Aïssata Harouna Ndiaye, ancienne tutrice du président et de son jeune frère : «Macky et Aliou Sall m’ont abandonnée, mais j’espère qu’ils viendront à mes funérailles»
Lundi 26 Janvier 2015
Il y a des femmes comme ça. Des dames faites d’humanité et dont le tout est bonneté et dignité. Des mamans au cœur d’or, capables de s’indigner des sales coups de la vie, de s’ériger en rempart et d’offrir leur toit en refuge. Aïssata Harouna Ndiaye fait partie de cette espèce féminine en voie de disparition.
Rencontrée, samedi dernier à son domicile, à Sam (Kaolack), qui a accueilli l’actuel chef de l’Etat du Sénégal, Macky Sall, à l’époque élève en détresse, puis son jeune frère, le tout frais président de l’Association des maires du Sénégal (Ams), Aliou Sall, exclu du lycée Coumba Ndoffène Diouf de Fatick, elle est restée cramponnée à ses valeurs. Malgré le poids de l’âge (elle dépasse de loin les 70 ans) et les fâcheuses expériences de la vie, elle tient encore le coup. Heureuse du destin des frères Sall, «mes fils», répète-elle. Mais très malheureuse de leur comportement. De leur ingratitude.
Même si elle refuse de mettre les pieds dans les plats princiers où l’on sert aujourd’hui ses ex-protégés, maman Aïssata Harouna Ndiaye porte fiévreusement les stigmates de l’abandon dont elle fait l’objet de la part du Président et de son jeunot. Qu’elle n’a presque jamais revus ou entendus depuis leur départ de la maison, après le Bac. Triste confession d’une tutrice abandonnée, trahie.
PAR PAPE SAMBARE NDOUR
(ENVOYE SPECIAL A KAOLACK)
Aïssata Harouna Ndiaye, vous étiez la tutrice du président de la République, Macky Sall, et de son petit frère, le président de l’Association des maires du Sénégal, Aliou Sall, lorsqu’ils étaient élèves à Kaolack. Dans quelles conditions étaient-ils arrivés chez vous?
C’est la grand-mère de Macky Sall qui était l’amie de ma mère et ces relations ont perduré. Je ne veux pas trop entrer dans les détails de l’arrivée de Macky Sall chez moi, parce que je ne veux pas réveiller de vieux souvenirs. Sachez juste que Macky était chez son homonyme, Macky Gassama, avant de bouder et de rentrer à Fatick. Je ne peux pas revenir sur cet épisode de la vie de Macky, parce que je ne le maîtrise pas. Ce que je sais, c’est qu’un jour, sa maman est venue me voir pour me le confier. Ce que j’ai accepté, volontiers, parce que j’avais de très bonnes relations avec les parents de Macky. Mbégnou (surnom du papa de Macky, Amadou Abdoul Sall à l’état civil, Ndlr) ne quittait jamais notre maison à Fatick. Quand je me rendais à Fatick, c’est toujours lui qui me raccompagnait jusqu’à la gare routière. Donc, quand sa maman est venue me voir, c’est tout naturellement que j’ai accédé à sa demande. Je lui ai dit que Macky n’aurait aucun problème chez moi. Je l’entretiendrai comme mon propre fils et je ne vous demande rien en retour. A l’époque, je menais des activités de commerce. J’allais tous les jours à Banjul (Gambie) m’acheter des marchandises que j’écoulais à Dakar. C’est Ndèye Penda Ndiaye, ma fille cadette, qui s’occupait de la maison. Et je lui avais donné des instructions fermes pour que Macky n’ait aucun problème. Elle lui faisait son petit déjeuner et lui gardait son déjeuner jusqu’à son retour de l’école. Ce sont les blancs qui logeaient dans le quartier qui conduisaient Macky à l’école, ce sont eux aussi qui allaient le chercher. C’était une chance. Macky était un élève calme et studieux. Il ne m’a jamais posé de problème. La seule fois qu’il m’a fait peur, c’est le jour où il est venu me dire : «Maman Aïssata, je vais rentrer, ce soir, à Fatick.» Comme j’étais très souvent absente de la maison, j’ai pensé que quelqu’un lui avait fait du mal, je lui ai demandé : «Mais pourquoi ?» Il m’a expliqué, presque en pleurs, qu’il voulait rentrer parce que son ami, Moustapha Dieng (actuel président du conseil d’administration (Pca) de l’Agence nationale de l’aviation civile et de la météorologie (Anacim) ne mangeait plus à sa faim et qu’il lui était insupportable de le laisser seul dans cette situation. Et comme il voulait arrêter ses études et rentrer à Fatick, lui aussi allait le suivre. Je lui ai dit que son raisonnement était un peu trop puéril et que la solution la plus raisonnable, c’est qu’il vienne manger, chaque jour, à la maison. Ce qu’il est parti dire à son ami, qui avait finalement rejoint la maison, jusqu’à sa réussite au baccalauréat.
