Bachir Sidibé, présumé terroriste libéré après 3 ans de prison en Mauritanié: «J’ai été injustement arrêté, torturé, emprisonné pendant 3 ans pour terrorisme»

Lundi 6 Janvier 2014

La maison des Sidibé, sise aux Hlm Grand-Yoff (Dakar), baigne encore dans une ambiance de retrouvailles tristes, joyeuses, chaleureuses. La veille (vendredi), le fils aîné de la maison, Bachir Sidibé (33 ans, le 12 janvier prochain), revoit sa famille après trois ans de séparation forcée, de privation de liberté. Le jeune homme, boubou traditionnel basin blanc, barbe de trois jours, accueille samedi dans le salon de son domicile. La vie de Bachir Sidibé a basculé dans un engrenage de violences sans fin. En décembre 2010, des policiers l’accusent d’être un terroriste et de recruter pour Al Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi). L’homme a beau nier, malgré les tortures et les sévices, il a durement payé 3 ans de sa vie en prison, son corps porte encore les stigmates de ces tortures. Il raconte avec peine son histoire, sa vie en prison, ses supposés liens avec les islamistes. Confidences exclusives d’un homme qui revient de loin.


Vous avez été suspecté d’activités terroristes et arrêté en 2010 en Mauritanie ; pouvez-vous nous raconter les circonstances de votre arrestation ?

Je dois tout d’abord remercier le journal «L’Observateur» pour le travail fait pour ma libération, je n’oublie pas les autorités sénégalaises. J’ai été arrêté le jeudi 2 décembre 2010, à la sortie de l’école turque où j’enseignais le Français. Des policiers en civil se sont présentés à moi, disant qu’ils avaient besoin de me parler. Je leur ai demandé de me montrer leurs cartes professionnelles. Comme ils étaient deux, l’un a demandé à son collègue de sortir sa carte. Mais ils n’avaient pas de badge, ni de cartes. Je leur ai alors dit que je ne monte pas dans le véhicule d’inconnus, car rien ne prouve qu’ils sont de la police. Un autre véhicule rempli de policiers est arrivé en trombe et des hommes armés de kalachnikovs y sont descendus, braquant leurs armes sur moi. Ils m’ont fait monter de force à bord du véhicule. Ensuite, ils ont mis ma tête dans un sac pour m’empêcher de voir et m’ont demandé de me taire. 

Vous ne saviez pas où on vous amenait ?

Non, je ne savais pas. C’est 20 jours après, quand j’ai été déféré au Parquet que je me suis rendu compte que j’étais dans un lieu de détention des Forces spéciales mauritaniennes. C’est un lieu de tortures et de maltraitance. 

Aviez-vous été torturé par les forces spéciales ?

Juste après notre arrivée, ils ont pris tous mes bagages, fouillé mes habits, mais n’ont rien trouvé. Ils m’ont demandé mon identité, je leur ai remis ma carte consulaire. J’ai demandé à voir leur chef, ils m’ont demandé de me taire, parce que je n’avais pas droit à la parole. Ils m’ont enchaîné les mains et les pieds comme les prisonniers, à Guantanamo. Ils m’ont bandé les yeux et m’ont laissé seul dans une cellule. Une heure plus tard, quelqu’un est venu, me disant : «Lève-toi !» Il m’a balancé un mot sur la figure en me disant : «Kalbou», ce qui signifie chien en arabe. Il a commencé par enlever les chaînes sur mes mains, il a mis des menottes et m’a serré tellement fort que j’ai crié. Il m’a amené dans une autre pièce, quand je me suis assis, j’ai senti qu’il y avait des gens autour de moi. Ils ont commencé à me dire que je détenais des armes à Nouakchott et qu’il fallait que je les leur remette, je devais aussi dénoncer six personnes considérées comme des terroristes. Je leur ai répondu que je ne comprenais rien de leur histoire. Ils m’ont menacé me disant : «Tu vas très vite la comprendre.» ils ont commencé à me torturer avec une telle violence. Je vous assure, ce jour-là, ils m’ont tellement torturé, j’avais très mal. 

«Mon épouse a eu des troubles psychiques à cause de ce que j’ai vécu»

Qu’est-ce qu’ils vous ont fait comme tortures ?

Ils m’ont fait du n’importe quoi et je crains que quand je le dis, je risque de choquer les Sénégalais (Il montre ses poings qui, après trois ans, porte encore les séquelles).

Qu’est-ce qu’ils vous ont fait réellement, il faut expliquer pour que les gens sachent ce qui s’est passé ?

