AVANT "CHARLIE HEBDO"…
Cabu, Charb, Wolinski et Tignous, tués dans l’attaque du siège du satirique français, ne sont pas les premiers caricaturistes à avoir été victimes de leur liberté de ton
Que l’on soit d’ici ou d’ailleurs, l’attentat contre les locaux de l’hebdomadaire satirique français Charlie Hebdo, de ce mercredi 7 janvier, fait la Une de nombreux journaux. Quatre des dessinateurs de la rédaction ont trouvé la mort dans cette attaque. Mais Cabu, Charb, Wolinski et Tignous n’étaient pas les premiers. Quand on fouille un peu dans l’histoire plus ou moins récente de la caricature, on trouve quelques faits plus ou moins similaires. Des "crayons" brisés, déformés, il y en a eu. Que ce soit pour des motifs religieux ou pour des raisons politiques. Et par la menace, l’exil, la torture, l’assassinat, etc.
De tous les caricaturistes, le palestinien Naji al-Ali est l’un des premiers à avoir creusé sa tombe, à coups de crayon, victime d’une balle en pleine tête qui lui sera fatale. Il mourra un mois après cette agression. Nous sommes en 1987, et Naji al-Ali se trouve alors à Londres où il s’est installé, après son expulsion du Koweït. Il faut dire que ses dessins n’étaient pas du goût de tout le monde. Mais Handala (que traduit le mot "amertume"), le personnage qu’il avait créé, était devenu le symbole de son combat pour la résistance à l’occupation israélienne.
En Iran, au début des années 1990, les caricaturistes sont loin d’être en danger. C’est à l’époque du Président de la République islamique d’Iran Mohammad Khatami. Il souffle dans le pays un vent d’audace, parce que Khatami accorde un certain nombre de licences de presse. Moins de 10 ans plus tard, l’ayatollah Ali Khamenei fait appliquer un certain nombre de mesures contre la liberté d’expression. Les caricaturistes sont concernés. Nikahang Kowsar en fera les frais. Dans ses dessins, Mullah Mesbah, un leader religieux ultra-conservateur, apparaît sous les traits d’un alligator. Nikahang Kowsar est arrêté.
La prison, puis l’exil
Au cours de ces dernières années, ceux qui ont eu la malchance de tourner en dérision les hommes politiques, les hommes au pouvoir, se sont fait "sermonner". Certains d’entre eux se sont très vite retrouvés en prison. D’autres se résignent à devoir partir, partir loin de l’Iran. Le cas du dessinateur Mana Neyestani est assez particulier, parce que lui a dû subir ces deux épreuves.
En 2006, son dessin humoristique où il met en scène un cafard, passe difficilement. Ce personnage de son cartoon (dessins de presse, en anglais), qui s’exprime en dialecte azéri, celui d’une minorité du nord du pays, est très mal perçu, et on l’accuse de vouloir envenimer les relations entre l’Etat iranien et cette partie du pays où son dessin passe pour une insulte. Son séjour carcéral- il n’échappera pas à la prison- durera deux mois.
2009 est l’année de l’exil. Un exil avec plusieurs escales : la Turquie et la Malaisie entre autres, avant de se rendre en France où il vit aujourd’hui. En 2007, Lars Vilks, dessinateur sué- dois, avait vu sa tête mise à prix (100.000 dollars, 50 millions de francs Cfa) par un groupe irakien proche d’al-Qaïda, après une caricature du Prophète Mohammed (PSL). L’ambassadeur de Suède en Arabie Saoudite avait d’ailleurs dû présenter ses plates excuses à l’Organisation de la Conférence islamique (OCI), pour tenter de dissiper le malaise.
Le dessinateur algérien Ayoub Kader évoque lui aussi les menaces dont il fait l’objet de la part d’une "mafia religieuse". Ses dessins dénoncent ceux qui se servent de l’Islam comme d’un "fonds de commerce" ou comme d’une "arme". Dans certains milieux extrémistes, on appelle publiquement à son "assassinat". Lui, pour sauver sa peau, se montre peu et rase les murs.