Où vivaient-ils dans la maison, ça a dû être serré ?
Ils ne vivaient pas avec nous. Comme il ne restait dans la maison que le débarras, je leur ai loué une chambre à quelques mètres de la maison. Je crois que je la payais à 1500 FCfa le mois. Ils passaient la journée à la maison et rentraient le soir dormir dans leur chambre. Comme Ndèye Penda ne pouvait pas s’occuper de la maison et de leur chambre, j’ai engagé une dame qui passait régulièrement nettoyer leur chambre et leur chercher de l’eau. Et je me rappelle encore, comme si c’était hier, la veille de l’examen du baccalauréat. Ce jour-là, Moustapha est venu voir mon mari. Il lui a dit : «Papa Samba, il faut prier pour nous.» Sans hésiter, mon mari a prononcé quelques versets du saint Coran avant de leur dire, tout de go, qu’ils allaient tous réussir. Ils étaient heureux et croyaient fermement en leurs chances de réussite. Et avec l’aide de Dieu, ils ont tous réussi, nous étions heureux, mon mari et moi.
«Yaye Aïssata, Ndèye Penda toggatoul batagnesé
Oui, mais comment était l’élève Macky Sall ?
C’était un garçon calme, comme il l’est encore aujourd’hui. Il ne faisait rien de travers. C’était un garçon très facile à gérer. Il n’avait que deux amis, Moustapha Dieng et un autre, dont j’ai oublié le nom. Le trio s’accompagnait avec mon fils, Babacar, qui est décédé. Vous savez, je n’ai jamais entendu Macky Sall proférer des insultes, jamais. Il était très poli et c’est lui qui débarrassait après chaque repas. Il ne lavait pas les bols, mais c’est lui qui les ramenait à la cuisine. J’ai entendu dire qu’il était très émotif, qu’il était coléreux etc. Mais, honnêtement, il ne m’a jamais montré cela. Je sais qu’il est un peu caractériel, mais je ne l’ai jamais vu verser dans l’impolitesse ou la violence.
Des vieilles connaissances disent de lui qu’il était gourmand et c’est ce qui fait qu’il pensait à fuir à Fatick à chaque fois que les temps étaient durs. Qu’est-ce qu’il aimait manger ?
(Elle rigole)Non, il n’était pas gourmand du tout. Mais il adorait les aubergines. D’ailleurs, à chaque fois qu’il en manquait dans les repas, il venait s’en plaindre auprès de moi. Un jour, il est venu me dire en Wolof : «Yaye Aïssata, Ndèye Penda toggatoul batagnesé (Maman Aïssata, Ndèye Penda a cessé de préparer en y mettant des aubergines).» J’en ai beaucoup rigolé et le lendemain, sur le chemin du retour de Banjul, j’ai acheté 5 kilos d’aubergines, rien que pour Macky. Il y avait une de mes parentes qui s’appelle Talaba, qui se moquait, en me disant que si je continuais comme ça, j’allais gâter Macky Sall. Macky était tellement respectueux que j’accédais à toutes ses demandes. C’est moi qui lui donnais le billet pour aller en week-end à Fatick et tout.
