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Amnesty International Sénégal : Intégralité du Rapport annuel 2017/2018
Le rapport 2017/2018 d’Amnesty International rend compte de la situation des droits humains dans le monde en 2017. Il couvre 159 pays et territoires. Dans cette présentation, et comme de coutume, nous faisons état de certains faits survenus en 2018 et qui ne peuvent être tus au vu de leur gravité du point de vue des droits humains.
Tout au long de l’année 2017, de très nombreuses personnes qui vivaient déjà dans la pauvreté et l’insécurité ont vu leur situation aggravée par les conflits, les mesures d’austérité et les catastrophes naturelles. Des millions de gens ont été forcés de fuir et de chercher refuge ailleurs dans leur propre pays et à l’étranger. La discrimination est restée courante dans toutes les régions du monde, avec dans certains cas des conséquences mortelles pour les victimes. Des gouvernements de toutes tendances politiques ont continué de réprimer les droits à la liberté d’expression, d’association et de manifestation, notamment en menaçant et en attaquant des journalistes, des défenseurs des droits humains et des militants écologistes.
Cependant, dans toutes les régions du monde, des millions de femmes et d’hommes se sont dressés contre l’injustice et ont réclamé que leurs voix soient entendues et leurs droits respectés, faisant rayonner leur courage et leur détermination dans ces sombres circonstances. Grâce à eux, justice a été rendue pour des crimes commis par le passé et les autorités n’ont pas pu oublier un seul instant qu’elles auraient à rendre des comptes pour leurs agissements.
I - La situation au Sénégal :
Les droits à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’expression sont restés soumis à des restrictions. Les conditions de détention demeuraient particulièrement dures et les enfants ont été cette année encore contraints de mendier dans la rue. Peu d’efforts ont été faits pour empêcher les auteurs des violations des droits humains de bénéficier de l’impunité.
I.1 – Procès inéquitables
Khalifa Sall, un dirigeant de l’opposition et maire de Dakar, la capitale, a été placé en détention le 7 mars. Il était inculpé d’association de malfaiteurs, de complicité et usage de faux en écritures privées de commerce, de faux et usage de faux dans les documents administratifs, de détournement et escroquerie portant sur les deniers publiques, et de blanchiment de capitaux. La libération sous caution lui a été refusée à plusieurs reprises. Il a été élu au parlement en juillet alors qu’il était toujours détenu. En novembre, l’Assemblée Nationale a levé son immunité à la demande du parquet.
Ses avocats et des groupes de l’opposition et de la société civile, dont Amnesty International Sénégal, se sont dits préoccupés par ce qui leur apparaissait comme un manque d’indépendance de la justice. Sept (7) autres personnes ont été inculpées dans cette affaire ; à l’instar de Khalifa Sall, cinq d’entre elles étaient toujours maintenues en détention sans jugement à la prison de Rebeuss, à Dakar, à la fin de l’année.
Le procès de Khalifa Sall a finalement débuté au mois de janvier 2018 devant le Tribunal de Grande Instance de Dakar.
L’affaire Khalifa Sall confirme le caractère ciblé des poursuites lancées dans le cadre de la lutte contre la corruption et le détournement des deniers publics. Ces poursuites semblent viser uniquement des leaders de l’opposition alors qu’aucune suite n’est donnée aux rapports des corps de contrôle de l’Etat concernant la gestion des personnalités proches du pouvoir. Nous observons une absence d’égalité des citoyens devant la justice qui est tout à fait inacceptable dans un Etat de droit et qui doit prendre fin immédiatement.
I-2 Liberté de réunion :
Les autorités ont interdit des manifestations pacifiques et arrêté des manifestants, en particulier à l’approche des élections de juillet.
En juin, les forces de sécurité ont blessé deux personnes par balles et roué de coups plusieurs autres manifestants lors d’une marche organisée à Touba pour dénoncer les mauvais traitements infligés à un adolescent de 14 ans par les membres d’une association souvent présentée comme une « police religieuse ». La police a démenti avoir ouvert le feu sur les manifestants et promis d’ouvrir une enquête. Les résultats de l’enquête ne sont toujours pas connus.
