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Beaucoup de réactions au Brésil, après la nomination mercredi de Lula, 70 ans, au gouvernement. Des réactions au quart de tour, même. Dans les quartiers aisés de Rio de Janeiro, mais aussi à Sao Paulo, Belo Horizonte et surtout Brasilia, la capitale, des manifestants sont allés protester contre l'ancien président, et contre la décision de Dilma Rousseff de l'appeler à la rescousse au gouvernement, au moment où sa coalition parlementaire menace d'imploser et qu'une procédure de destitution la menace.
Environ 5 000 personnes se sont rassemblées devant le palais présidentiel brésilien mercredi. A l’intérieur du Congrès, des parlementaires criaient « Démission ! Démission ! ». Des membres de l’opposition ont décidé de déposer un recours devant la justice pour empêcher que Lula prenne ses fonctions de ministre, arguant que le parquet a requis l’ouverture de poursuites judiciaires contre lui dans le cadre de l'enquête sur le scandale de corruption Petrobras.
L'opposition dénonce une manœuvre « scandaleuse ». « Au lieu de donner des explications et d'assumer ses responsabilités, l'ex-président Lula a préféré fuir par la porte de derrière », estime Antonio Imbassahy, chef du groupe parlementaire de la principale formation de l'opposition (PSDB, centre droit). Et d'ajouter : « C'est un aveu de culpabilité et une gifle à la société. La présidente, en l'invitant, se fait son complice. Le chapitre final de cette histoire sera la destitution(de Dilma Rousseff, NDLR). »
Gouverner, ou risquer la détention
Ce qui a mis le feu aux poudres après cette nomination, c'est la diffusion, par le juge fédéral en charge de l'enquête sur le scandale Petrobras, Sergio Moro, d'une écoute judiciaire effectuée le jour même. Une conversation téléphonique entre Dilma Rousseff et Lula, intervenue peu après la nomination de ce dernier au gouvernement à la mi-journée. La présidente informe son mentor qu'elle va lui faire parvenir rapidement son décret de nomination. « Ne t'en sers qu'en cas de nécessité », lui dit-elle.
Il n'en fallait guère plus pour que s'installe largement l'impression que Lula tente d'échapper à un placement en détention, et qu'une partie du pays s'indigne. Une fois ministre, l'ancien président bénéficie en effet d'un statut privilégié : il ne peut plus répondre pénalement de ses actes, sauf devant le Tribunal supérieur fédéral. Or, le juge Moro l'avait fait interpeller brièvement le 4 mars, à son domicile, pour un interrogatoire sur des soupçons de « corruption » et de « blanchiment d'argent ».
Très vite, la présidence a dû réagir à la publication de nouvelles écoutes. Elle a annoncé des « mesures judiciaires et administratives » pour « réparer la flagrante violation de la loi et de la Constitution commise » par le juge Moro. Elle soutient que Mme Rousseff a fait parvenir à Lula son décret de nomination dans le simple but qu'il le signe de son côté, dans le cas où il ne pourrait pas se rendre à la cérémonie de sa propre prise de fonctions. Mais d'autres y voient un moyen d'éviter que l'ancien chef d'Etat ne subisse une nouvelle opération de police avant cette passation de pouvoir officielle.
Au passage, Lula da Silva se dédit
Lula, président entre 2003 à 2011, garde de nombreux soutiens. Mercredi soir à Sao Paulo, un rassemblement en faveur de cette icône de la gauche sud-américaine a d'ailleurs eu lieu dans une université, rapporte notre correspondant sur place, Martin Bernard, et d'autres sont déjà prévus ce vendredi dans le pays. C'est précisément parce qu'elle espère que son prédécesseur et mentor va remonter le moral des troupes et renforcer son équipe, au bord de l'implosion après les manifestations de dimanche en faveur de sa destitution, que Mme Rousseff a fait appel à lui.
La présidente espère que l'ancien syndicaliste saura convaincre les parlementaires de rejeter la demande de destitution qui la menace. Un besoin crucial, puisqu'en marge du tumulte qui régnait au Congrès mercredi, le Tribunal suprême fédéral a fixé les règles du cheminement de ladite procédure de destitution, lancée en décembre 2015 contre la chef de l'Etat par l'opposition de droite. La haute juridiction a ainsi donné le coup d'envoi à la reprise des hostilités au Parlement autour de cette question explosive.
Lula jouit d'une stature d'icône nationale, mais aussi d'une capacité de négociation qui fait cruellement défaut à la présidente dans le contexte de crise politique majeure qui frappe le Brésil. Samedi, le parti centriste PMDB, membre de la majorité parlementaire au pouvoir, s'est donné 30 jours pour trancher entre deux options : rester, ou claquer la porte du gouvernement. Ce parti est lui-même grandement éclaboussé par le scandale Petrobras, et se déchire entre pro et anti-gouvernement, à mesure que le navire présidentiel sombre.
Depuis l'annonce de la nomination de Lula au poste de ministre d'Etat, chef de la maison civile, et depuis la publication de l'écoute téléphonique laissant penser que ce retour au pouvoir n'est pas justifié uniquement par des considérations politiques, de nombreux internautes ont repris en boucle sur les réseaux sociaux une phrase prononcée par Lula en 1988, quand il était encore syndicaliste : « Au Brésil, quand un pauvre vole, il va en prison. Quand un riche vole, il devient ministre ! »
RFI