Lui arrivait-il de vous demander de l’argent pour aller en boîte de nuit ?
Non, il ne m’a jamais demandé de l’argent pour ça. Je n’ai jamais vu une copine de Macky. Peut-être qu’il ne l’amenait pas à la maison, mais dans leur chambre (elle rigole). Macky ne m’a jamais montré autre chose que la politesse.
Est-ce qu’il lui arrivait de faire l’école buissonnière ?
Macky était trop sérieux pour faire l’école buissonnière. Il était aussi très conscient de la situation de sa famille, de telle sorte qu’il se mettait tout le temps à étudier. On le voyait rarement sans un cahier entre les mains. On n’a jamais convoqué un membre de la famille à l’école à cause de Macky. Cela, jamais.
Vous avez tantôt brossé la situation familiale de Macky. Arrivait-il que son père ou sa mère vienne vous voir pour un soutien financier…
Nous n’avons jamais demandé quelque chose à la famille de Macky. D’ailleurs, un jour, sa maman est venue à la maison avec un poulet. Elle était venue à Kaolack pour présenter ses condoléances à une de ses amies qui avait perdu son mari et comme elle ne voulait pas passer à la maison les mains vides, elle est venue avec un poulet. Mais son bel acte a quelque peu énervé mon mari, qui considérait Macky comme son propre fils. Il lui a dit qu’elle ne devait pas faire cela, parce qu’on ne faisait que notre devoir en entretenant Macky. D’ailleurs, sa maman est rentrée avec le poulet et je lui ai donné 10 kilos de riz et des savons, que Ndèye Penda a portés pour elle jusqu’à la grande route où elle devait prendre un véhicule pour Fatick.
Vous avez fait cela parce que la famille de Macky était très pauvre ?
Je ne vais pas répondre à votre question. Je suis désolée, je n’y répondrai pas.
Quelles ont été les relations entre Macky Sall et votre mari ?
De très bonnes relations. Comme je vous l’ai dit, Macky était tellement correct qu’on ne pouvait pas ne pas l’aimer. D’ailleurs, mon mari ne cessait de lui prodiguer des conseils. Il lui disait toujours de se présenter à des concours pour pouvoir aider son papa, qui était presque au crépuscule de sa vie. Mais Macky voulait poursuivre ses études. Il était jeune à l’époque, mais plein d’ambitions.
Actuellement, c’est rare de voir des âmes aussi charitables. Qu’est-ce qui vous poussait à soutenir les élèves démunis, parce que vous ne le faisiez pas que pour Macky et son ami, il y avait d’autres élèves chez vous?
J’aime assister les autres, parce que je suis née dans cette atmosphère. C’est lié à mon éducation. Quant à mes rapports avec les élèves, c’est une longue histoire. Vous savez, à Kaoalack, le lycée était, à ses débuts, sous le régime de l’internat. Donc, tous les autres élèves qui n’avaient pas une famille d’accueil, étaient obligés d’arrêter leurs études. Comme j’avais des parents à Fatick, j’ai dû recevoir beaucoup d’élèves chez moi (il cite les noms de plusieurs élèves). Et Dieu merci, tous, ou presque, ont eu leur baccalauréat et ont rejoint l’Université de Dakar. A l’époque, par la grâce de Dieu, j’avais de quoi les entretenir et je les traitais comme mes propres enfants.
Est-ce que tous ces gens-là que vous avez eu à aider reviennent souvent vous voir ?
