Médias

Affaire Charlie Hebdo : au-delà de l’émotion et de l’indignation


Vendredi 9 Janvier 2015

Dans une contribution envoyée à la Rédaction de iGFM relative à l’attentat contre le journal satirique français Charlie Hebo qui a coûté la vie à 12 personnes dont 10 journalistes parmi lesquels son directeur, le journaliste du quotidien gouvernemental, Modou Manoune Faye, récuse l’hypocrisie consensuelle et rappelle des principes qui nous font dire : « je ne suis pas Charlie » ni dans l’être ni dans l’action. Ci-dessous sa contribution.
Par Modou Mamoune FAYE

« Le mercredi 7 janvier 2015, une vague d’émotion a saisi le monde après l’attaque lâche et barbare contre les locaux de l’hebdomadaire satirique français Charlie Hebdo qui a fait douze morts (parmi lesquels les dessinateurs Cabu, Charb, Wolinski, Tignous et l’économiste et chroniqueur Bernard Maris) et de nombreux blessés. Tout homme épris de liberté doit condamner, énergiquement, une telle action car personne n’a le droit d’ôter la vie d’un être humain.
Dans un monde où la haine et l’extrémisme gagnent chaque jour du terrain, cet acte terroriste vient nous rappeler l’extrême fragilité de notre existence et, surtout, la montée des périls qui menace le socle sur lequel repose l’Humanité. Un socle quotidiennement ébranlé à cause des rudes coups que lui portent deux extrémismes : le camp des fanatiques qui manipulent les croyances pour s’attaquer à ceux qui ne pensent pas comme eux et celui des illuminés qui se cramponnent à la liberté d’expression pour écrire, dire ou montrer tout ce qui leur passe par l’esprit, sans penser aux fâcheuses conséquences que cela pourrait engendrer.
L’attaque des locaux de Charlie Hebdo et l’assassinat de ses journalistes est sans doute la conséquence de la confrontation entre ces deux camps. Les premiers affirment que leur foi a été bafouée tandis les seconds ont la fâcheuse manie de s’amuser avec ce que les autres ont de plus sacré : la foi et la croyance.
Les extrémistes qui ont mené l’expédition mortelle de mercredi dernier disent agir au nom de l’Islam (une religion qui, pourtant, symbolise la paix et la tolérance), tandis que, face à eux, se dressent ceux qui se sont proclamés « fantassins de la liberté d’expression » et se donnent le droit d’insulter la croyance religieuse des autres.
Et ce qui devait arriver arriva. Pourtant, on aurait pu éviter ce drame si, de chaque côté, on avait fait preuve de retenue et de moins d’arrogance. En notre qualité de journaliste et de défenseur acharné des libertés, nous sommes de tout cœur avec les confrères qui ont perdu la vie.
Cependant, au-delà de l’émotion collective et des indignations parfois sélectives, il faut se poser ces questions : Charlie Hebdo n’a-t-il pas poussé trop loin le bouchon de la provocation ? Que cherchaient ses journalistes et caricaturistes en dressant, dans de nombreux numéros, des portraits grossiers du Prophète Mohamed au point d’écœurer une grande majorité de musulmans ?
Agissent-ils au nom de la liberté d’expression ou sont-ils simplement motivés par l’appât du gain qui pourrait résulter des ventes de leurs publications, à l’image de ce fameux numéro de février 2006 dans lequel Charlie Hebdo reprit les caricatures du journal danois Jyllands-Posten, ce qui lui permit de vendre 400.000 exemplaires alors qu’il parvenait à peine à écouler son tirage normal de 140.000 exemplaires ?
Il est vrai que Charlie Hebdo n’épargne personne. Ses caricaturistes « croquent » tout le monde : hommes politiques, musulmans, catholiques, juifs, etc. D’ailleurs, à ses débuts, le journal avait été traîné en justice par la Licra (Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme) qui s’était indignée de la manière dont avait été évoquée la visite à Tel-Aviv du président égyptien Anouar El Sadate.
Cependant, force est de reconnaître que, depuis quelques années, il y a comme un « acharnement » de Charlie Hebdo sur l’Islam avec des « Une » tout aussi nauséabondes les unes que les autres.