Dessinateur contre Sniper
Kaïs al-Hilali, dessinateur libyen, est plutôt connu pour dessiner sur les murs ou sur le sol, en gros sur les places publiques, ce qui donne à son travail un cachet bien plus populaire que sur une page de journal. Conjuguons à l’imparfait, puisque Kaïs n’avait que 34 ans lorsqu’il trouva la mort en 2011 ; abattu par un sniper du régime de Mouammar Kadhafi qui n’appréciait pas son style, c’est le moins que l’on puisse dire.
Il y aura, la même année, le cas du dessinateur syrien Ali Ferzat, victime de représailles "symboliques", puisqu’il se fera taper sur les doigts, mais c’est un euphémisme parce qu’en fait, on les lui brisera, lui qui avait eu l’outrecuidance de défier le régime de Bachar El-Assad "Frappez-le aux mains pour qu’il arrête de dessiner et d’attaquer ses maîtres", disaient ses agresseurs. Dès le lendemain de cette attaque, sa photo faisait la Une de plusieurs journaux du Proche-Orient : une photo de lui prise sur son lit d’hôpital, le visage tuméfié et les mains bandées. L’image sera d’ailleurs détournée ou tournée en dérision par le dessinateur israélien Michel Kichka qui prêtera ces propos au personnage de Ferzat, représenté sur son dessin : "J’ai mal quand je ris. Mais quand je pense qu’Assad a peur d’un crayon, j’ai du mal à m’en empêcher."
Dans les pays du Golfe comme le Koweït, on se protège un peu comme on peut. La pratique veut que l’on ait plutôt recours à des dessins "muets" où les personnages ne s’expriment pas. Silence radio, ce qui permet d’éviter et la censure, et le piège d’une lecture orientée, et en fin de compte chacun peut penser ce qu’il veut de ce cartoon nu. Le cartooniste, lui, n’est "coupable" de rien. Certains dessinateurs, toutes régions confondues, sont même rompus à la pratique quotidienne de l’autocensure ; quand leur crayon "dérape", ils le brident.
Plus près de nous, au Cameroun, le caricaturiste Nyemb Popoli ne sera pas épargné par le régime du Président Paul Biya. En 2000, il s’exile en Afrique du Sud où il séjournera pendant 6 mois. Deux ans plus tard, voilà qu’une douzaine de policiers, membres du Groupement mobile d’intervention (GMI) de Douala s’en prennent à lui, le tabassent.
Le dessinateur sud-africain Jonathan Shapiro (il signe Zapiro), qui a d’abord commencé par militer contre l’apartheid, avant de toucher au dessin de presse, "sera détenu par les autorités" de son pays en 1988. Il s’envolera ensuite aux Etats-Unis, avant de rentrer au bercail en 1991. Fin 1980 au Bénin, Hector Sonon se faisait régulièrement censurer, pour ses dessins qui paraissaient dans l’hebdomadaire "La Gazette du golfe".
Certains par contre prennent plutôt bien les caricatures que l’on fait d’eux, l’ancien président tanzanien par exemple, Benjamin Mkapa. Voilà ce qu’il disait avec beaucoup d’autodérision : "Je n’arrive même pas à me souvenir de mon propre visage !" A force de s’être vu caricaturé, déformé, "croqué" comme on dit dans le jargon...
Mais c’est le propre de la caricature que d’être volontairement "chargée" ou à charge, et son étymologie italienne ne dit pas autre chose. Nous sommes dans la démesure, l’humour noir ou la blague acide, du poil à gratter, le trait excessif, l’exagération, le second degré, la dérision, l’esprit "mal tourné", beaucoup d’irrévérence et d’iconoclastie, et même parfois de la mauvaise foi qui s’assume. On aime, ou on n’aime pas..
SUD QUOTIDIEN