref, retenons par cet exemple que l’élimination des Lions a été accueillie et gérée que par les émotions, entraînant le limogeage de Giresse et la nomination d’Aliou Cissé sans véritablement aller au fonds des choses…Cette manière de procéder reflète bien la méthode des Sénégalais : la gestion par les émotions….

Le second exemple, nous l’empruntons à la politique, en évoquant le cas de de Karim Wade. Un cas où l’émotion est au centre de toutes les prises de position des citoyens ordinaires. En effet, dans la confrontation des postions, les émotions empêchent toute discussion sereine entre Sénégalais intelligents: Ceux qui défendent Karim Wade, contre vents et marées, sont convaincus qu’il n’a rien fait; persuadés sont-ils que c’est Macky Sall qui s’acharne sur lui et qui instrumentalise la justice.

De l’autre côté, ils sont aussi des milliers, n’ayant pas attendu que la justice livre son verdict, pour affirmer leur certitude que Karim Wade est un voleur. Ils mettent en exergue ses rapports avec un tel, ses comptes bancaires cachés dans plusieurs pays du monde. Ils parlent; ils parlent; ils parlent sans preuve sous la main pour attester leurs propos.

Leurs dires étant si forts, si engagés et si enrobés de faits qui relèvent de la proximité du dossier et d’une connaissance presque fraternelle de Karim, que tu vas finir par croire que ces gens ont gardé les vaches toute leur jeunesse avec Karim Wade. Et Dieu sait que rares sont ceux qui ont déjà vu Karim Wade en chair et en os et de près. En vérité, l’essentiel des citoyens qui chargent Karim, ou le disculpent, leurs principales certitudes reposent plus sur leurs émotions que sur autre chose.

Au demeurant, peu importe de quel bord l’on se situe sur ce dossier, néanmoins quiconque raisonne avec rigueur et impartialité, mettra d’abord en avant la prudence et le bon sens avant de tirer des conclusions péremptoires. Certes, tout un chacun est libre de se construire une opinion sur la condamnation de Karim Wade. Mais la Vérité est entre les mains des acteurs impliqués et de ceux qui sont proches du dossier et qui ont des informations que le public ne possède pas.

Enfin, on ne peut parler de la tyrannie des émotions dans la sphère publique, au Sénégal, en laissant de côté le religieux. En effet, l’espace religieux Sénégalais est le milieu par excellence où les émotions gouvernent à la folie! Les discussions, entre gens de confréries différentes, tournent souvent au fiasco se terminant dans la frustration, la colère et les insultes. Et pour cause les émotions! L’aveuglement par les émotions fait que beaucoup de Sénégalais se crétinisent au point de diviniser ou d’idolâtrer certains guides religieux qui mènent leur vie au quotidien à l’instar des humains.

Ces exemples précités ne sont que prétextes pour montrer l’emprise et l’impact que les émotions ont sur le raisonnement des Sénégalais dans les débats d’intérêt public et les enjeux de société. Mais aussi leurs incohérences, leur manque de lucidité et leurs partisanneries manifestes dans beaucoup de leurs jugements. En réalité, ils sont habitués à prendre souvent fait et cause dans des affaires dont ils ne connaissent en rien les tenants et les aboutissants. Ils vont vite en besogne; ils empruntent sans arrêt des raccourcis dans leur jugement et leur prise de position. Et ils changent de camp et de conviction, avec une facilité déconcertante, et tout cela sous la houlette des émotions. Sacrés émotifs; sacrés Sénégalais ?

Bref, on pourrait multiplier les exemples à l’infini, pour démontrer que les émotions des Sénégalais faussent la donne dans leur analyse à propos des enjeux sociaux et débats publics? À travers, notre raisonnement, nous voulons juste faire savoir que si les Sénégalais ne sont en rien des êtres constants, et qu’ils ne soient pas capables de s’accorder sur l’évidence, cela s’explique pour une bonne part par les émotions qui les embrigadent et voilent leur raison. En effet, sous le joug des émotions, ils oublient vite; ils réagissent vite. Et ils enterrent vite. Dominés par les émotions, ils se refusent de faire des liens entre passé et présent, entre faits et causes, entre actes et responsabilités…

Les émotions étant souvent du domaine du ponctuel, alors que les Sénégalais ne sont pas habitués à prendre du recul face à l’événementiel, ils pèchent par précipitation et tombent couramment dans l’irrationnel. D’ailleurs, dans l’imaginaire collectif Sénégalais, l’irrationnel occupe une place centrale. Devant l’irrationnel, on est plus proche de ses émotions que de la logique. Émotifs Sénégalais : tout ce qu’ils ne peuvent pas expliquer, ils le versent ou dans le complot ou dans la magie, ou dans le mystique avec des justifications alambiquées. Tu leurs montres leurs contradictions, ils t’insultent ou versent dans la diversion, ou encore se victimisent. Ils sont rarement dans l’écoute active, l’écoute intelligente.

Émotifs Sénégalais ! C’est la place centrale des émotions chez les individus que la flatterie à bonne presse dans cette société. En effet, en tant que peuple personne ne nous égale dans la flatterie, à cause de leur trop plein d’émotion. Les flatteries, les Sénégalais en distribuent et en consomment de façon incroyable. Ce peuple est friand de paroles flatteuses. En effet, la flatterie fouette les émotions. Les télévisions sénégalaises sont les seules au monde où l’on voit impunément des distributions d’argent en direct, à tours de bras et à tout venant pour récompenser les laudateurs.

Les Sénégalais sont trop sensibles aux louanges. Louangez-les, et ils vous appartiennent. Esclaves de leurs émotions, ils pleurent quand on les chante, ou quand on fait l’apologie de leurs ancêtres. Flattez-les et les voilà prêts à voler le pauvre, à dépouiller l’orphelin, et à tuer pour enrichir le flatteur afin que continuent les flatteries de plus belle. De flatterie, ils en boivent et en mangent. Maitre El Hadji Diouf, en délire devant un public qui l’applaudissait, disait que s’il pouvait cambrioler telle banque, il l’aurait fait pour couvrir de billets à un tel…Mais plus grave encore aller voir sur YouTube Moustapha Cissé Lo, lors de l’anniversaire de l’APR, littéralement terrassé par les émotions, distribuer éhontément et de façon insolente de l’argent, devant le Président de la République,. Tout ceci est symptomatique d’un Sénégal en proie aux émotions, et du côté le plus vil et le plus obscur de l’humain. Sacrés Sénégalais !

En définitive, à voir toutes les contradictions dans lesquelles on s’enferme souvent, pour un peuple qu’on dit intelligent, le temps est venu de penser que ce pays a besoin d’aller en thérapie du côté des émotions, pour espérer pouvoir grandir et marcher résolument vers le progrès.

Mamadou Bamba Tall, directeur General de lifixew.com



Abdoul Aziz Diop