Certains d’entre eux passaient me voir, mais je ne vois presque plus personne. Macky Sall passait, au début, me rendre visite. A chaque fois qu’il revenait de la France, il venait jusqu’à Kaoalck me dire bonjour. C’était toujours un grand plaisir pour moi de le revoir. Mais par la suite, il est resté longtemps sans revenir me voir. Je crois, si je ne me trompe, que c’était lors des obsèques de mon mari, Samba Ndiaye, que Macky est venu à la maison pour la dernière fois. A ce moment-là, il était ministre ou Premier ministre, je ne sais plus.
Est-ce que vous l’avez revu depuis qu’il est président de la République du Sénégal
Non (elle pleure). Je ne l’ai jamais revu depuis la mort de mon mari. Un jour, il est venu à Kaolack et comme il n’était pas passé à la maison, ma fille, Ndèye Penda Ndiaye, est allée le voir à la gouvernance, je crois. Il l’a reçue, après beaucoup de difficultés et lui a donné de l’argent.
Combien ?
Je ne sais pas. Je ne saurais vous le dire. Ce n’est pas l’argent de Macky qui m’intéresse. D’ailleurs, il paraît qu’il avait mis Ndèye Penda en rapport avec une femme, député, pour qu’elle lui remette 100 mille francs Cfa par mois, mais elle n’a plus revu la dame. Personnellement, je ne connais ni le prénom ni le nom de cette parlementaire. (Elle interroge sa fille : n’est-ce pas Ndèye Penda ?). Sa fille intervient : «Non, l’argent n’était pas destiné à vous, mais aux structures du parti à Kaolack). «Donc, c’est bon», enchaîne la maman.
Macky ne vous a pas alloué ne ce serait-ce qu’une petite somme d’argent pour arrondir vos fins de mois ?
Non, il ne m’a alloué rien du tout. Je vis avec les 20 000 FCfa de pension que j’ai hérités de mon époux. Mais, s’il vous plait, il ne faut pas réduire mes relations avec Macky Sall à une simple question d’argent. Macky Sall n’est pas forcé de m’aider, je l’ai accueilli chez moi, comme son frère d’ailleurs, parce que je voulais juste les aider à ne pas abandonner l’école. Je ne le faisais pas pour être payée en retour. Je mange, je bois, je me lave… Bref, je vis comme le jour où je les ai accueillis. Rien n’a changé, à part mon âge et ma mauvaise santé. Sa fille, Ndèye Penda Ndiaye, intervient encore : «Vraiment…», dit-elle. Mais sa mère l’interrompt : «Non, Macky n’a pas de temps. Je le comprends, même si j’aimerais bien le revoir un jour», dit-elle, avant de poursuivre. Je suis allé le voir un jour à Dakar. A l’époque, il était président de l’Assemblée nationale et il m’a remis beaucoup d’argent. Il m’avait offert 200 000 FCfa.
Qu’est-ce qui s’était passé pour que vous alliez le voir à son bureau de l’Assemblée nationale ?
J’avais vu sa mère en rêve. Elle me disait : «Aïssata Ndiaye, je suis vraiment inquiète là où je suis.» Je lui ai dit : «Où êtes-vous Coumba ?» Elle m’a répondu : «Je suis loin, mais je vois beaucoup de mouches autour de Macky et cela m’empêche d’être tranquille. Je veux que tu ailles voir Thierno Mamour Tall, l’Imam de Halwar (Fouta) pour qu’il fasse des prières pour lui.» Le lendemain, j’ai appelé l’Imam de Halwar pour lui demander de m’interpréter le rêve et il m’a dit que Macky allait avoir des problèmes à l’Assemblée nationale. Mais, il y a des prières à faire pour faire tourner les choses à son profit. Je lui ai répondu que je ne pouvais pas voir Macky. Je n’avais ni son téléphone ni celui de sa femme pour l’en informer. L’Imam a vraiment insisté pour que je conduise Macky jusqu’à Halwar, mais devant l’impossibilité d’une telle chose, il a accepté, sur mon insistance, de faire les prières. Ensuite, on a préparé de la bouillie de mil avec du lait caillé, qu’on a servie aux enfants.