(Il marque une pause…ses yeux sont embués de larmes). Je ne veux pas que ma mère et mon épouse sachent cela, parce que ça peut les perturber. Mon épouse a eu des troubles psychiques à cause de ça. Elle a séjourné beaucoup de mois à l’hôpital psychiatrique de Fann. Je crains que si je raconte ça, ma mère et mon épouse ne soient choquées.

Les scènes de tortures ont été si inimaginables ? 

C’étaient des scènes de tortures inimaginables, les mots me manquent pour les décrire. Même après trois ans de prison, si j’enlève mes vêtements, vous verrez les traces sur mon corps. Ils m’ont torturé pendant 20 jours pour que je donne des noms de terroristes. Il me faisait des choses que personne ne peut imaginer. La plupart de mes ongles de mes pieds (orteils) sont tombés. Aujourd’hui, ils ont repoussé. J’en gardais et j’en ai même remis à un représentant de Amnesty international qui était venu me voir. Il prenait tout ce qui leur tombait sous la main pour te rouer de coups : des bâtons, des chaînes, n’importe quoi… (il se retient). La première fois qu’ils sont partis fouiller chez moi, ils ont déployé des pick-up, des hommes armés, ils m’ont laissé dans un des véhicules, alors qu’il n’y avait que ma femme et mon fils d’un an, Mouhamed, ils ont fouillé la maison à une (1) heure du matin. Et Ma femme a été marquée par ça, et jusqu’à présent elle est fragile.

Fréquentiez-vous le milieu terroriste à Nouakchott ?

Je n’ai jamais fréquenté les terroristes, je n’en connais pas. 

Sur quelle base alors aviez-vous été arrêté ?

Peut-être que ma manière de vivre ma religion a éveillé des soupçons. Je ne cache pas que je suis un Musulman pratiquant. Tous les gens de mon quartier, à Tabazein, le savent. C’était l’un des quartiers les plus luxueux de Nouakchott et je vivais au milieu des hauts gradés, des fonctionnaires. Je ne sais pas si je gênais, mais j’étais un intrus dans ce quartier. En même temps, je suis pratiquant, ce qui n’est pas le cas de beaucoup de gens dans mon quartier. Je fréquentais rarement la mosquée, parce que le temps ne me le permettait pas. Je garde la barbe, je suis pieux, ma femme est voilée et je ne fréquentais personne dans ce quartier.

Est-ce qu’on ne vous a pas soupçonné d’accointances avec des membres d’Al Qaïda islamique ?

Non, je n’ai jamais eu d’accointances avec des membres de Aqmi. Et puis, dans ce quartier, un membre d’Al Qaïda ne peut y vivre. Tous mes contacts, c’étaient exclusivement des parents d’élèves et mes collègues. Je prends à témoins tous les enseignants et élèves de l’école turque de Nouakchott. Je n’ai pas été recruteur pour le compte de cette organisation, et puis qui je vais recruter ?

Comment s’est passé votre face-à- face avec le Procureur de Nouakchott ?

Avant cela, il faut dire que la police a fait deux fouilles à mon domicile, mais ils n’ont même pas trouvé un couteau. Une fois devant le Procureur, il m’a juste dit : «Vous avez tenté de recruter des éléments pour le compte de Aqmi.» Un point, un trait. Je n’ai même pas droit à la parole. Chez le juge, il a confirmé l’inculpation du Procureur et demande qu’on m’envoie en prison. Après huit mois passés en prison, ils ont tenu le procès pour me condamner à 3 ans ferme. Je précise que le jugement a été fait en Hassaniya, de l’argot arabe que je ne maîtrise pas. 

Comment avez-vous vécu votre premier contact avec la prison ?

Je n’ai jamais visité de prison de ma vie et là, je dois vivre trois ans à la prison centrale de Nouakchott. Une fois devant la porte, on m’a pris mes empreintes et j’ai été conduit au premier étage de la prison où se trouve un colonel très méchant. D’emblée, il me dit : «C’est monsieur Sidibé, c’est toi le Sénégalais terroriste, j’ai des renseignements que tu ne donnes pas d’informations, c’est parce qu’ils ne t’ont rien fait. C’est ici que tu vas les donner.» Lui aussi m’a torturé. Et il me voit avec mes lambeaux de chair, comme si j’étais sorti du tombeau.

Combien étiez-vous dans une cellule ?

J’étais seul dans ma cellule de 1,50m sur 1,20m. Dans la cellule, il n’y avait rien, même pas de matelas. Mais comme j’étais détenu avec ce qu’ils appellent les Salafistes (islamistes), ce sont eux qui m’aidaient. 

Que faisiez-vous de vos journées en prison ?

Je passais ma journée à lire le Coran. Dans ces conditions de détention, si tu passes ton temps à réfléchir, tu perds la tête. Quand tu lis le Coran, par contre, tu as le cœur au Paradis. Cela a renforcé ma foi, ma patience. J’aimais écouter la radio, je lisais aussi des journaux.

