BOUBACAR SEYE, PRESIDENT DE «HORIZON SANS FRONTIERE», SUR LE DRAME DE MINA: CE SERA UNE VERITABLE BOMBE SOCIALE DANS CE PAYS-LA, PARCE QUE BEAUCOUP DE CORPS SONT EN ETAT DE PUTREFACTION
Le président de «Horizon sans frontière» se dévoile et jette l’anathème sur le régime, notamment par rapport à la gestion du drame de Mina qui a coûté la vie à des Sénégalais, mais également aux questions liées à la migration. Sans langue de bois, Boubacar Sèye assène ses vérités. Entretien.
L’actualité, c’est l’affaire de la bousculade à Mina, avec à la clé des centaines de morts enregistrés, dont des Sénégalais. Quelle lecture faites-vous de ce drame ?
D’abord, Horizon sans frontière, par ma voix, présente ses condoléances à toute la Umma islamique, au peuple sénégalais, déjà sous le choc, et endeuillé, par ce drame. Nous demandons que toute la lumière soit faite sur les circonstances de ce drame. Et par la même occasion, nous exhortons le chef de l’Etat, par ailleurs président en exercice de l’Oci, de convoquer une réunion extraordinaire. Les images, à travers le monde, sont très choquantes. Aujourd’hui, au-delà même de l’aspect inhumain, il y a beaucoup de problématiques qui peuvent se poser avec ce drame-là. Ce qui fait que, dans les jours à venir, les conséquences vont se faire sentir sur le plan géopolitique.
A quoi faites-vous allusion en parlant de problématiques ?
Vous savez, nous avons tous été choqués par ces images qui montrent des corps ramassés par des bulldozers. C’est la dignité humaine qui se trouve être bafouée avec ces drames-là, que nous condamnons. Aujourd’hui, nous sommes doublement choqués, parce qu’il faut rappeler que, dès les premières heures de ce drame, on a eu à indexer les pèlerins africains. On les a accusés d’indiscipline. Il se trouve que ce drame est dû au fait qu’un des princes était en train d’effectuer son Jamra. Et ce n’est pas la première fois que ça se passe en Arabie-Saoudite. De tels drames se sont répété N fois dans l’Histoire. En 1990, il y a eu plus de 1500 morts. En 1996, il y a eu un drame de ce genre. Et chaque fois, c’est un prince qui fait son Jamra, et on boucle les autres voies. Alors, ces genres d’erreurs ne devraient plus se répéter. C’est la raison pour laquelle, je dis qu’il y a urgence au niveau de l’Oci, parce qu’aussi, nous ne pouvons pas comprendre, et nous regrettons aujourd’hui, que l’aspect purement mercantile prime sur la sécurité. Aujourd’hui, tantôt, c’est des grues qui tombent sur des gens, tantôt c’est une bousculade qui a fait plus de 1000 morts. Et on n’a pas fini de faire le décompte. Déjà, l’Iran passe de 204 à plus de 264 morts. Au Sénégal, vous avez vu la polémique qu’il y a autour de ces chiffres-là. Tout n’a pas été dit. Je crois qu’aujourd’hui, ces morts doivent interpeller l’opinion internationale. C’est l’image même de l’islam qui se trouve être sabotée. Parce qu’aujourd’hui, d’aucuns parlent de sabotage, d’aucun indexent certains trucs. Et vous voyez ce qui se passe, aujourd’hui, avec cette guerre de culture-là ? Il fallait tout faire pour éviter ce genre de drame-là.
Vous avez été le premier à réclamer l’installation d’un comité de crise et à inviter le chef de l’Etat à décréter trois jours de deuil national…
Nous avons accueilli cette mesure avec beaucoup de satisfaction, mais il faut reconnaître aussi qu’elle est venue tardivement. On aurait dû le faire, dès les premières heures. Vous savez, le Sénégal est un pays où le Haj a des aspects multidimensionnels, je dirais même que c’est un phénomène de société. On parle de plus de 10 000 pèlerins sénégalais à la Mecque. Donc, vous comprendrez que, quand un drame de ce genre se produit, je crois que la première chose à faire, c’est d’essayer d’installer un numéro vert. Ne serait-ce que pour assister certaines familles dans le désarroi. Il fallait aussi installer une cellule de crise au Sénégal pour les familles, avec des psychologues. Nous regrettons, jusque-là, qu’à l’aéroport de Dakar, il n’y ait pas de cellule psychologique. Parce que, vous savez, la plupart de ces pèlerins, à leur retour, ils sont sous le choc, ils sont traumatisés. Je dirais que c’est l’échec du dossier migratoire.