Mais comment avez-vous fait pour rencontrer Macky ?
Comme je vous ai dit, je n’avais ni son téléphone ni celui de sa femme. Mais c’est une député(e), une fille à moi, Banna Mangara, qui m’a emmenée, à l’époque, le voir.
Il a dû être heureux quand il vous a vue ?
Oui, oui (elle insiste). Il était très heureux. Nous avons beaucoup discuté et il m’a donné beaucoup d’argent, comme je vous l’ai dit tantôt.
Quelle a été sa réaction quand vous lui avez fait part de votre rêve ?
Il m’a dit qu’il voulait vraiment faire le déplacement à Halwar, mais qu’il était trop pris par les affaires de l’Etat. Mais il m’a promis qu’il s’y rendrait quand il aura un peu de temps libre. J’ai insisté en lui disant que ce serait bien qu’il aille voir Thierno Mamour Tall.
Mais il n’y a pas que Macky qui vous a abandonnée. Son frère, Aliou Sall, le nouveau président de l’Association des maires du Sénégal, ne vient plus vous voir, non plus…
(Elle interrompt et lance, en plaisantant) Aliou, lui, c’est un voyou. C’est l’ami de Ndèye Penda. A une époque, sa maman (Coumba Thimbo) me disait même de la donner en mariage à Aliou, tellement Ndèye Penda et lui étaient complices. D’ailleurs, c’est l’attitude de Aliou qui m’a le plus déçue. Contrairement à Macky, toujours calme, Aliou était plutôt agité. C’était un vrai chambreur. Il mettait de l’animation dans la maison. Il venait très souvent me dire de demander aux femmes de mettre un peu plus d’huile dans les repas. Il aimait le «Cebu Jën» (riz au poisson) riche en huile et en légumes. Et on accédait presque à toutes ses demandes. Plus que les autres, j’aimais Aliou d’un amour incommensurable.
Qu’est-ce qui vous a le plus marquée chez Aliou Sall ?
Son intelligence. A la différence de Macky, qui était calme et toujours propre sur lui, Aliou était un «monsieur tout le monde», un excellent élève, que la politique a failli sortir des rangs. L’autre jour, j’ai entendu à la télé des gens dire que c’est grâce à Macky qu’il est devenu ce qu’il est. Je dis que non. Tous les deux sont passés sous mon toit et je les connais assez. Aliou n’a jamais dépendu de Macky. Comme je vous l’ai dit, c’est un garçon très dégourdi, un homme ouvert, qui s’est toujours fait beaucoup d’amis. Je peux dire même qu’il est populiste et en politique, son caractère peut aider à réussir beaucoup de choses.
Vous l’avez dit tantôt : «la politique a failli avoir raison de ses études» et d’ailleurs, quand vous l’accueilliez, il était déjà exclu du lycée de Fatick. Comment…
(Elle interrompt) On a dû, très tôt, régler cette affaire. Je ne sais plus si c’était le jour même de son arrivée ou le lendemain, mais il a eu une discussion franche avec mon mari, Samba Ndiaye. Il l’a fait appeler et lui a dit ouvertement que s’il a été accepté à la maison, c’était pour des études et non pour faire de la politique. C’était sérieux. Je crois que Aliou a pris conscience de tout cela et, même s’il n’avait pas arrêté de faire de la politique, il consacrait plus de temps à ses études. Comme avec moi, Aliou était aussi très proche de mon mari. Quand leur papa est décédé, mon mari est allé aux funérailles à Fatick et en discutant avec Aliou, il lui a dit : «Voilà ce que je te disais à propos des longues études que vous voulez mener. Votre papa est décédé, sans vraiment goûter aux fruits de votre labeur.» Aliou lui a répondu : «C’est vrai que notre papa est décédé, mais vous, vous êtes encore là et tout ce qui devait revenir à notre papa vous reviendra un jour.» Ces propos ont marqué mon mari jusqu’à sa mort. Malheureusement, ni Macky ni Aliou ne viennent plus me voir. Je les comprends, mais je souffre énormément de cela. Encore une fois, ce n’est pas pour de l’argent, mais juste pour le bonheur que ça me procurerait de les revoir, des années après leur départ de chez moi.
