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Opinion

Affaire Karim Wade: UN PROCÈS CONTROVERSÉ Par Saliou Guèye


Lundi 23 Février 2015

De l’exhumation de la Crei au réquisitoire du procureur, en passant par les péripéties de l’instruction, SenePlus.Com retrace les étapes de l’affaire Karim Wade dont l’épilogue est annoncé pour le 23 mars prochain avec le verdict du jugement

Après six mois et dix-neuf jours d’audience, nous voici à l’épilogue du procès spécial de Karim Wade, embastillé depuis le 15 avril 2013 pour le délit d’enrichissement illicite avec 9 autres accusés de complicité. Jamais procès n’aura mobilisé autant de monde, captivé les médias et soulevé les passions. Mais pour comprendre le pourquoi de tout cela, il va falloir évoquer chronologiquement quelques-unes de ces péripéties qui ont poussé le Parquet spécial à requérir des peines carcérales et pécuniaires auxquelles s’ajoute la peine complémentaire relative à la déchéance de droits civils, civiques et politiques.

Exhumation de la CREI

Tout est parti du conseil des ministres du jeudi 10 mai 2012. Dans sa volonté de lutter contre l’enrichissement illicite et de promouvoir une gouvernance vertueuse, le président de la République, Macky Sall, réactive la Cour de répression et de l’enrichissement illicite (CREI), créée par la loi 81-54 du 10 juillet 1981. Ainsi par le décret n°2012-502 du 10 mai 2012, il nomme les cinq membres du Siège, les deux du Parquet et les quatre de la Commission d’instruction.

En juillet 2012, le procureur spécial Alioune Ndao, lors d’un point de presse, lance la traque aux «voleurs» des biens publics en ciblant 25 dignitaires libéraux qui ont eu à exercer des responsabilités publiques sous le régime du Président Abdoulaye Wade. Mais au finish, seules sept personnalités, dont Oumar Sarr, Abdoulaye Baldé, Samuel Sarr, Madické Niang, Ousmane Ngom et Karim Wade, ont été inquiétées. Mais celui qui a polarisé le plus les attentions, c’est le fils de l’ancien président de la République, ancien ministre de la Coopération internationale, de l’Aménagement du territoire, des Transports aériens et des Infrastructures.

Préliminaires

Karim Wade est le premier à être passé sous le feu des questions du procureur spécial, Alioune Ndao, et des enquêteurs de la Section de recherches de la gendarmerie de Colobane dont le patron est le commandant Cheikh Sarr. Ainsi, mardi 3 juillet 2012, Karim Wade est convoqué pour la première fois par la Section de recherches de la gendarmerie de Colobane avant d’y retourner deux jours plus tard pour audition.

Le 2 août 2012, le procureur spécial adresse une interdiction de sortie du territoire national à Karim Wade et aux six autres dignitaires de l’ancien régime visés par la traque aux biens mal acquis. D’ailleurs cette décision, qualifiée d’arbitraire par les conseils de Karim Wade, pousse ces derniers à déposer un recours à la Cour de justice de la CEDEAO, laquelle, dans un arrêt rendu le 22 février 2013, leur donne raison en stipulant que l’interdiction de sortie du territoire «n’avait pas de base légale» et que le procureur spécial violait ainsi la présomption d’innocence.

Le 8 novembre 2012, Alioune Ndao et son adjoint, Antoine Félix Abdoulaye Diome, tiennent une conférence de presse pour livrer les noms des sept personnalités ciblées par les enquêtes et annoncer que Karim Wade aurait détourné la somme de 694 milliards avec la complicité supposée de 9 prête-noms pour des sociétés réelles ou fictives. Ils soulignent qu’une bonne partie de cet argent est planqué dans des comptes off-shore.

Les 15 et 22 novembre 2012, le fils de Wade repasse à la Section de Recherche de la gendarmerie. Le 15 mars 2013, le procureur spécial près la CREI sert à Karim Wade une mise en demeure, lui intimant de prouver, sous 30 jours, la licéité du patrimoine de 694 milliards qu’on lui attribue.