Yamadou Sagna, un jeune orpailleur habitant le village de Kobokhoto, dans la région de Kédougou, a été tué par un auxiliaire des douanes au mois de février 2017.
Une autre personne, un pèlerin bissau-guinéen du nom d’Abdoulaye Baldé, a été tué par un agent des douanes à Nianao, dans la région de Kolda au mois de février 2018.
L’élève sous officier d’active Mbaye Mboup est mort dans un centre de formation de l’armée nationale le 21 novembre 2017. Le certificat de genre de mort établi par un médecin légiste fait état de sévices subis par le défunt.
Une vingtaine de membres du mouvement 1000 jeunes pour libérer Khalifa Sall ont été arrêtés en juin et en novembre pour « troubles à l’ordre public » après avoir manifesté pacifiquement à Dakar pour réclamer la remise en liberté de Khalifa Sall. A l’exception d’une personne, tous ont été relâchés le jour même.
En juillet, les forces de sécurité ont fait usage de gaz lacrymogènes et de matraques pour réprimer une manifestation pacifique organisée par l’ancien président et dirigeant de l’opposition Abdoulaye Wade. Les autorités ont mis fin à la manifestation en application d’un décret de 2011 interdisant tout rassemblement dans le centre-ville de Dakar.
I-3 Liberté d’expression
Des journalistes, des artistes, des utilisateurs des médias sociaux et d’autres personnes qui exprimaient des opinions dissidentes ont été arrêtées de manière arbitraire.
Le 30 juin, la journaliste Oulèye Mané et trois autres personnes ont été interpellées pour « publication d’images contraires aux bonnes mœurs » et « association de malfaiteurs » après avoir partagé des photographies du président Macky Sall sur le réseau social WhatsApp. Elles ont été libérées le 11 août.
La chanteuse Ami Collé Dieng a été arrêtée à Dakar le 8 août et accusée « d’outrage au chef de l’Etat » et de « diffusion de fausses nouvelles » après avoir envoyé sur WhatsApp un enregistrement sonore critique à l’égard du président. Elle a été remise en liberté le 14 août.
En août également, le procureur de la république a lancé une mise en garde officielle, indiquant que quiconque diffuserait sur internet des commentaires ou des images à caractère « injurieux », de même que les administrateurs des sites hébergeant du contenu de ce type, était passible de poursuites au titre des dispositions du code pénal relatives à la cybercriminalité.
Le projet de loi portant création d’un code de la presse a été adopté par l’Assemblée nationale. Il était formulé en termes vagues et prévoyait des peines privatives de liberté pour des infractions relatives à la presse. Il permettait aux ministres de l’intérieur et de la communication d’interdire des journaux et des magazines étrangers et prévoyait des peines de prison et des amendes pour toute personne qui braverait cette interdiction.
L’article 192 habilitait les autorités administratives à ordonner la saisie de matériel utilisé pour publier ou diffuser des informations, à suspendre ou arrêter un programme télévisuel ou radiophonique et à fermer temporairement un média pour des raisons de sécurité nationale et de protection de l’intégrité territoriale, entre autres.
Des peines d’emprisonnement étaient prévues pour diverses infractions, y compris « offense » au chef de l’Etat, diffamation, injure, diffusion ou distribution d’images contraires aux bonnes mœurs, ou encore diffusion de fausses nouvelles. Diverses techniques utilisées par les lanceurs d’alerte constituaient des infractions passibles d’emprisonnement. L’article 227 permettait dans certaines circonstances de restreindre l’accès aux contenus en ligne considérés comme « contraires aux bonnes mœurs », « portant atteinte à l’honneur » ou « manifestement illicites ».