D’aucuns disent même que la religion musulmane et le Prophète Mohamed sont devenus le fonds de commerce de l’hebdomadaire satirique français. Disons-le tout net : personne n’a le droit, au nom de la liberté d’expression, d’offenser ou de ridiculiser un Prophète qui, depuis des siècles, symbolise la foi de centaines de millions de croyants. D’autant plus que certaines caricatures de Charlie Hebdo sur le Prophète Mohamed sont franchement ridicules, bêtes, méchantes et n’ont aucune valeur informationnelle.
Ce qui est déplorable est que cette « audace » de Charlie Hebdo est, hélas, parfois encouragée par les autorités françaises, en dépit des protestations des musulmans à travers le monde et des plaintes d’associations confessionnelles.
En effet en mars 2006, un mois après la publication des caricatures du Prophète Mohamed, une cérémonie spéciale dédiée aux dessins de presse avait été organisée par le ministère de la Culture. A cette occasion, les autorités françaises saluèrent l’audace et le courage dont firent preuve les dessinateurs Cabu, Wolinski, Charb et les autres en caricaturant vulgairement le Prophète de l’Islam.
A l’époque, le directeur de cabinet du ministère de la Culture, Henri Paul, avait même insisté sur leur statut « d’acteurs de la liberté » et annoncé la mise sur pied d’une « mission pour la conservation et la valorisation du dessin de presse » dont le parrain n’était autre que Wolinski, figure emblématique de Charlie Hebdo.
Pourtant, en revisitant l’histoire de Charlie Hebdo, on se rend compte que ses dirigeants savent parfois, si ça les arrange, faire preuve de « fermeté » lorsqu’un membre de la rédaction ose commettre des « fautes déontologiques ».
Ainsi, en juillet 2008, le journal n’avait pas hésité à licencier Siné, l’un de ses plus talentueux collaborateurs, lorsque ce dernier publia un article jugé antisémite et refusa de présenter des excuses comme le lui demandait Philippe Val, alors directeur du journal.
L’article de Siné faisait allusion aux fiançailles de Jean Sarkozy (fils de Nicolas Sarkozy) avec une héritière du groupe Darty, qui est de confession juive. L’affaire avait entraîné une vive polémique au sein de la rédaction et suscité la désapprobation d’éminents chroniqueurs tels que Michel Polac.
Alors deux questions : pourquoi ce qui est valable pour une religion ne l’est pas pour une autre ? L’honneur du fils de Sarkozy est-il plus important que celui de centaines de millions de musulmans dont le Prophète est régulièrement caricaturé dans les colonnes de Charlie Hebdo ?
La liberté d’expression ne rime pas avec la liberté d’insulter et de tourner en dérision la religion d’autrui, quelle que soit cette religion. Dans ce monde instable où nous vivons, nul n’a le droit de tout désacraliser au nom de la liberté. Si tout est désacralisé, l’Humanité perdrait toute sa raison d’exister et les hommes ne seraient alors que des âmes tourmentées, désincarnées et exposées à toutes sortes de dérives.
Nous devons alors nous départir de l’hypocrisie ambiante, de l’indignation sélective et dire les choses telles qu’elles sont : en France et dans certains pays d’Europe, une campagne d’islamophobie et de xénophobie est insidieusement menée par des intellectuels comme Alain Finkielkraut, Michel Houellebecq, Eric Zemmour, etc., avec la complicité de médias qui distillent la haine au sein de leurs sociétés.

Post scriptum : Rappelons que Charlie Hebdo est né des cendres de Hara Kiri, un hebdomadaire satirique créé au début des années 1960 et interdit le 17 novembre 1970 par le ministre français de l’Intérieur, Raymond Marcellin. L’interdiction avait été motivée par la publication d’un numéro titré : « Bal tragique à Colombey : un mort ».
Le titre faisait référence au décès du général Charles de Gaulle, le 9 novembre 1970, dans sa propriété de Colombey-les-Deux-Églises. L’hebdomadaire satirique Charlie Hebdo fut lancé une semaine après la disparition de Hara Kiri et d’aucuns affirment que son nom avait été expressément choisi par allusion à celui du défunt général et dirigeant français. Tout cela montre que Charlie Hebdo s’inscrit en droite ligne d’une tradition de journalisme satirique « bête et méchant » symbolisé par Hara Kiri.

GFM



Abdoul Aziz Diop