Un mois plus tard, le 15 avril, les avocats de Karim Wade déposent sur la table d’Alioune Ndao un document de plusieurs milliers de pages pour réfuter la paternité des biens qu’on attribue à leur client. Trente minutes après lecture de ce document volumineux, le procureur spécial, non satisfait des preuves fournies par Karim, le place sous mandat de dépôt, avant de saisir la Commission d’instruction conformément à l’alinéa 6 de l’article 6 de la loi créant la CREI.

S’ensuivront les arrestations des supposés complices, en l’occurrence Ibrahima Aboukhalil Bourgi, Mamadou Pouye, Pierre Agbogba, Mbaye Ndiaye, Alioune Samba Diassé, Cheikh Diallo. Les autres prévenus, en fuite, Mballo Thiam, Mamadou Aïdara dit Vieux, Karim Abdou Khalil Bourgi, Evelyne Riout-Delatre, feront l’objet d’un mandat d’arrêt international.

Instruction

Le 13 septembre 2013, à deux jours de la fin de l’instruction de la Commission dirigée par le juge Cheikh Ahmed Tidiane Bèye, une seconde mise en demeure est servie à Karim Wade pour s’expliquer sur 99 milliards qui auraient été découverts à la Julius Baër Bank de Monaco. Cette mise en demeure est considérée par les avocats de l’ancien ministre comme une violation de la loi. Ils invoquent l’article 10 de la CREI qui stipule que «la durée de l’instruction préparatoire ne peut excéder six» et que «la procédure d’instruction est clôturée par un arrêt de non-lieu ou de renvoi qui saisit la CREI». Ainsi selon les conseils de Wade fils, au bout de ces six mois sans preuve de sa culpabilité, leur client devait bénéficier d’un non-lieu.

Le 6 février 2014, la chambre criminelle de la Cour suprême admet la recevabilité du recours des avocats de Karim Wade relative à l’anti-constitutionnalité de la CREI et à son incompétence à juger le ministre Karim Wade. Mais le procureur général près la Cour suprême avait introduit une requête en rabat d’arrêt demandant à la dite Cour d’annuler son arrêt n°23 du 6 février 2014 de la chambre criminelle, pour «erreur de procédure».

Le 5 mars 2014, le Conseil constitutionnel fustige l’attitude de la Cour suprême, lui reprochant d’avoir outrepassé ses prérogatives. «La Cour suprême a non seulement dépassé les limites de sa compétence, mais aussi et surtout a empiété sur celle du Conseil constitutionnel. Cette mission est expressément et exclusivement dévolue au Conseil constitutionnel à l’article 92 de la Constitution», ont martelé les Sages.

C’est le 13 mars 2014 qu’une ordonnance de renvoi est adressée par la Commission d’instruction à la CREI pour juger l’affaire Karim Wade. Et après 16 mois d’incarcération, plus précisément le 31 juillet 2014, débute le procès de l’ancien ministre et de ses co-accusés.

Le 19 août, la Cour suprême déboute les avocats de Karim en revenant sur la décision rendue par la chambre criminelle le 6 février.

Jugement

On notera que près de 50 exceptions de nullité furent soulevées par la défense pour rendre nulle la procédure de jugement. Des incidents réguliers et des images comme Ibrahima Aboukhalil dit Bibo Bourgi conduit au tribunal sur une civière aux fins de comparaître entacheront le procès. La partialité du juge Henri Grégoire décriée par les conseils de Karim les incitera à le récuser, invoquant l’article 651 du code pénal. Mais ils seront déboutés par la Cour suprême.

Le 11 novembre 2014, en pleine audience, la RFM annonce le limogeage du procureur spécial Alioune Ndao. Ce qui laisse croire que la main de l’Exécutif pilote le procès aux relents politiques. Ce limogeage d’un membre de la CREI fut suivi par la démission, le 22 janvier 2015, d’un autre membre de ladite juridiction en la personne de l’assesseur Amadou Yaya Bâ. Ce qui n’est pas pour démentir ceux qui taxent le président de la CREI d’autoritaire.

