Affaire Alcaly Cissé: La vérité du dossier judiciaire
Jeudi 24 Septembre 2015
De l’affaire de l’ancien député libéral, Alcaly Cissé, le grand public ne connaît qu’une seule version : c’est un homme d’affaires sénégalais qui a escroqué un milliardaire arabe et qui s’est retrouvé en prison, menacé de mort dans le royaume saoudien. À force d’être répété à tout bout de champ, «ce récit fabriqué» est devenu officiel. Derrière ce qui a été dit jusque là sur l’affaire, la Tribune a enquêté.
C’est dans les années de 2000 que l’opinion nationale sénégalaise a été, pour la première fois, interpellé par ce qu’il est convenu de nommer l’affaire Alcaly Cissé, du nom de ce compatriote, marabout homme d’affaires et proche du camp libéral. Se plaignant d’avoir été escroqué par M. Cissé, Aly Azzouz, un citoyen saoudien, avait porté plainte auprès de la justice sénégalaise. Dans ses griefs, le Saoudien avait soutenu que le Sénégalais avait promis de lui vendre les forets de Casamance –sans les rebelles bien sûr- de la Côte d’Ivoire et du Ghana. «Il m’a accueilli dans une grande résidence à Dakar, à Louga et dans son village de Casamance où il m’a fait croire qu’il serait un prince. Et que toutes ces forets lui appartenaient», avait déclaré le plaignant. Ayant couvert cet événement, en son temps, le journal le Témoin avait soutenu que l’homme d’affaires sénégalais «avait voyagé avec son hôte, à bord d’un hélicoptère. Et, à la vue de l’engin volant, les villageois étaient venus saluer Alcaly Cissé, en se mettant à genou devant lui».
Tombé sous les charmes du Sénégalais Mouhamed Aly Azzouz a déclaré avoir donné plus de 2 milliards de CFA à Alcaly contre ses forets. C’est sur la base de ces accusations –portées sur procès verbal- que le marabout a été jugé et relaxé par le tribunal sénégalais. Car, «même si on n’a jamais mis les pieds en Mauritanie, aucun être humain jouissant de son esprit ne peut imaginer un Maure propriétaire des dunes du Sahara et capable de vendre les sables du désert» soutient un rictus au coin des lèvres, Me Abdoulaye Tine, le nouvel avocat du détenu. Comme «il est impensable qu’un milliardaire saoudien se lève un jour et accuse Mbaye Pekh ou Abdoualye Willane» –pour emprunter ses personnages à Pape Ndiaye du Témoin, dans son article paru en 2014. «Entre ces deux hommes, reconnaît un homme d’affaires sénégalais qui a requis l’anonymat, il y a bel et bien une opération financière. Mais elle est loin du scénario rocambolesque livré au public».
En service à la Division des investigations criminelles de Dakar, au moment des faits, c’est un officier de police judiciaire ayant participé à l’enquête préliminaire qui va nous en dire plus. «Nous avons reçu 3 versions dans cette affaire. Premièrement, Azzouz avait déclaré qu’il a remis plus de 2 milliards de CFA à Alcaly Cissé pour compléter l’achat d’un immeuble à la Mecque. Il ne nous a jamais présenté aucune preuve de cette transaction. Ensuite, il a déclaré lui avoir remis 10% d’un chèque de 50 millions de Dollars, idem. Enfin, il nous a sorti cette histoire de forets à vendre à laquelle même nous, enquêteurs, ne croyions pas».
Face à une telle inconstance, les accusations du milliardaire saoudien avaient dès lors peu de chances d’être retenues contre M. Cissé. Malgré tout, il sera déféré et le paquet qui s’est saisi du dossier l’a inculpé et demandé au tribunal de trancher. «Mais, face aux incohérences de l’accusation le tribunal n’avait de choix que de prononcer le non-lieu». Soutient-on du côté de la justice sénégalaise.
Relaxé par le tribunal sénégalais, c’est la justice saoudienne qui a décidé d’entendre le mis en cause; même si le droit international interdit de juger une personne deux fois pour les mêmes faits. Interpellé par nos soins, un membre de la famille de l’ancien député sénégalais reconnaît tout même l’existence d’une relation financière entre M. Cissé et le Saoudien. S’il balaie d’un revers de main le prêt d’argent accordé à son père pour acheter un immeuble devant servir à l’accueil de pèlerins sénégalais à la Mecque, il reconnaît le deal qui aurait permis à son père de toucher les 10% d’une transaction financière qui ne s’est jamais faite.
«Il s’agit d’un chèque qu’un Sénégalais leur avait remis afin qu’il l’aide à l’encaisser. Mon père est allé avec eux à Dubaï où M. Azzouz avait un ami qui travaillait dans une banque. Mais, ce dernier leur a fait savoir qu’il ne pouvait pas le faire. Alors, ils sont revenus en France, ensuite ils sont partis en Espagne pour essayer de l’encaisser. Mais ils ne sont jamais parvenus à le faire. Alors, si ce sont les 10% de ce chèque qu’il lui réclame, mon père n’a jamais rien reçu».
Ce Sénégalais qui dit avoir tourné cette page de sa vie et demandé l’anonymat, nous l’avons contacté à Dakar où vit après avoir séjourné à Londres. Il soutient s’être rendu à la DIC et avoir remis ce fameux Travel check aux enquêteurs pour leur montrer qu’il n’a jamais été débité. «Alors, puisque mon chèque n’a jamais été encaissé, comment pouvaient-ils se partager les 10% ?», se demande-t-il toujours. La piste évoquée de la vente des forets avait elle aussi été fragilisée par des résultats d’investigations commanditées par la partie civile.
Des enquêteurs commis par l’avocat français de Mouhamed Aly Azzouz avaient fait des recherches pour comprendre l’itinéraire de Alcaly avec le Saoudien, en terre ivoirienne. «Mais, nous avons découvert que M. Cissé ne s’est pas rendu en Côte d’Ivoire depuis plus de 20 ans. Alors pour nous, ils l’ont certainement amené dans un coin de la foret africaine et lui ont fait croire qu’ils étaient en Côte d’Ivoire». Soutient une source proche du plaignant.
Aussi, des recherches effectuées auprès des compagnies de location d’hélicoptères pour faire la lumière sur ce fameux vol vers le village de Alcaly Cissé ont été vaines. Toutes choses qui n’ont pas milité en faveur du plaignant.
«Ce qui nous oppose, avait déclaré M. Alcaly Cissé, c’est qu’il avait besoin de prières de marabouts. Il était en difficulté avec la famille royale et avait besoin de prières pour faciliter ses relations avec elle. Et c’est dans ce cadre que je l’ai mis en relation avec de nombreux marabouts dont certains sont encore vivants.» Alors, voyant que les prières qu’il aurait chèrement payées n’ont pas été exaucées et soutenues par des «adversaires tapis dans l’ombre», le Saoudien aurait-il décidé de réclamer son argent ; au point de créer des histoires farfelues ?
En tout état de cause, un document signé par les deux parties et portant des présumées empreintes digitales de Aly Azzouz nous a été présenté. Sur ce document, le signataire sollicite en anglais et en arabe des prières de marabouts pour faciliter ses relations avec la famille royale qui confisquerait ses terres et des biens appartenant à sa famille.
SENEWEB
Abdoul Aziz Diop
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