Récemment, lors d’une interview avec lui, dans une suite au l’hôtel King Fahd, ex-Méridien Président de Dakar, Aliou Sall disait que la seule contradiction entre vous, c’est le fait que vous aimiez le réveiller le matin pour qu’il prennent son petit déj’ avant d’aller à l’école et que lui il préférait dormir…
(Elle rigole) Exactement, je n’ai jamais voulu qu’il aille à l’école sans manger. Mais lui, avait la sale habitude de ne pas prendre son petit déjeuner. Cela, je ne pouvais le supporter. J’entrais tous les matins dans sa chambre pour le réveiller, mais c’était quand même très rare de le voir se lever. Il restait au lit jusqu’à cinq minutes avant l’heure, pour se lever et tout faire dans la précipitation. D’ailleurs, un jour, un voleur lui a joué un sale coup. Aliou avait l’habitude de laver, chaque soir, son pantalon jean qu’il portait le lendemain pour aller à l’école. Mais ce matin-là, le voleur a dérobé son pantalon et une de ses chemises, je crois. Et quand Aliou est allé chercher son pantalon, il est revenu presque en pleurs. Quand mon mari lui a demandé ce qui lui était arrivé, il lui a dit : «Papa Samba, le voleur s’est trompé de cible. Il m’a pris le seul pantalon qui me restait.» J’ai rigolé, avant d’aller lui chercher des habits.
Vous lui avez donné les habits de votre mari ?
Non. Je lui ai donné des habits neufs. Je vous l’ai déjà dit que j’étais commerçante. J’allais en Gambie acheter des marchandises que je revendais à Dakar.
On voit que Aliou était votre préféré?
Oui. C’est pourquoi je souffre de ne plus le revoir. Si j’avais les moyens qu’il a aujourd’hui, je ne passerais jamais une journée sans l’entendre, ne serait-ce qu’au téléphone. C’est pareil avec Macky. Ce sont mes enfants. Ils font partie de moi. Souvent, j’ai honte quand le voisinage me demande si j’ai des nouvelles de Macky ou de Aliou. A mon âge, je suis obligée de leur mentir ! Je leur dit qu’ils m’ont appelée hier ou avant-hier. Je n’ose pas leur dire qu’ils sont passés me voir, parce que tout le monde saurait que je raconte des salades, qu’ils ne sont pas venus. Je ne le fais pas pour garder une certaine dignité, mais parce que je ne supporte pas qu’on dise du mal de Macky, de Aliou ou de qui que ce soit.
Ce que vous dites est vraiment triste…
Oui, mais c’est la vérité. Aliou, je ne l’ai plus revu depuis son départ de la maison. C’était en 1991 ou 1992. Je ne sais plus. Entre-temps, il a fait l’Université, il a trouvé du travail, s’est marié a eu des enfants. Récemment, j’ai même entendu qu’il a épousé une deuxième femme. Mais je n’en suis pas sûre, parce qu’il ne m’a rien dit. Je ne connais même pas sa première femme. Aliou, c’est un voyou. Un jour, j’ai acheté du crédit pour lui parler. Mais Ndèye Penda l’a appelé à plusieurs reprises pour me le passer, en vain. Je suis sûre qu’il a vu le numéro, mais peut-être qu’il ne le connaissait pas. En tout cas, il n’a pas décroché. Sa fille, Ndèye Penda Ndiaye, intervient de nouveau : «Après, je lui ai envoyé un texto pour lui dire que les grands hommes n’oublient jamais leur passé. Il m’a renvoyé un texto, en disant : «ma sœur, je ne vous oublierai jamais. C’est juste que je suis trop pris.» Je n’ai pas réagi à sa réponse, j’ai juste supprimé son numéro de mon téléphone. Parce que j’ai compris qu’il voulait réduire toutes ces années qu’on a vécues ensemble à une question d’argent. Aliou ne peut pas m’offrir ce que Dieu ne m’a pas donné.» Sa maman reprend la parole. Il faut comprendre Ndèye Penda, c’est une querelleuse, mais elle est très attachée à Macky et Aliou. Comme nous tous ici. Nous félicitons de leur réussite et souffrons de leurs échecs.