I-4 Conditions carcérales et morts en détention
Le problème de la surpopulation carcérale persiste et les conditions de vie dans les établissements pénitentiaires étaient toujours très éprouvantes. Au moins quatre personnes sont mortes en détention ; deux d’entre elles se seraient pendues.
Des dizaines d’autres étaient maintenues en détention pour de longues périodes dans l’attente de leur procès pour des accusations liées au terrorisme. Le procès de l’imam Alioune Badara Ndao s’est ouvert le 27 décembre, alors que cet homme avait déjà passé plus de deux ans en détention pour plusieurs chefs d’inculpation, notamment « actes de terrorisme » et « apologie du terrorisme ». Il n’a pas pu bénéficier du traitement médical dont il avait besoin en dépit de la détérioration de son état de santé.
I-5 Droits des enfants
En juillet, Human Rights Watch a signalé que sur les 1500 enfants arrachés à la rue entre juillet 2016 et mars 2017, plus d’un millier étaient retournés dans leur internat coranique traditionnel. Ils en avaient été retirés dans le cadre d’une initiative gouvernementale de 2016 destinée à les protéger de la mendicité forcée et d’autres mauvais traitements infligés par les maîtres coraniques. La plupart de ces établissements n’ont fait l’objet d’aucun contrôle officiel et de nombreux enfants ont été renvoyés de force dans la rue pour y mendier. Très peu d’enquêtes ou de poursuites visant les auteurs de ces agissements ont été ouvertes.
I-6 Impunité
En avril, le Comité des Nations Unies sur les disparitions forcées a publié ses observations finales concernant le Sénégal. Il a recommandé que le droit pénal et les procédures d’enquête soient mis en conformité avec la Convention internationale contre les disparitions forcées, et que le Comité sénégalais des droits de l’homme soit renforcé, comme le prévoit les Principes concernant le statut et le fonctionnement des institutions nationales pour la protection et la promotion des droits de l’homme dits Principes de Paris.
L’Etat du Sénégal tarde également à prendre les mesures qu’il faut pour assurer l’indépendance de l’Observateur National des Lieux de Privation de Liberté, Autorité administrative indépendante qui ne doit être rattachée ou placée sous la tutelle d’aucun ministère comme recommandé par le sous-comité pour la prévention de la torture (SPT).
Au-delà des problèmes liés à leurs statuts, ces deux institutions doivent être dotées de ressources humaines et financières suffisantes pour remplir leur mission.
I-7 Justice pénale internationale
En avril, les Chambres africaines extraordinaires, établies au Sénégal, ont confirmé la déclaration de culpabilité et la peine de réclusion à perpétuité prononcées contre l’ex-président tchadien Hisséne Habré pour des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité et des actes de torture perpétrés au Tchad entre 1982 et 1990.
I-8 Recommandations
Le décret de 2011 (plus connu sous le nom de décret Ousmane Ngom) doit être abrogé car contraire à la constitution du pays et notamment au code électoral qui autorise les partis et candidats à organiser des manifestations partout sur le territoire national pendant les campagnes électorales.
Application des lois en vigueur qui interdisent et punissent l’exploitation des enfants par la mendicité, et notamment la loi n°2005-06 du 10 mai 2005 relatif à la lutte contre la traite des personnes et pratiques assimilées et à la protection des victimes.
Finaliser et adopter le projet de code de l’Enfant pour renforcer la protection juridique de cette couche vulnérable de la population sénégalaise.
Réformer la loi portant statut de la magistrature afin de renforcer l’indépendance des magistrats du siège et redéfinir le lien entre le parquet et le ministre de la justice.
Réformer le Conseil Supérieur de la Magistrature pour garantir son indépendance de l’Exécutif comme stipulé par la constitution. Le Président de la république et le ministre de la justice ne doivent plus siéger au Conseil Supérieur de la Magistrature. Le Président entérine les délibérations du Conseil Supérieur de la Magistrature notamment les nominations comme la constitution lui en donne le pouvoir.