Mais auparavant, le 14 janvier, Me El Hadj Amadou Sall a été expulsé de la salle d’audience et son client, Karim Wade, menotté et blessé au genou, est conduit de force à la barre pour comparaître. La coupe de l’arbitraire est pleine pour les avocats de l’ancien ministre qui décident de bouder le procès définitivement. Mais même convaincus par le bâtonnier pour continuer à plaider, ils ne peuvent plus assister au procès puisque leur client a décidé de ne plus comparaitre.

Cette attitude des avocats de Karim Wade, de Bibo et de Mamadou Pouye, qualifiée de lâche par le parquet et la partie civile, est incompréhensible quand certains d’entre eux font des médias leur prétoire ou leurs murs de lamentations. L’un d’entre eux, Me Ciré Clédor Ly, toujours présent au fond de la travée réservée au public, ne s’empêchait pas de glisser subrepticement des notes à la moindre suspension d’audience. Et cela a desservi leurs clients qui, après avoir livré leur auto-plaidoirie, n’ont pas pu résister au sévère réquisitoire du perspicace procureur spécial adjoint.

Toutefois il est nécessaire de démontrer que le juge Henri Grégoire, qui assure la police de l’audience, selon l’article 389 du code de procédure pénale, a fait une mauvaise appréciation de l’article 390 qui dit que «lorsque, à l’audience, l’un des assistants trouble l’ordre de quelque manière que ce soit, le président ordonne son expulsion de la salle d’audience». Or Me Sall n’était pas présent au tribunal en qualité d’assistant public mais de défenseur d’un prévenu. Donc il fait partie du personnel judiciaire qui doit conduire le procès au même titre que le président de la CREI, ses assesseurs, les procureurs spéciaux et les avocats de partie civile, les greffiers et les huissiers.

Concernant la brutalité commise sur le prévenu Karim Wade, là aussi, le juge Henri Grégoire a fait une mauvaise application de l’article 395 du code de procédure pénale qui dit qu’«au jour indiqué pour la comparution à l’audience, le prévenu en état de détention y est conduit par la force publique» mais pas de force par la force publique composée par la gendarmerie ou la police nationale. D’ailleurs, l’article 398 alinéa 4 qui stipule que «le prévenu qui ne répond pas à l’invitation de comparaitre est réputé jugé contradictoirement, sans que son défenseur puisse alors être entendu» ne lui donne pas le droit de contraindre un prévenu aux fins de comparution.

C’est dans cette atmosphère au goût d’inachevé que se sont achevées les plaidoiries des avocats des deux parties et les réquisitions du Ministère public le 19 février dernier. Les peines carcérales et pécuniaires varient d’un prévenu ou d’un groupe de prévenus à l’autre. Pour Karim Wade, il est requis sept ans avec 250 milliards d’amende ainsi que la confiscation de ses biens. Il est, en sus, requis une peine complémentaire sur la base de l’article 34 du code pénal qui stipule que «les tribunaux jugeant correctionnellement pourront, dans certains cas, interdire, en tout ou en partie, l'exercice de droits civiques, civils suivants : de vote d'éligibilité, d'être appelé ou nommé aux fonctions publiques ou aux emplois de l'administration ou d'exercer ces fonctions ou emplois».

Des peines carcérales légèrement différentes sont requises pour les 9 autres prévenus. La peine pécuniaire est requise pour tous les accusés de même que l’application de l’article 34 du code pénal, excepté pour le Béninois Pierre Agbogba.

Mais il y a lieu de préciser que, même si certains ont encore dénoncé ce procès à connotation politique après le réquisitoire du parquet et vaticiné sur le délibéré du 23 mars prochain, le procureur n’a donné que son avis sur la culpabilité de ceux qui jusque-là sont inculpés, et donc bien sûr encore présumés innocents. Et ce dernier propose la peine qu’il pense juste. La peine requise n’est pas une décision de justice, par conséquent le dernier mot revient au collège des juges de la CREI qui décidera du sort de Karim Wade et compagnie.

ENQUETE





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