Opinion

AFFAIRE AÏDA NDIONGUE: 47 MILLIARDS ENCOFFRÉS AU MÉPRIS DE LA ZAKAT PAR IBE NIANG ARDO


Mercredi 12 Février 2014

Tel pense avoir gagné qui a souvent perdu" Mathurin Régnier (Poète)

Un milliard cent soixante-quinze millions de francs Cfa est le montant annuel imposé à un musulman, à titre de Zakat, pour des avoirs de 47 milliards, quand bien même cet argent serait licite. Cette obligation religieuse, quatrième pilier de l'Islam, devrait nous intéresser en tant que croyants, avant même la question de la licéité de cette fortune, dont on ne sait depuis combien de temps elle sommeille dans des coffres et comptes bancaires.

Pourtant dans ce pays qui se targue d'une population à 95% de musulmans, réputé pour ses cérémonies cultuelles sous des tentes sur la voie publique et ses tapages rituels nocturnes, aucune voix, pas même celle d'un Imam, n'a soulevé ce manquement grave, consécutif à l'affaire des milliards de Ndiongue.

Dans un pays où le minimum vital annuel n'atteint pas trois cent soixante mille francs, cette Zakat pouvait garantir à trois mille deux cent soixante huit (3268) pauvres, ce capital. Ici, où plusieurs villages manquent d'eau potable, une telle manne de Zakat pouvait doter nombre d'entre eux d'un forage et abreuver leurs habitants de cette précieuse denrée. Il y avait dans ce cas-ci, avec ce quatrième pilier de l'Islam de quoi impacter sur la pauvreté.

Je parie pourtant que l'accusée a eu à accomplir plus que de nécessité le cinquième pilier de l'Islam, qui est le pèlerinage à la Mecque et, aussi à gratifier de ce voyage beaucoup d'autres à qui il ne s'imposait pas. Ce pilier portant chez nous, autant que les joyaux pour les dames et les voitures et villas de luxes la marque de prestige, l'on se plait à compter le nombre de fois qu'on s'est rendu aux lieux saints alors qu'une fois suffit à remplir son obligation religieuse.

Prestige oblige, car il y a de la visibilité à y aller, on est sous les spots de l'instant où l'on se prépare à son retour des lieux, contrairement au quatrième pilier, cette Zakat que l'on donne dans la discrétion. Raison pour laquelle le quatrième pilier est délaissé et des milliards de francs de ce fait privés aux démunis, aggravant ainsi la fracture sociale entre riches et pauvres.

Le fait de passer outre ce quatrième pilier de l'Islam ayant fini d'indigner, l'on préfère commenter abondamment sur la détentrice des avoirs et le style d'instruction du procureur. Mais imaginez un peu la différence que cela aurait fait si ce principe avait été respecté, surtout lorsqu'on sait que ces sommes sont détenues depuis des années et que leur détentrice n'est certainement pas dans le top 20 de la liste, longue, des milliardaires que l'ex-président Abdoulaye Wade a avoué impudemment avoir créés.

Ces découvertes effectives du procureur de la République sont, en regard des membres de la famille Wade et, des plus proches soupçonnés d'être milliardaires, édifiantes quant aux montants faramineux qu'ils détiendraient. Elles le sont aussi et surtout en regard de la pertinence, aujourd'hui indubitable, de la traque des biens mal acquis, décidée et mis en œuvre efficacement par le régime en place.

Même s'ils n'étaient pas coupables d'enrichissements illicites, rien que le fait de thésauriser de telles sommes dans une discrétion poussée au point de ne pas respecter ses devoirs religieux et sociaux, est amoral.

Aujourd'hui que la vérité sur ses avoirs est connue, Aïda Ndiongue, à qui ils appartiendraient, sera-t-elle aussi à l'aise désormais, de se parer comme auparavant de ses joyaux en public ? Ses voisins sont-ils aussi admiratifs qu'avant ? Les membres de sa famille ont-ils toujours d'elle la même fierté ? J'en doute.

Si rien ne devait changer dans les considérations vis-à-vis de soi-même et de sa relation avec son environnement, après avoir été démasqué comme vulgaire voleur, notre société serait destinée inéluctablement à la décadence. Raison pour laquelle, il vaut mieux jouer franc jeu avec la société et persévérer pour être croyant et citoyen modèle que de tricher abominablement.

Ne vaut-il pas mieux jouir de considération de sa communauté, que de renommée en son sein ?

Nombre de Sénégalais pourtant choisissent aujourd'hui cette renommée au prix de toutes les valeurs humaines et mettent leur zèle dans la politique, lieu de prédilection pour l'atteindre.

Le pouvoir politique n'est hélas pas seulement fait d'une administration salutaire de règles émises pour le bon développement de la société, elle offre aussi à tout corrompu un cadre idéal pour exercer avec bonheur son immoralité, du fait de la puissance conférée. Le haut de la pyramide politique rime avec cime du pouvoir. Malheureusement sous nos cieux l'on abuse ostensiblement de ce pouvoir. Cette arrogance qui accompagne la perpétration de pratiques inavouables de ceux qui le détiennent, est ce qui vaut aujourd'hui à plusieurs dignitaires de l'ancien régime une présomption solide de culpabilité dans des crimes financiers. Reste à le prouver et pour ça je m'en remets à la justice de mon pays.

En tout état de cause, même pour cent mille francs de deniers publics détournés, cette dernière, dame justice, doit être actionnée et tout mis en œuvre pour démasquer les coupables et leur infliger des peines, pour le moins dissuasives.

* Président du Mouvement citoyen Jog Ci

Zakat : impôt religieux que le musulman paye sur ses biens.

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Abdoul Aziz Diop