Donner des instructions fermes aux forces de défense et de sécurité ainsi qu’aux préfets pour le respect de la liberté de réunion et de manifestation et pour l’observation stricte des règles qui régissent le recours à la force par les agents chargés de l’application de la loi (Principes de base des Nations Unies sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois).
Réformer le code de justice militaire et supprimer les ordres de poursuites pour faciliter la poursuite des crimes commis par les membres des forces de défense et de sécurité dans l’exercice de leurs fonctions.
Ratifier le Protocole facultatif se rapportant au Pacte International relatif aux Droits Economiques, Sociaux et Culturels qui instaure un mécanisme de plaintes auprès des Nations Unies.
Elaborer et adopter la loi de mise en œuvre du Traité sur le commerce des armes ratifié par le Sénégal le 25 septembre 2014.
Adopter les réformes nécessaires afin de garantir l’indépendance du Comité Sénégalais des Droits de l’Homme et l’Observateur National des Lieux de Privation de Liberté et doter ces deux institutions de ressources humaines et financières suffisantes pour remplir leurs missions.
Construire de nouvelles prisons et rénover d’autres afin de les mettre en conformité avec les normes et standards internationaux.
En Casamance, prendre des mesures pour protéger les civils contre la violence (violence des groupes armés et violence des forces de défense et de sécurité) et favoriser le retour des réfugiés et personnes déplacées
II. La situation en Afrique
En Mauritanie, le gouvernement continue à restreindre le droit à la liberté d’expression, de réunion et de manifestation et plusieurs activistes des droits humains ont été condamnés à des peines de prison fermes pour avoir exercé ce droit.
En République Démocratique du Congo, des atteintes graves à la liberté de réunion et de manifestation ont été documentées et plusieurs personnes exerçant ce droit de façon pacifique ont été tuées par les forces de sécurité qui ont fait un usage excessif de la force.
Au Soudan du Sud la guerre civile continue de faire rage, faisant des milliers de victimes et poussant des centaines de milliers de personnes à quitter leur domicile ou le pays.
III. La situation dans les Amériques
Les Etats Unis continuent à appliquer la peine de mort au niveau fédéral et au niveau de la plupart des Etats fédérés tandis que les autorités du pays se montrent incapables de revoir les lois sur l’achat et le port d’armes dont le laxisme est à l’origine de beaucoup de meurtres dans le pays.
Au Venezuela, la crise politique combinée à une crise économique ont plongé le pays dans une situation incertaine où les droits humains sont bafoués au quotidien.
IV. Asie Pacifique
En Birmanie, la politique de discrimination et d’exclusion pratiquée par le gouvernement contre la minorité musulmane du pays a créé des affrontements armés qui ont poussé des centaines de milliers de personnes vers le Bangladesh voisin.
Aux Philippines, la croisade du président Duterte contre la drogue et la criminalité a fait des milliers de victimes d’exécutions extrajudiciaires.
La Chine reste parmi les pays qui ont le plus recours à la peine de mort et le pays poursuit sa politique répressive contre les minorités tibétaines et ouïghours.
V. Le Moyen Orient et l’Afrique du Nord
En Libye, l’Etat est absent dans la plupart des provinces du pays laissant le terrain libre à des groupes armés qui commettent de graves violations des droits humains.
Israël poursuit sa politique d’occupation et de colonisation des territoires palestiniens en violation flagrante du droit international. Les exécutions extrajudiciaires et les meurtres et emprisonnements de manifestants palestiniens ont caractérisé la politique sécuritaire de l’Etat d’Israël.
VI. Europe
Les Etats européens ont continué à adopter et à mettre en œuvre des politiques et des mesures restrictives en matière d’accueil des réfugiés qui fuient la guerre et la persécution.
Des atteintes graves à la liberté de manifester ont eu lieu en Russie et des mesures rendant plus difficiles l’enregistrement et le travail des organisations non gouvernementales étaient toujours en place.