Si vous aviez une demande à faire à Macky ou à Aliou Sall… ?
Qu’ils se souviennent juste de moi. Je suis vivante, je ne suis pas encore morte. Qu’ils n’oublient pas notre pacte.
Vous ne voulez pas qu’ils vous assistent financièrement ?
Je ne leur demande pas de l’aide, mais s’ils m’offrent de l’argent, je le prendrais, volontiers. Ce sont mes enfants. Je ne leur demande pas de l’argent, mais je serais la dame la plus heureuse de la terre, s’ils passaient me voir. Je n’écrirai jamais de lettre pour leur demander de l’aide. Ils connaissent ma situation. Ils savent où est-ce qu’ils m’avaient laissée. Ils connaissent le chemin de la maison.
Mais votre maison est aujourd’hui délabrée, vous ne voulez pas que Macky la réfectionne ?
Ecoutez, je vous l’ai déjà dit. Macky ou Aliou, chacun d’eux connaît la maison. Ils l’ont laissée en l’état. Ils connaissent cette demeure autant que moi. S’ils viennent ou envoient quelqu’un la réfectionner, j’en serais très heureuse. Je suis leur maman et la maison est la leur. Pendant l’hivernage, la maison est envahie par les eaux. Et j’en souffre. Ce n’était pas qu’à moi que cette situation devrait faire mal, eux aussi peuvent en prendre pour leur grade. Ça peut écorner leur image, parce que je fais partie de leur vie, de leur trajectoire. J’espère qu’ils viendront à mes funérailles parce que je suis au crépuscule de ma vie (…) Ce garçon que vous voyez là (elle le montre du doigt) est mon petit-fils. Il a fait sa formation en électricité et tout. Il a fait un stage à la Senelec, mais n’a pas été retenu. Et quand il parle de sa situation, on lui dit que son oncle est le président de la République du Sénégal… Le garçon intervient : «Certains de mes amis me disent qu’il y a forcément quelque chose qui fait que les Macky et Aliou Sall ne viennent plus à la maison. Ils me disent que, peut-être, ils ont été maltraités par ma grand-mère. Mais je ne crois pas.» Sa grand-mère, reprend la parole, en jurant : Je n’ai jamais fait du mal à Macky ou à Aliou. Je les ai entretenus du mieux que je pouvais.
La Première dame, Marième Faye Sall, est connue pour ses largesses et sa promptitude à suppléer son mari. C’est elle-même, dit-on, qui s’occupe des amis de son mari, qui est aujourd’hui très occupé. Est-elle venue vous voir ?
Non, du tout. Je pense, mais je peux me tromper, la dernière fois que Marième Faye a mis les pieds chez moi, c’était juste après la mort de mon mari. Au début des années 2000. Sinon, elle n’est jamais revenue me voir. Je ne connais ni les enfants de Macky ni ceux de Aliou. Ils ne m’auraient pas reconnue s’ils rencontraient dans la rue. On m’a dit que Marième Faye vient souvent à Kaolack pour voir sa famille, je ne sais pas si c’est vrai, mais elle n’est jamais passée me voir, même pas un petit crochet. Pourtant, cela m’aurait fait honneur et procuré beaucoup de bonheur si la femme de Aliou ou de Macky passait me voir. Mais, comme eux-mêmes ne viennent plus, je ne peux pas en faire le reproche à leurs femmes respectives.
L'OBSERVATEUR
Abdoul Aziz Diop
Voir les commentaires