«Le jour où j’ai engagé une grève de la faim»

A quel moment de votre détention vous avez failli flancher ?

Je suis un Musulman pratiquant et Dieu dit dans le Coran : «Dites que vous êtes croyants et Dieu ne vous éprouve pas.» J’ai mis ma vie en prison dans ce contexte. Je me suis dit que c’est mon destin et que je vais tout supporter. Finalement, ce qui semblait long était très court, parce que c’était une volonté de Dieu. Je sais que c’est une injustice, et que ça pouvait aussi être une erreur. Mais ce qui m’a rassuré que c’est une injustice, c’est quand j’ai fini de purger ma peine. Je devais sortir et les gens me l’ont refusé. Là, je me suis dit que c’est voulu. C’est là que j’ai failli péter les plombs. Ils me disent : «Le Procureur général a envoyé une lettre où il explique que tu as une amende de 5 millions de Ouguiyas, à peu près 10 millions de FCfa, à payer. Alors, comme tu ne paies pas, il a transformé l’amende en trois années supplémentaires de prison.» J’ai lancé un ultimatum pour dire que si on ne me libérait pas, j’allais engager une grève de la faim. 

Combien de jours votre grève de la faim a duré ?

Ma grève de la faim a duré 8 jours, j’ai été libéré au huitième jour. Au cinquième jour, les gardes avaient commencé à s’inquiéter de mon cas. Le sixième jour, le consul du Sénégal à Nouakchott est venu à la prison. Des gardes m’ont demandé de descendre pour voir le consul à la salle des visites, j’ai demandé qu’il vienne me voir dans ma cellule. Je leur ai dit que je ne pouvais même pas aller aux toilettes et eux me demande de descendre. Mais la direction de la prison a refusé. Le même soir, le régisseur est venu me passer au téléphone le Procureur général qui avait pris cette décision de me maintenir en prison. Je lui ai demandé de me parler en Français. Et je lui ai fait savoir qu’il fait preuve de discrimination en libérant certains qui ont purgé leur peine et vouloir me garder en prison. C’est là qu’il me dit qu’il a prévu de me libérer dans les 48 heures. Je lui ai répondu que je ne vais plus manger tant que je serai en prison. Le 7e jour dans l’après-midi, je me suis évanoui et j’ai été transporté d’urgence à l’hôpital pour être réanimé. Quand je me suis réveillé et que j’ai vu la perfusion, j’ai demandé au médecin de l’enlever, parce que j’étais en grève de la faim. Je suis retourné en prison quand mon état de santé s’est amélioré. Le 8e jour, le régisseur m’a fait savoir que j’allais être libéré. Ensuite, j’ai été amené au centre hospitalier de la Police où, en 48 heures, ils m’ont fait 7 perfusions. Puis, ils m’ont convoyé jusqu’au commissariat de Rosso et des policiers sénégalais m’ont emmené. 

«Je suis un Ibadou et je l’assume»

Est-ce que cette accusation de terrorisme ne risque pas de vous poursuivre toute votre vie durant ?

Tout à fait, ça risque de me poursuivre. Mais je n’ai pas peur de la justice, je suis prêt à répondre à toutes les questions, parce que je sais que je n’ai rien fait. Je ne cache pas que je suis un Musulman pratiquant, un Ibadou comme on dit, et je ne l’ai jamais caché, je l’assume.

Comment appréhendez-vous cette nouvelle vie qui vous attend ?

Je recommence à zéro ou moins de zéro, mais Dieu est grand. J’étais professeur de Français à Nouakchott, je gagnais ma vie comme il se devait. Je ne sais pas comment je vais m’y prendre, mais Dieu est grand. Mais déjà, je suis en train de me reposer, de reprendre des forces, je suis arrivé hier vendredi 3 janvier (l’entretien s’est déroulé le 4 janvier, Ndlr :). 

Votre fils était bébé lorsque vous alliez en prison, qu’est-ce que cela vous fait de le revoir ? Est-ce que le voir suffit à vous remonter le moral ?

D’une part, ça suffit à remonter le moral, mais il y a quelque chose qui manque qu’on ne pourra jamais remplacer. Chez ma femme également, la voir perdre la tête comme ça à cause de ses problèmes psychiques… Mais c’était une épreuve, maintenant que c’est fini, on dit «Alhamdoulilah», on rend grâce à Dieu. La patience chez le Musulman, ça paie toujours. Et ce que j’ai vécu m’a grandi.

Comptez-vous retourner en Mauritanie ?

jamais

GFM




 

Jamais 

Abdoul Aziz Diop