Il faut rappeler que le Haj est un projet migratoire. Voilà la raison pour laquelle, nous avons toujours insisté. Malheureusement, on ne nous a jamais écoutés dans ce pays-là pour des raisons politiques. Mais, nous ne sommes pas une organisation politique. Nous sommes des migrants conscients du fait que nous apportons des valeurs ajoutées, conscients du fait que l’immigration, bien gérée, est un facteur de lutte contre la pauvreté. Nous avons voulu relancer le débat sur des questions des flux migratoires qui, aujourd’hui, présentent de nombreux défis, dont les conséquences, aujourd’hui, risquent de fragiliser certains Etats, comme le Sénégal. Actuellement, c’est le cas, il faut le dire, et il faut avoir le courage de le dire. Cette mauvaise gestion du dossier migratoire dans notre pays a beaucoup fragilisé l’Etat du Sénégal, avec ces assassinats, avec ce qui s’est passé lors de ce Haj. Parce que nous l’avons dit, le ministère des Affaires étrangères ne prend pas la migration dans toutes ses dimensions et dans toute sa complexité qui posent des enjeux géopolitiques et géostratégiques et qui dévoilent deux problématiques : paix-sécurité, celle de l’intégrité et de la dignité humaine. On parle de Sénégalais de l’extérieur, mais que signifie Sénégalais de l’extérieur. Et c’est ça le problème ! Un Sénégalais de l’extérieur, malheureusement, qu’on utilise pour des greniers politiques. Vous avez vu tous ces problèmes qu’il y a avec les consulats et autres, il y a un échec. Et quand on vous confie un dossier et que vous avez échoué, il faut que vous l’acceptiez. Il faut avoir le courage de dire que nous avons échoué dans ce pays-là. Il y a un problème dans ce pays-là. Au Sénégal, tout le monde est candidat à l’immigration. Il faut mettre une vision novatrice, il faudrait une vision beaucoup plus futuriste en ce qui concerne les migrations internationales. Il faut tout refaire, parce que le Haj s’inscrit aussi dans le cadre d’un projet migratoire. Et il faudrait recadrer le débat, aujourd’hui, dans un contexte mondial de mobilité croissante des populations, où chaque année, plus de 850 millions de personnes franchissent déjà une frontière.
Puisqu’on parle de la responsabilité de l’Etat, quel commentaire faites-vous sur la manière dont les autorités sénégalaises gèrent ces crises-là, que ce soit le drame de Mina ou les assassinats ?
Nous regrettons beaucoup la façon dont ces crises migratoires sont gérées dans notre pays, avec beaucoup d’amateurisme. On nous apprend que le ministre Mankeur Ndiaye s’est rendu en Arabie-Saoudite. Mais, il fallait le faire depuis. Une délégation parlementaire devait pouvoir montrer son autonomie dans ce dossier-là. Il y a combien de Sénégalais qui ont été assassinés, alors qu’aujourd’hui, on parle du drame de Mina ? Le Sénégal aurait pu, à l’instar d’autres pays, envoyer des gens. Aujourd’hui, il y a un problème sur les décomptes. Ce sera une véritable bombe sociale dans ce pays-là, parce que beaucoup de corps sont en état de putréfaction»
il y a des corps qu’on ne peut plus reconnaître, qu’on ne pourra plus identifier. Le Sénégal n’a, malheureusement, pas pu assister ses ressortissants dans ce drame-là. Aujourd’hui, le ministre des Affaires étrangères se déplace, moi je pense que c’est trop tard.
Tantôt, vous parlez d’amateurisme, tantôt vous dites qu’il y a une incertitude dans les décomptes…
Il y a une instrumentalisation politique de ce dossier dans ce pays-là. Parce qu’en fait, moi, je continuerai de dénoncer la gestion clanique, clientéliste et partisane de l’Etat, avec cette notion de «Yama nex». Aujourd’hui, il faut tout refaire dans ce Haj-là. Il faudrait mettre sur pied d’autres structures. Aujourd’hui, il y a toute une instrumentalisation politique de ce dossier-là. On ne peut pas reprocher au chef de l’Etat qu’il y ait des morts, mais, quand même, on peut dire au président de la République de prendre ses responsabilités dans ce dossier-là. Ne serait-ce que pour édifier le peuple sénégalais, déjà sous le choc. Vous avez vu le Niger réclamer ses morts, le Mali a décompté ses morts. Mais, au Sénégal, on essaye de tromper l’opinion publique nationale. Le Premier ministre nous parlait de blessés. Après, on nous parlait de 7 morts, après 11 morts. On revient après pour parler de 14 morts. Mais, tous ces jeux-là, c’est pourquoi ? Il faut qu’on dise la vérité au peuple Sénégalais. Les gens sont sous le choc, tout le peuple est endeuillé, alors, ayez le courage de dire la vérité aux gens. C’est le minimum. Ne serait-ce que pour soulager les familles. Maintenant, on nous parle de disparus. On ne peut pas disparaître pendant plus d’une semaine, ce n’est pas possible. Tous ces gens-là, la plupart de ces gens, sont morts. Mais, pourquoi ne pas dire la vérité au peuple sénégalais. Parce que, tout simplement, le chef de l’Etat, Macky Sall, était à New-York.
Donc, c’est une attitude que vous condamnez ?
En Centrafrique, il y avait eu des problèmes. Le président centrafricain a tout interrompu pour retourner au pays. Donc, il (Macky) était à New-York, on ne pouvait pas lui dire les chiffres. On attendait qu’il revienne. Mais, ça aussi, c’est une erreur. Les gens qui le font, ne rendent pas service au président de la République. Maintenant, le vin est déjà tiré, il faut le boire. Les Sénégalais, dans leur globalité, ne sont pas du tout contents de la manière dont cette crise a été gérée, dans ce pays-là. Aujourd’hui, le ministre (Mankeur Ndiaye), il se rend là-bas pour faire quoi ? J’espère qu’ils auront le courage de dire la vérité. Il y a des morts, on parle de disparus. Les privés qui sont revenus, ils ont été clairs.
Rien que dans le privé, on a décompté plus de 70 morts. On ne peut pas parler de disparus. Il parait que les morgues là-bas regorgent de cadavres Sénégalais, mais qu’il n’y a aucune assistance, c’est-à-dire qu’ils refusent même d’y aller. Ceux qui étaient chargés de l’organisation de ce Haj-là ont failli dans ce domaine-là. Moi, je dirais l’Etat du Sénégal, parce qu’on commence à accuser le commissaire. C’est l’Etat, c’est le ministère en charge de ce dossier qui a échoué, dès le début. Vous avez vu, il y a eu beaucoup de problèmes, dès le début de cette opération, avec des pèlerins laissés en rade à l’aéroport. Le ministère a parlé d’un problème de visa. C’est des explications très légères.
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